Intérieur~Extérieur

Caractère 内 nèii en style sigillaire

Le caractère 内 nèi, intérieur, représente un territoire délimité à l’intérieur duquel on se tient, un homme (人 rén) qui se tient dans une maison (冂 jiōng ).  Nèi signifie l’intérieur d’un pays, d’une demeure, du corps, du cœur; ce qui relève de l’intérieur, les affaires intérieures, les appartement privés, le gynécée et ce qui appartient aux femmes, le for intérieur, le fond de la conscience. C’est introduire, faire pénétrer; recevoir; garder caché et secret.

Caractère 外 wài en style sigillaire

Le caractère 外 wài, extérieur, présente une image non pas spatiale, mais temporelle : à gauche, la lune (月 yuè), le croissant de lune qui indique la tombée de la nuit, le soir (夕 xī) , et à droite la craquelure qui sert à la divination ( bǔ).

On explique traditionnellement que l’on consulte les sorts au matin, peut-être sur la signification des songes de la nuit, mais que le soir venu cette divination est périmée, en dehors de son temps d’interprétation; une limite a été franchie, on est au-delà. Le caractère 外 wài signifie l’extérieur, les affaires extérieures qui sont l’apanage des hommes, en dehors de, loin de, étranger à la famille, à un groupe, au pays, l’apparence extérieure.

内 nèi et 外 wài forment un couple d’antonymes intérieur et extérieur; du dedans et du dehors; permanent et transitoire; l’essentiel et l’accessoire; le central et le périphérique.

Le Saint, en son intérieur, soigne sa racine, mais à l’extérieur n’embellit pas l’extrémité de la tige; il conserve ses essences et ses esprits, écartant de lui l’habileté et les opportunismes.

– chapitre 1 du 淮南子 Huáinánzǐ

内 nèi

L’interne, l’intime, l’essentiel, ce qui est personnel et même constitue la personne

五 内 wǔ nèi
Les cinq organes.
五脏 wǔ zàng
Les cinq viscères : cœur, foie, rate, poumons et reins.
内經 nèiI jīng
Un classique de l’interne s’occupe de l’essentiel.
内丹 nèi dān
L’alchimie intérieure allie certaines techniques physiologiques à des méditations et pratiques mentales. L’alchimie intérieure appelle « alchimie extérieure les premières étapes, moins intériorisées, de l’oeuvre.
内科 nèiI kē
La médecine générale est la partie interne de la médecine.
外翻 wài fān
Une introversion, un varus. Être tourné vers l’interne

外 wài

L’extérieur, l’extériorité; sortir de chez soi et aller au loin, au risque de s’éloigner de ce qui est central, de se laisser séduire par les désirs, qui sont des réactions aux objets extérieurs, ou de quitter l’orthodoxie et de se laisser entraîner dans des hérésies.

外丹 wài dān
L’alchimie extérieure porte sur les substances, particulièrement minéraux et métaux.
外科 wài kē
En médecine, la partie externe est la chirurgie.
外翻 wài fān
Une éversion, une extra-version, un valgus. Être tourné vers l’extérieur.

L’extérieur est donc soit le pendant de l’interne, son complément nécessaire, soit le danger qui menace l’interne, quand on quitte sa racine, son authenticité, qu’on se laisse pénétrer puis emporter par ce qui est étranger et illicite. L’interne, quant à lui, est soit simplement le pendant de l’extérieur, soit la constitution du monde intérieur.

Les relations entre l’extérieur et l’interne sont celles de deux mondes, qui ont des lois, des priorités différentes; ils peuvent entretenir des relations fructueuses et cordiales ou s’affronter. Ainsi, les souffles qui sont à l’extérieur du corps peuvent soit l’entretenir, soit l’agresser; les dispositions intimes peuvent être ou non en accord avec ce que demandent la saison, le moment …

Quand on recherche dans l’extériorité, on perd ce qui touche à l’intériorité; quand on se garde à l’intérieur, on s’oblige à perdre ce qui est extérieur. Il en va comme de la racine avec l’extrémité de la tige : en tirant par la racine, les Mille branches et les Dix mille feuilles viennent à la suite.

– chapitre 7 du 淮南子 Huáinánzǐ

Celui qui est parvenu au Tao ne va pas échanger une conduite céleste pour une humaine : extérieurement, il accompagne l’évolution des êtres: mais à l’interne, il ne perd rien de sa disposition propre.

– chapitre 1 du 淮南子 Huáinánzǐ

La médecine traditionnelle chinoise

内外 nèi wài
À intérieur et à l’extérieur, environ, à peu près, approximativement.
En médecine, le couple interne~extérieur s’emploie surtout pour parler de ce qui existe au dedans et au dehors du corps. Il va servir à indiquer l’origine et la nature des souffles responsables des maladies, leurs causes internes et leurs causes externes.
内因 nèi yīn
Les causes internes des maladies.
内傷 nèi shāng
Les atteintes internes sont d’abord la mauvaise gestion des émotions; mais aussi la fatigue et l’épuisement qui viennent de conditions de vie pénibles ou du mauvais usage de ses forces, ou encore d’une alimentation inappropriée. Le caractère 傷 nèi shāng évoque un homme blessé par une flèche. Il s’emploie facilement pour des coups venant de l’extérieur, portés par une arme ou par des souffles, comme les atteintes par le froid.
内傷 nèi shāng s’emploie pour les causes internes des maladies, car on se porte des coups à soi-même et on blesse sa vitalité en affaiblissant et désorganisant les souffles par les excès des émotions, des fatigues, des plaisirs … et ces atteintes sont aussi graves et meurtrières qu’un coup d’épée. On se fait tort, on offense l’entretien de la vie et le préjudice est énorme, car il déstabilise le fonctionnement des organes, qui sont l’interne, le cœur de la vie.
傷寒 shāng hán
Les atteintes par le froid.
外因 wài yīn
Les causes externes des maladies
外感 wài gǎn
Les affections externes: le cœur (心 xīn) sous la morsure (咸 xián). Quelque chose frappe et émeut, on est touché par une émotion qui peut être douce comme la reconnaissance ou pénible; une influence s’exerce qui mène à se rectifier et s’améliorer ou à se pervertir et se débaucher. Un souffle est là, que l’on ressent et auquel on réagit en frissonnant, éternuant, en attrapant un mal, contractant une infection.
感應 gǎn yìng
Une induction, une réaction,  une réponse à une influence externe. Le corps, l’être, la société, l’univers sont faits de ces réactions incessantes et infiniment variées, qui sont le jeu des souffles yin~yang.
六淫  liù yín
Les six souffles déréglés  : vent, froid, chaleur, sécheresse, humidité et feu.
外氣 wài qì
Les souffles défensifs se meuvent en dehors des circulation vitales.
表里 biǎo lǐ
Extérieur et intérieur. Dans le couple avers~revers, on étudie les étapes de la pénétration, de la superficie vers la profondeur, des souffles déréglés qui pervertissent l’organisme.

外 wài est pour la manifestation, 内 nèi, pour l’organisation intime.

– chapitre 7 du 淮南子 Huáinánzǐ

隂 yīn est à l’interne, mais c’est 陽 yáng qui l’y maintient. 陽 yáng se tient à l’extérieur, mais c’est 隂 yīn qui lui donne d’agir.

– chapitre 5 du 素问 Sù wèn

Les arts martiaux

內家 nèijiā
Art interne
外家 wàijiā
Art externe
家 jiā
famille, foyer, maison, domicile
松 sōng
Desserrer, lâcher, détendu, mou, pin
內家拳 nèijiā quán
Art martial interne
武當拳 Wǔdāng quán
Boxe de Wudang
武當派 Wǔdāng pài
École Wudang
少林拳 Shàolín quán
Boxe de Shaolin
少林功夫 Shàolín gōngfū
Art martial de Shaolin

Il existe d’innombrables styles d’arts martiaux chinois. Par commodité, depuis la fin du XIXsiècle, on les classe en voie externe (外家 wàijiā), et voie interne (內家 nèijiā).

Une vision trop catégoriale consiste à considérer que les styles externes utilisent la force physique et la vitesse comme principes d’entraînement et les styles internes la maîtrise de la respiration, le relâchement pour guider le souffle qi, la lenteur pour la justesse de l’apprentissage. La famille ds styles internes ne s’arrête pas au 太極拳 tàijí quán, mais comprend le 形意拳 xíng yì quán, 八卦掌 bāguàzhǎng, 八極拳 bājí quán ou 六合八法 Liùhé bāfǎ. Cette vision repose aussi sur la méconnaissance des qi gong propres à chaque style externe qui peuvent être des 內功 nèigōng.

L’école de Wudang désigne l’ensemble des arts martiaux chinois prétendus originaires du mont Wudang, montagne sacrée du taoïsme. Les styles Wudang sont traditionnellement associés aux arts internes et opposés en ce sens aux styles de Shaolin, considérés comme arts externes.

C’est probablement pendant la dynastie Ming (1368-1644), que naissent les bases des arts Internes. On peut voir dans l’origine du taï chi chuan une intégration des principes des arts martiaux Shaolín aux méthodes de gymnastique taoïste ( 導引灋 dǎoyǐn fǎ). Afin de contrecarrer l’évolution très importante du bouddhisme, les taoïstes auraient alors décidé d’inclure les principes d’un art du combat au dǎoyǐn. Les bases théoriques et spirituelles demeuraient purement taoïstes mais l’application de ces principes devenaient alors plus évidente et plus attractive.

Des auteurs attestent par exemple le fait que le bouddhisme 禪 chán aurait été influencé par le taoïsme peu de temps après son introduction par Boddhidharma vers 520. Si les techniques pratiquées à Shaolin, le Nettoyage des muscles et des tendons (易筋經 Yì jīn jīng), la Purification des moelles (洗髓經 Xǐ suǐ jīng) empruntaient les techniques taoïstes, les taoïstes, par la suite, créèrent le taï chi chuan en utilisant les principes fondamentaux du 武術 wǔshù externe de Shaolin.

Originellement ces techniques bouddhistes devaient servir de base à la méditation et renforcer le corps de l’adepte en vue des privations, par la suite, elles devinrent plus martiales. De ces méthodes découlèrent des qi gong tel les Huit pièces de brocard (八段錦氣功 Bā duàn jǐn).

Par ailleurs les arts internes, l’étaient parce qu’ils étaient enseignés à l’intérieur d’une famille, les arts externes parce que le bouddhisme venait de l’étranger.

La respiration entre externe et interne dans le taï chi chuan

Le taï chi chuan est un art dans lequel interviennent simultanément l’intention, la respiration et le mouvement. Pour que l’intention (意 yì) puisse s’exercer avec efficacité il y a lieu d’abandonner toute pensée perturbatrice, d’être calme et serein et de se concentrer… En un mot, d’être réellement présent. Le rôle de l’intention est d’habiter le mouvement de sa signification profonde et de percevoir clairement l’ensemble des sensations qui s’y rattachent. Cette intention claire et sereine participe au processus de prise de conscience.

L’intégration mentale et physique d’un mouvement et de sa signification (法 yòngfǎ) nécessite un état psychique de perméabilité entre le modèle proposé par l’enseignant et son image résonnante au fond de la psyché. Lorsque cette unité se réalise jaillit alors le mouvement juste et sa représentation mentale en rapport avec la personnalité du pratiquant.

Au cours de la progression, on distingue le stade proprement dit de l’apprentissage de celui du vécu profond du mouvement parfaitement maturé et intégré.

En effet, l’apprentissage va nécessiter un travail de communication intense avec l’extérieur, l’enseignant et le groupe de travail, alors que la maturation exigera un retour sur soi-même, une communication avec l’intérieur par le moyen de l’écoute subtile. C’est par l’alternance de ces deux phases que l’élève, même débutant, prendra goût à la pratique et à la saveur du taï chi chuan. Par le biais des écoutes externes et internes, il prendra conscience des tensions et des erreurs grâce aux messages transmis par son corps et les corrigera peu à peu, des plus grossières aux plus subtiles pour, enfin, s’identifier au mouvement. L’acquisition de ces principes et de leur vécu s’accélérera au moyen de la compréhension intuitive de l’essence du geste qui s’exprimera, à terme, grâce à la libération optimale de la circulation de l’énergie.

À travers l’exercice solitaire, le 意 yì, affinant la perception externe et interne, permet l’application martiale des mouvements du taï chi chuan et de tous les mécanismes psychiques et corporels sous-jacents. Le taï chi chuan, ainsi conçu, respecte l’intégration harmonieuse de l’homme dans son environnement par la simple superposition des vertus de la méditation et de l’action.

Apprendre c’est appréhender, tolérer la force extérieure qui retient le fil, mais c’est également apprivoiser la force intérieure qui nous caractérise, chacun dans notre être. Apprendre, c’est un compromis entre le contrôle et l’abandon entre la croyance et le doute. C’est le chemin parcouru entre l’écoute de la question et la formulation de la réponse, c’est-à-dire la compréhension.

L’apprentissage est avant tout une expérience, alternance d’une prise de conscience individuelle interne et d’une recherche externe éclairée par un système d’enseignement, une tradition profonde. L’expérience est l’intériorisation, l’individualisation de cet apprentissage, l’éveil intérieur personnel d’une connaissance collective véhiculée par une tradition artistique, guerrière, initiatique… ou tout simplement quotidienne.

L’illumination intérieure progressive à cette globalité se fait pas à pas, à travers le vécu des petites choses du quotidien. Leur intégration, vécue quotidiennement et mise en conscience met en oeuvre cette compréhension. C’est le chemin de l’enfant vers l’adulte. Se satisfaire de chaque pas, le savourer au rythme quotidien de l’instant, laisser ce pas perler comme une goutte de rosée le matin. De ces pas naît une multitude de gouttes qu’il convient de laisser s’unir pour que jaillisse la source de la connaissance. Apprendre, c’est aussi savoir écouter… l’écoute nécessite de pouvoir se taire.

Plus le corps est détendu plus la circulation est importante. Le corps est tendu si on applique la force, ce qui rend le corps inerte, pire encore cela bloque la circulation d’énergie dans le corps

-王薌齋 Wáng Xiāngzhāi 1885-1963

Pendant la pratique, l’écoute subtile intérieure va permettre à l’adepte de s’unir à sa puissance organisatrice psychique et spirituelle (神 shén) qui anime, structure et transforme son instinct de vie. De la qualité de cette écoute va dépendre la finesse des informations recueillies par les sens et favoriser la prise de conscience de la profondeur de l’être et de son environnement.

Les mouvements du corps développent les énergies internes qui permettent, en retour, la mise en mouvement.

La compréhension par l’apprentissage, et surtout par la pratique, des deux notions antagonistes et complémentaires symbolisées dans la tradition chinoise par le yin~yang d’une part et d’autre part par le vécu de leur fusion dans  le 太極 tài jí, font que le taï chi chuan demeure d’abord un art du mouvement par rapport aux techniques de méditation statiques ou contemplatives.

Ainsi, en tant que recherche du juste milieu (中庸 zhōng yōng), le taï chi chuan se situe au carrefour de trois principes physique, respiratoire ou énergétique qui constituent notre être vital. Au travers du travail des antagonismes qui les caractérisent, tension~relâchement, expiration~inspiration, concentration~vacuité, germent doucement unité et plénitude. Par l’étude régulière, du physique au subtil, une lente transformation s’opère entre le corps et la pensée.

Peu à peu, les sensations s’affinent, la chaleur apparaît, les articulations se relâchent, les énergies, ou souffles, entrent en mouvement et l’esprit se calme. Alors, la quiétude s’installe, les sens se développent et intensifient les perceptions internes et externes. La respiration (外氣 wài qì – 呼吸 hū xī) rythme les flux du corps et de la pensée qui coulent de concert comme un fleuve puissant, majestueux, souple et régulier. C’est ce processus universel d’alchimie interne (丹 nèi dān) qui permet la sublimation des fonctions vitales, psychiques et somatiques. Celles-ci trouvent alors leur matérialisation naturelle dans l’art pugilistique (拳 quán) grâce à la signification martiale sous-tendant chaque mouvement de l’enchaînement.


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