Lettre au capitaine Butler

圓明園 Yuánmíng Yuán, le jardin de la clarté parfaite est un ancien palais impérial, édifié au XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle au nord-ouest de la Cité interdite, par les empereurs mandchous Yongzheng et Qianlong. Les empereurs de la dynastie Qing y résidaient et y menaient les affaires d’État.

萬園之園 Wànyuán zhīyuán, le jardin des jardins était reconnu pour sa vaste collection d’œuvres d’art.

Les jardins impériaux étaient composés de trois jardins, ils étaient cinq fois plus étendus que la Cité interdite et représentaient huit fois la taille de la cité du Vatican. On y trouvait des centaines de structures : salles, pavillons, temples, galeries, jardins, lacs et ponts. Certains paysages connus du sud-ouest de la Chine étaient reproduits dans les jardins impériaux, des centaines d’œuvres d’art et de pièces d’antiquité chinoises étaient conservées dans les salles, ainsi que des exemplaires uniques d’ouvrages et d’anthologies littéraires, faisant ainsi des jardins impériaux une des plus grandes collections au monde.

Les jardins impériaux furent détruits par les troupes britanniques et françaises en 1860 lors de la Seconde guerre de l’opium. Aujourd’hui, la destruction de l’ancien Palais d’Été est encore considérée comme le symbole de l’agression et de l’humiliation infligées à la Chine par l’Alliance franco-britannique. Y sont placés une statue de Victor Hugo et un texte qu’il avait écrit pour s’élever contre Napoléon III et les destructions de l’impérialisme français, pour rappeler que cela était non pas le fait d’une nation, mais celui d’un gouvernement.

Victor Hugo et le sac du Palais d’été

Pillage de l’ancien Palais d’Été, Godefroy Durand, L’Illustration, 1860

Hauteville House, 25 novembre 1861

Vous me demandez mon avis, monsieur, sur l’expédition de Chine. Vous trouvez cette expédition honorable et belle, et vous êtes assez bon pour attacher quelque prix à mon sentiment ; selon vous, l’expédition de Chine, faite sous le double pavillon de la reine Victoria et de l’empereur Napoléon, est une gloire à partager entre la France et l’Angleterre, et vous désirez savoir quelle est la quantité d’approbation que je crois pouvoir donner à cette victoire anglaise et française.

Puisque vous voulez connaître mon avis, le voici :

ll y avait, dans un coin du monde, une merveille du monde ; cette merveille s’appelait le Palais d’été. L’art a deux principes, l’Idée qui produit l’art européen, et la Chimère qui produit l’art oriental. Le Palais d’été était à l’art chimérique ce que le Parthénon est à l’art idéal. Tout ce que peut enfanter l’imagination d’un peuple presque extra-humain était là. Ce n’était pas, comme le Parthénon, une œuvre rare et unique ; c’était une sorte d’énorme modèle de la chimère, si la chimère peut avoir un modèle.

Imaginez on ne sait quelle construction inexprimable, quelque chose comme un édifice lunaire, et vous aurez le Palais d’été. Bâtissez un songe avec du marbre, du jade, du bronze, de la porcelaine, charpentez-le en bois de cèdre, couvrez-le de pierreries, drapez-le de soie, faites-le ici sanctuaire, là harem, là citadelle, mettez-y des dieux, mettez-y des monstres, vernissez-le, émaillez-le, dorez-le, fardez-le, faites construire par des architectes qui soient des poètes les mille et un rêves des mille et une nuits, ajoutez des jardins, des bassins, des jaillissements d’eau et d’écume, des cygnes, des ibis, des paons, supposez en un mot une sorte d’éblouissante caverne de la fantaisie humaine ayant une figure de temple et de palais, c’était là ce monument. Il avait fallu, pour le créer, le lent travail de deux générations. Cet édifice, qui avait l’énormité d’une ville, avait été bâti par les siècles, pour qui ? pour les peuples. Car ce que fait le temps appartient à l’homme. Les artistes, les poètes, les philosophes, connaissaient le Palais d’été ; Voltaire en parle. On disait : le Parthénon en Grèce, les Pyramides en Egypte, le Colisée à Rome, Notre-Dame à Paris, le Palais d’été en Orient. Si on ne le voyait pas, on le rêvait. C’était une sorte d’effrayant chef-d’œuvre inconnu entrevu au loin dans on ne sait quel crépuscule, comme une silhouette de la civilisation d’Asie sur l’horizon de la civilisation d’Europe.

Cette merveille a disparu.

Un jour, deux bandits sont entrés dans le Palais d’été. L’un a pillé, l’autre a incendié. La victoire peut être une voleuse, à ce qu’il paraît. Une dévastation en grand du Palais d’été s’est faite de compte à demi entre les deux vainqueurs. On voit mêlé à tout cela le nom d’Elgin, qui a la propriété fatale de rappeler le Parthénon. Ce qu’on avait fait au Parthénon, on l’a fait au Palais d’été, plus complètement et mieux, de manière à ne rien laisser. Tous les trésors de toutes nos cathédrales réunies n’égaleraient pas ce splendide et formidable musée de l’orient. Il n’y avait pas seulement là des chefs-d’œuvre d’art, il y avait un entassement d’orfèvreries. Grand exploit, bonne aubaine. L’un des deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant, l’autre a empli ses coffres ; et l’on est revenu en Europe, bras dessus, bras dessous, en riant. Telle est l’histoire des deux bandits.

Nous, Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous, les Chinois sont les barbares. Voila ce que la civilisation a fait à la barbarie.

Devant l’histoire, l’un des deux bandits s’appellera la France, l’autre s’appellera l’Angleterre. Mais je proteste, et je vous remercie de m’en donner l’occasion ; les crimes de ceux qui mènent ne sont pas la faute de ceux qui sont menés ; les gouvernements sont quelquefois des bandits, les peuples jamais.

L’empire français a empoché la moitié de cette victoire et il étale aujourd’hui avec une sorte de naïveté de propriétaire, le splendide bric-à-brac du Palais d’été.

J’espère qu’un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine spoliée.

En attendant, il y a un vol et deux voleurs, je le constate.

Telle est, monsieur, la quantité d’approbation que je donne à l’expédition de Chine.


Victor Hugo in Victor Hugo et le sac du Palais d’Eté
Une des ruines emblématiques du Yuánmíng Yuán, en mai 2006
Une des ruines emblématiques en mai 2006

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