Le retour à la source

A l’heure où l’enseignement et la pratique externe du Taiji Quan transforme peu à peu la Boxe du Grand immortel Zhang SanFeng en une coquille vide, que reste-t-il de l’accès originel à ses bénéfices physiques et spirituels et quelles en sont les conditions ? La chance nous a été donnée de recueillir le point de vue sur ces questions de la bouche de Sifu Adam Mizner. Par Ludwig Van Waes.

Il est coutume de dire que la pratique martiale interne (内家拳 nèi jiā quán) porte en elle la préservation de la santé par les principes et les règles intrinsèques de posture, de relâchement et de respiration qu’elle contient. Voici une interview sans langue de bois, aux sources de la pratique, pour une réflexion sur la nature véritable du taijiquan et son développement actuel avec en bruit de fond ce léger grésillement : « Le monde des arts internes aurait-il oublié quelque chose de son but ultime et de sa technologie véritable ? » Réalisée à l’occasion du séminaire de Prague en octobre dernier, cette interview est centrée sur les questions relatives à la santé de façon essentielle. Éclaircissements conceptuels, conseils de pratique, exhortation au retour au bon sens ou contre-pied aux croyances communes, bien qu’il soit impossible de partager l’ensemble de l’échange et sa densité, les réponses retenues ont été retranscrites sans modification ni commentaire. La clarté du savoir et les qualités de présence et d’éveil d’Adam Mizner ayant mené l’exercice du grossier au subtil, les mises en perspective additionnelles lorsqu’elles sont nécessaires se limitent donc à une explication succincte des concepts clés pour faire la place à la vision du Maître en matière de Grande Santé et d’Immortalité…

Sifu, quelle est votre définition de la santé ?

Selon moi, la définition de la santé est d’être suffisamment robuste et efficient pour pouvoir apprécier la vie et expérimenter la liberté.

Est-ce d’avantage une question de plénitude d’expérience que de durée ? Lorsque l’on regarde la longévité des maitres de taiji connus du passé, celle-ci ne nous parait pas exceptionnellement longue par rapport à la normale….

Effectivement, mais je pense que vous savez que dans la culture martiale Chinoise, le maitre est tenu à des obligations de réception et de banquet presque tous les soirs. Mangeant à l’excès et buvant de l’alcool, ils avaient en fait une vie plus proche de nos rockstars modernes que de la vie monastique…. Donc, bien qu’ils pratiquent le taijiquan ou le qi gong à haut niveau, ce qui leur permettait d’assumer cette vie : il y a tellement plus à faire pour la santé que juste une pratique. C’est une question de style de vie, de régime. N’oublions pas non plus l’impact important des combats sur leur santé : les combats sont terribles. En fait les combats sont la pire chose pour la santé…. La célébrité, les excès : les maîtres chinois du passé ont toujours beaucoup bu….

Est-ce que dans la théorie et la stratégie du taijiquan pour une bonne vie, la santé est un sous-produit garanti de la pratique ?

Le Taiji Quan sans sa dimension interne est le pire type d’exercice que vous puissiez imaginer : il est préférable de pratiquer le badminton… »

Le taijiquan pratiqué de façon incorrecte n’améliore pas la santé. La pratique correcte augmente la circulation du qì et en conséquence votre santé. Ouvrir le corps, le remplir de qì, harmoniser le système corporel, tout cela est naturellement bénéfique pour la santé. Quoiqu’il en soi, il ne s’agit pas d’une pilule magique à prise unique. Il faut contrôler son régime, sa vie sexuelle, ses émotions, toutes ces choses qui ont un énorme impact sur votre vie.

Tout comportement mené à son extrême est par ailleurs mauvais pour la santé.

De plus le taijiquan n’est pas parfait : le système a ses défauts….

Les pratiquants qui arrivent à un très bon niveau de pratique développent par exemple très souvent des problèmes au niveau de la rate. En effet, la pratique maintient en bas le qì de la rate qui tend normalement à s’élever. Ce problème est consécutif à un ancrage et un « amortissement » excessif du corps lié à la pratique assidue du taijiquan. Leur corps devient tellement 松 sōng par la pratique qu’ils ont parfois besoin de faire de l’exercice normal. Je leur dis « aller vous baladez tout simplement, faites quelques pompages de temps en temps… ayez une vie équilibrée et la santé sera à vos côtés… »

Peut-on parler de se situer dans cet espace de rencontre entre le yin et le yang pour évoquer une vie équilibrée qui serait le centre de toute pratique ?

Mes conseils sont évidemment différents selon le niveau de compréhension et d’éveil du pratiquant. Si nous parlons d’un niveau très élevé de pratique du Taiji et d’Alchimie, alors oui, il s’agit effectivement de rejoindre cet espace vide entre le Yin et le Yang, lieu de la transmutation. Mais la majorité du temps, conseiller aux pratiquants de mener une vie équilibrée, en matière de pratique et d’alimentation est suffisant.

Soyons réalistes, toute pratique extrême fini toujours par nous endommager … Prenons l’exemple de ces pratiquants qui s’embarquent dans la folie de la pratique obsessionnelle en Yoga : Ils finissent par rendre toutes leurs articulations hyper mobiles et abîment leur santé. Les pratiquants de taiji qui se relâchent trop deviennent trop mous et endommagent leur santé… Trop de poids et haltères et vous devenez trop raides. La normalité est saine.

La normalité est-elle différente à chaque stade d’évolution dans la pratique ?

Bien sûr. Quand vous vous engager dans la pratique véritable, vous ne changez pas seulement ce que vous faites mais la pratique change qui vous êtes. Pour être exact : non pas qui vous êtes mais ce que vous êtes. Vous vous transformez fondamentalement. Le taijiquan est une forme d’Alchimie. Toute pratique authentique est par ailleurs une pratique alchimique. A chaque stade vous vous transformez et pour cette raison votre pratique doit changer pour s’adapter à cette nouvelle créature que vous êtes devenu. C’est donc un processus, une adaptation constante. C’est également la raison pour laquelle vous ne pouvez le faire seul. C’est la raison pour laquelle vous avez besoin de l’accompagnement d’un professeur.

La pratique est un chemin large d’un pouce et profond de mille pieds qu’il est aussi difficile de trouver que de suivre…

Vous parliez de yoga à l’instant, la pratique interne chinoise est-elle liée quant à ses origines à la tradition indienne ?

En effet, mais nous parlions juste avant. de Yoga moderne altéré et de ses dérives potentielles, pas du Yoga authentique de la tradition Indienne qui est profonde et très efficace. Elle est également le réservoir premier de nombreuses traditions chinoises. Je dirais qu’il est fort probable, au-delà de l’histoire bien connue du moine Damo arrivant en Chine, que les pratiques relatives au qì, le qi gong et le 内功 nèi gōng du taijiquan notamment, trouvent leur origine dans la tradition indienne et aient transformé les pratiques chinoises. Il s’ait à ce propos de pratiques tantriques dans le sens où elles ne font pas intervenir uniquement l’esprit et la méditation mais également directement l’énergie du corps.

A ce sujet, la clé est- elle dans l’ouverture du corps et qu’en est-il en taijiquan ?

En taijiquan la première étape du travail est l’ouverture du corps. En fait de façon plus précise. Le premier stade est l’ouverture et son premier objet est d’être appliquée à l’ouverture du corps. La pratique est un processus perpétuel d’approfondissement cette ouverture dont le premier stade est l’ouverture du corps. Ensuite seulement, le processus peut englober l’ouverture de tous les méridiens et des points d’énergie du corps. C’est un processus qui va donc au-delà de la physique corporelle.

Il est en revanche complètement illusoire de croise à la possibilité d’ouverture de ces canaux et centres d’énergie en dehors de l’ouverture physique du corps. Cela ne se passe pas comme cela. En Taiji Quan, bien que nous n’isolions pas et ne nous concentrions pas sur les méridiens de la médecine chinoise, si vous vous entraîner correctement, ces derniers s’ouvrent. Par exemple, tous mes méridiens sont ouverts et je n’ai jamais rien fait d’autre que de pratiquer le Taiji Quan pour les ouvrir….

Les changements énergétiques ont nécessairement une traduction directe et observable dans le corps ?

Si vous opérez une véritable transformation dans les méridiens, dans l’esprit (神 shén) et dans le qì cela va affecter le corps de façon mesurable, tangible. Ce ne sont pas des phénomènes qui appartiennent au royaume des mots et de l’imagination… (4) Donc un professeur accompli peut vérifier, remarquer et vous dire ce qui est ouvert et ce qui ne l’est pas. Ce n’est donc pas une expérience uniquement subjective du pratiquant qui ne serait pas mesurable dans son expression par son professeur.

Quels sont les particularités de votre pratique du style Yang et sur quoi sont-elles fondées ?

La façon dont je pratique est principalement basée sur le 内功 nèi gōng et ses particularités sont un peu complexe et difficiles à détailler dans ce contexte d’interview mais elles sont toujours basées sur 松 sōng et 聽 tīng, le relâchement et la Qualité de connaissance, ces deux composants commandent et influencent toujours la façon dont nous développons et mobilisons le 氣 qì à l’intérieur du corps. Nous n’utilisons pas l’imagination ou quoi que ce soit de fantasmatique.

Est-ce lié à l’intention dans le sens classique de « Le qì suit le yì » au niveau de la causalité ?

Bon, si nous posons notre intention (意 yì) sur le bout de nos doigts, notre qì s’y dirige… Tout le monde peut en faire l’expérience. Si vous vous concentrer juste sur votre main. elle va se remplir de sang et de qì. C’est une expérience assez basique. Le problème c’est que cela se déplace doucement et que le volume de sang et d’énergie qui se déplace est très peu volumineux au final. Ce qui est peut-être suffisant pour certaines pratiques de guérison ou des tours de passe-passe » de qi gong … Mais dans la pratique du taijiquan, nous avons besoin d’une mobilisation et d’un déplacement quasi instantané d’une très grande quantité de qì. Ça doit être rapide et suffisamment volumineux pour étourdir quelqu’un pas juste pour réchauffer un peu votre main…

Il est vrai que le Qi suit le Yi, une fois que les deux ont été liés. sinon rien ne se passe…

Donc l’intention n’est pas suffisante. Nous utilisons cette intention pour commander le relâchement. Ou le relâchement s’opère, il y a une ouverture sur un espace vide qui se crée dans le corps. Quand cet espace s’ouvre et en application des lois de l’univers qui s’oppose au vide, il se remplit de qì. C’est ainsi que nous déplaçons le qì. Nous créons l’espace pour qu’il afflue. Il est possible de pousser le qì, mais ce n’est pas la méthode recommandée car cela crée des déséquilibres importants dans le corps et ce n’est pas la voie la plus rapide de mobilisation ni de déplacement. De mon expérience et dans ma tradition si vous déplacez le qì par le biais du relâchement, c’est une méthode sure qui ne va pas vous abîmer. Si l’on se concentre sur la circulation du qì, on bloque le qì. On peut par contre créer les conditions de circulation par la relaxation (松 sōng).

Est-ce que le qì utilisé pour le taijiquan est le même que celui utilisé pour guérir ou pour rester en bonne santé ?

Oui et non, c’est complexe mais je peux essayer de vous expliquer un peu d’avantage. Quand on parle de faire sombrer le qì et de mobiliser le qì en taijiquan, nous parlons de faire sombrer et mobiliser le qì interne (内氣 nèi qì) que l’on utilise également pour s’auto guérir et qui circule dans notre système énergétique. En ce sens, c’est donc le même. Quoiqu’il en soit quand nous pratiquons le taijiquan et nous développons un différentiel entre le yin et le yang, cela change la nature du qì et cela nous amène vers le qì que nous utilisons en taijiquan. ce n’est pas le qì externe (外氣 wài qì) qui est un sous-produit de la pratique. c’est à proprement parler le qì du taijiquan qui est unique en son genre. Les choses changent de nature quand on les utilise d’une façon différente. La polarité et les interactions entre le yin et le yang développées par la pratique créent le véritable qì du taijiquan bien que ce soit à la base juste nèi qì. Donc oui, ils sont semblables mais désormais différents dans leur nature.

Est-ce que la pratique de la forme uniquement sans les exercices préparatoires (基本工 jī běn gōng) va produire un corps harmonieux et en bonne santé ?

Je pense que c’est possible mais je ne recommanderait certainement pas de pratiquer de cette façon. Je recommanderais au contraire plus de concentration sur les exercices préparatoires, plus de travail sur les fondamentaux. L’ouverture du corps, le travail de relâchement et de détente des tissus mous du corps (松工 sōng gōng) et toutes ces choses. Premièrement parce que sans ces derniers vous ne pouvez ne pas exécuter la forme correctement, ce qui conduit à la pratique d’un taijiquan vide et non du véritable taijiquan. Pour être clair sur la question : quand il s’agit d’une pratique vide, vous ne tirez aucun bénéfice de la pratique que ce soit au niveau de la santé, au niveau martial ou au niveau spirituel…. La pratique vide trouve uniquement son bénéfice si vous la comparer au fait d’être assis sur un canapé.. ce qui est bien en soit, bouger est meilleur que ne pas bouger mais n’est rien par rapport à ce pourquoi cette pratique a été créée … Pliez ses genoux, d’une certaine façon, renforcer ses jambes, travailler un peu l’équilibre. Vous savez ces 95 pourcents de pratiquants, s’ils ne faisaient pas ça qu’est-ce qu’ils feraient…. C’est pas ça qu’est-ce qu’ils feraient…. C’est mieux que de ne rien faire. Les formes modernes ont tué les arts martiaux Chinois….

Vous parliez de plier les genoux, après le « Tennis elbow » une nouvelle mode est apparu dans le discours courant et sur le net ou l’on parle de « taiji knee ». Est-ce qu’une telle chose existe dans une pratique raisonnée ?

Définitivement pas dans mon école…. Je dirais que c’est la conséquence d’une pratique incorrecte et non encadrée du taijiquan. Laisser les genoux divaguer et flotter… II y a un vrai problème dans le monde du taiji et certains l’encouragent : on laisse les genoux effectuer des mouvements circulaires, on pratique avec les genoux hors alignement… Le genoux ne sont pas faits pour cela. L’autre problème réside dans le fait de tenter de créer de la puissance avec vos genoux, ce que je vois de plus en plus devenir une mode. Si vous essayez d’utiliser les hanches et les genoux pour générer de la force, vous allez simplement les détruire. Dans la pratique, les genoux et les articulations en général sont fait pour transmettre et propager librement la force dans votre corps, non pour générer de la force dans votre corps. Les pratiquants qui se trompent finissent avec une chirurgie de remplacement des genoux …

C’est une grande interrogation pour moi : la grande majorité des professeurs ne mettent pas l’accent sur cela. Or puisque nous devons faire des postures fixes de renforcement et de mortification (站樁 zhàn zhuāng) ce point de pratique d’alignement est crucial…. Une autre alternative peut-être dans ce cas : peut- on attendre des résultats d’une pratique uniquement douce ?

Réponse simple : Non. Vous allez juste vous affaiblir. Vous voyez, les gens en viennent au taiji, je veux dire au faux taiji et pratiquent des exercices inventés de nulle part … Deux ou trois ans plus tard ils sont plus faibles que quand ils sont arrivés. Et plus faible n’a jamais voulu dire en meilleure santé… Pour faire simple, la pratique interne bien menée doit vous donner la force et la robustesse d’un bûcheron. Vous pouvez normalement voir le corps des pratiquants se transformer après un temps : ils commencent à ressembler à des gens qui lèvent des poids tout simplement. Alors qu’on ne touche jamais une haltère dans mon école …

Quelle est la transformation la plus rapide avec un bon entraînement à laquelle vous ayez pu assister ?

Trois ans. Selon moi et d’un point de vue traditionnel, il est dit «trois ans, petite transformation, dix ans, grande transformation … » Bien sûr cela signifie trois ans de travail impliqué et dévoué sous la supervision d’un professeur qui vous dis quoi faire au bon moment. Et en fait, trois ans ce n’est rien. Mais en trois ans vous pouvez avoir les compétences, la santé et la robustesse qui va avec, si les conditions sont correctes.

Nous parlions d’une personne avec un corps normal, qu’en est-il si quelqu’un arrive à pratique avec un corps abîmé ou bloqué ? Je sais que vous pratiquez cette technique ancienne de remise en place des os (bones setting). Quels en sont les avantages et d’où vient-elle ?

Cette technique vient d’un ami à moi qui me l’a apprise à Taiwan. Son nom est Richard Wang. Nous avons partage nos techniques l’un et l’autre. C’est une méthode ancienne qui exige que vous maîtrisiez le kung fu pour être réalisé. Vous avez besoin de la puissance (勁 jìn) et vous avez besoin de la capacité d’écoute (聽 tīng) pour desendre profondément dans le corps du patient et vous connecter aux différents points du squelette de façon adéquate. C’est le seul véritable raccourci pour le taijiquan je connaisse …

Cette méthode peut vous faire gagner des années de pratique. Ce qui pourrait vous prendre des années à corriger : l’alignement de votre colonne, essayer de garder la tête droite et étirée… Avec cette méthode, en quelques sessions en cumulant peut être 40 minutes de traitement, on peut vous faire épargner 10 ans de lutte.

Je l’ai expérimenté et ce jour-là vous m’avez soutenu. Je peux dire aujourd’hui que c’est la plus grande libération que j’ai reçue dans ma vie…. Cette session m’a libéré de ma croyance en ma force personnelle pour m’aligner avec le monde et je vois les résultats dans ma pratique, au niveau de la circulation du qì et de l’harmonisation de ma vie… Pensez-vous que cette méthode, comme j’ai l’impression de l’avoir vécu, peut guérir et libérer des blocages chroniques et que l’énergie circule mieux ce qui améliore de ce fait la santé de façon générale ?

Bien sûr, le squelette est au centre de notre corps. Peu importe où vous allez à l’intérieur vous trouverez des os. Si les os sont mal placés, alors tout ce qui s’organise autour, les tissus mous, la chair, les tendons, les fascias s’organisent de façon erronée et problématique. Les muscles seront en disharmonie fonctionnelle et agrippés aux os. En conséquence les méridiens ne seront pas ouverts. Donc si vous avez un problème osseux, en conséquence les tissus blancs, les méridiens et de façon subséquente même l’esprit sera dysfonctionnel. Donc le but est de corriger depuis l’intérieur vers l’extérieur… Notre squelette est la clé de notre organisation corporelle.

Puisque nous parlons de problème et de douleur, il n’est pas rare d’entendre des pratiquants dire sans être dans la situation, qu’ils méditeraient en cas de douleur. Je pense personnellement qu’en cas de migraine ou de rage de dents par exemple, il est très difficile de méditer. Pensez-vous qu’un corps exempt de douleur, un corps réparé soit la condition nécessaire pour la véritable méditation ?

Eh bien, il y a beaucoup de chemins. Nous pourrions parler du Bouddhisme traditionnel qui est basé sur le fait de développer l’esprit. Aller au-delà de l’esprit dans une absorption méditative et libérer l’esprit de tous ses défauts pour atteindre la liberté. En conséquence de ce calme de l’esprit, il devient saturé de qì, simplement parce que nous ne consommons pas l’énergie à cause d’un esprit tourmenté. Les pensées et les émotions consument le qì. Cette énergie va ensuite remplir le corps et le transformer. Il s’agit donc du processus de l’esprit qui réintègre le corps. C’est une voie. Si l’on considère le taoïsme, cela fonctionne dans la direction opposée nous travaillons à corriger le corps, corriger les méridiens, régulariser l’énergie et de façon consécutive rectifier l’esprit. A la fin du chemin. le but de ses voies est identique. Ce sont des portes d’entrées différentes dans une même pièce …

Où est le qì dans les aliments, comment en reconstruire en dehors de l’entraînement ? Selon vous y a-t-il un danger à suivre des régimes particuliers ?

Premièrement tout le monde est libre de suivre ses préférences en matière de régime alimentaire par contre si vous êtes intéressé par le fait de développer votre qì ou les arts internes comme le taijiquan par exemple, vous avez besoin de matière et de substance dans votre alimentation.

Si vous êtes vegan (végétarien ça peut aller parce que vous mangez du fromage, peut être des œufs et que vous absorbez un peu de cholestérol, de graisse, un peu de protéines qui vont en fait construire votre corps) vous détruisez en fait votre corps petit à petit …

Le qì de la rate par exemple va devenir faible et problématique, le jìn va être en carence : vous n’en avez plus. Vous n’avez plus de qì, vous ne pouvez plus vous guérir. L’esprit en conséquence est également ébranlé. Si vous prenez la peine de vous souvenir, quand vous rencontrez ce type de personnes, leur esprit est épars, ils croient en une foule de choses fantaisistes, ils fabulent … En fait, ils ont perdu leur lien à la terre. Nous disons que le 精 jīng n’est pas stabilisé dans le 神 shén.

Deuxièmement, j’ajouterais que j’ai rencontré sur cette terre des gens qui ont des compétences de guérison extraordinaires, je dirais même supra naturelles. Malheureusement ces mêmes personnes peuvent devoir dire à un végan : « Désolé mais nous ne pouvons pas te guérir… » Parce que toute guérison est une auto-guérison…. « Nous pouvons faire beaucoup pour te guérir mais ton corps doit suivre et se régénérer… » Si nous n’avons pas les blocs de construction fondamentaux, ça devient vraiment difficile…. Pour revenir aux végétariens, la plupart des maîtres yogi sont végétariens mais n’oubliez pas qu’ils vénèrent leurs laitages…Mangent du fromage ou boivent du Lassi. Mais plus important encore, ils entrent en samādhi qui est un état ou non seulement on ne gaspille plus de qì mais où on en produit par effet d’accumulation. Si vous avez un boulot de 9 à 5 et qu’en plus vous ne nourrissez pas votre corps en substance ça ne va pas bien se passer pour vous…. Ce qui est encore plus bizarre c’est qu’il y a plus de femmes végétariennes que d’hommes, alors qu’en réalité, elles ont besoin de plus de viande que les hommes pour soutenir le renouvellement de leur sang sinon elles deviennent «déficientes en sang » L’autre grand danger quand on n’ancre pas l’esprit avec du jīng et de la matière (dont la majeure partie vient de la nourriture) est d’ordre mental et psychique : l’énergie yang non contenue s’élève, se disperse et l’esprit s’affole et devient éventuellement obsédé par des dogmes ou des idéologies. Nous voyons cela un peu partout aujourd’hui, cela semble être la caractéristique de notre temps.

Pour avancer encore un peu plus dans les grandes topiques de la pratique donnez-vous des exercices respiratoires à vos élèves et si oui, quand et dans quelles conditions ?

Tout d’abord si l’on parle par exemple de technique comme la circulation de l’orbite microcosmique ou macrocosmique, je pense que 99% des versions enseignées sont fausses. A partir du moment où l’on vous propose d’imaginer en esprit que vous respirez dans cette orbite ou au travers de cette orbite, c’est par définition une version erronée de la pratique qui vous est enseignée … Cette respiration se produit en fait d’elle-même en conséquence de la mobilisation de causes correctes,. Ces causes correctes sont pour l’essentiel, le fait d’avoir suffisamment de qì, pour que celui-ci déborde de lui-même dans ce circuit et se mettent à remonter.

Maintenant, que nous parlons de plus en plus d’interaction du pratiquant avec son environnement, je voudrais connaître votre position en matière d’échange de qì entre l’individu et ce qui l’entoure ?

Tout d’abord, nous recevons du qì en permanence de l’extérieur. La plus grande source de qì étant le Soleil … Les deux autres sources les plus importantes sent l’alimentation et la respiration qui proviennent, également de l’extérieur, ajoutons-y l’eau. En fait tout simplement si vous ne recevez pas ou ne prenez pas d’énergie à l’extérieur de vous, vous mourrez simplement assez vite … Un point doit aussi être retenu a ce sujet, plus vous avez de qì en vous, plus vous en attirez facilement à vous. Je vous rappelle comme je l’ai dit tout à l’heure que par le samadhi vous pouvez générer encore d’avantage de qì et même du jīng. L’état de samadhi en soi génère cela, vous n’avez rien de particulier à faire une fois dans l’état …

« Plus on se rapproche de la source, plus on se régénère … »

Comme vous le savez, beaucoup pensent qu’il est impossible de régénérer l’essence jīng une fois qu’elle a été consommée. C’est faux, c’est possible mais seulement par la voie du samadhi. Je suis par contre d’accord pour dire que l’accès à cet état n’est pas à la portée de tous … Le samadhi est le seul moyen que je connaisse de régénérer le jīng. D’ailleurs le samadhi en soi génère le jīng. Pour être clairs je parle ici du jīng inné, prénatal (元精 yuán jīng). Pour ce qui est du jīng acquis, postnatal, c’est facile de le reconstituer : manger de la viande (rires).

D’ailleurs beaucoup d’hommes mariés pourront vous dire ce que cela a donné comme résultat dans leur vie de couple quand ils ont arrêter de manger de la viande (rires).

Que pensez-vous de ces pratiques modernes qui consistent à conseiller de suivre ses instincts, ses envies et à en faire un chemin de développement personnel. Est-ce qu’il est possible d’atteindre une augmentation de nos capacités physiques et spirituelles ainsi que de notre stabilité émotionnelle en suivant nos envies, nos émotions et nos sensations ?

Vous parlez de ces conseils qui consistent en gros à « aller dans le sens du le courant » Cela constitue l’inverse absolu de la pratique. Ce genre de démarche incarne le principe de « courant descendant » s’éloignant de l’Absolu vers la mort. Nous voulons allez à rebours, renverser le courant depuis la mort vers l’origine et l’Absolu. Il s’agit donc de « manger amer » et de nager contre le courant. C’est une discipline quotidienne et un travail difficile.

En ce qui concerne le New Age, c’est facile, il suffit de faire systématiquement l’inverse de ce qu’il vous conseille …

Est-ce que la pratique du taijiquan amène sur cette voie de retour à la source ?

La pratique de l’art de combat, non. La pratique du véritable taijiquan tel qu’il a été transmis par le Grand Immortel, oui. Le véritable but du taijiquan est le chemin de retournement, le chemin de retour vers l’Absolu. Ce serait une bien petite chose si il s’agissait uniquement de coups de poings et de coups de pieds, nous n’aurions pas eu besoin de l’égal du Bouddha pour le concevoir.

Après avoir fait ensemble le tour de certaines questions importantes par rapport à la santé du corps et à la pratique. Je voudrais vous demander ce qu’est pour vous la Véritable Médecine … Est-elle une guérison spirituelle ?

De façon ultime, bien sûr. A la fin notre corps va nous laisser. Même la meilleure santé va un jour se dissiper et nous deviendrons malades et nous mourrons. La seule chose qui restera sera au niveau spirituel. Cela ne signifie pas pour autant que nous devions gâcher notre physicalité ou la dénier. Nous devons faire le meilleur usage de ces énergies, de ce véhicule et des ressources que nous avons. Il faut réaliser que sans ce véhicule il est très difficile d’aller où que ce soit… Nous avons besoin du corps, de son qì et de notre esprit. Si vous êtes intelligent vous les utiliser pour cultiver votre esprit.

Quel est partant la définition de l’immortalité ? Les concepts de longévité et d’immortalité sont-ils mal interprétés ?

Un immortel est un être qui a atteint le plein éveil. L’immortalité est le plein éveil. Il s’agit donc d’une immortalité spirituelle et non physique. Nous allons bien sûr tous mourir.

Y a-t-il eu un détournement ou une incompréhension originelle de ce concept dans la tradition ? Si l’on considère par exemple les apparitions de Zhang SanFeng à des centaines d’années d’écart. Cela fait-il partie de la mythologie construite autour de la pratique ?

Disons qu’il est très difficile de comprendre le fonctionnement d’êtres de la dimension de Zhang SanFeng. C’est comme si une fourni essayait de comprendre la technologie humaine. Nous sortons du cadre de cette interview mais pour clore ce point : les êtres comme le Bouddha ou les Immortels taoïstes qui peuvent apparaître selon leur volonté, avoir un corps ou non sont au-delà de notre compréhension.

Ils sont là pour toujours et peuvent faire à leur guise en des manifestations que nous ne pouvons pas comprendre. Il en est ainsi.

Que penser de la référence sans compréhension à ses êtres, où des pratiques consistant à les invoquer pour la guérison ?

Si vous connaissez ce genre de personnes, vous savez que c’est heureusement pour eux, sans grand effet. Pas grand-chose ne se passe…. Ce n’est pas pour autant sans risque. Pour toute pratique de cet ordre, il y a une méthode correcte et un chemin étroit et balisé pour faire cela de façon sûre et avec compréhension. Les personnes qui pratiquent cela sans connaissance ni compréhension atteignent des résultats qui sont au mieux de l’ordre de la croyance dans un monde imaginaire. Donc le danger est assez bas puisqu’ils ne sont en fait connectés à rien…. Les personnes qui peuvent effectivement se connecter à cette dimension ont généralement plus de pouvoir personnel, de capacité de protection et de compréhension que la moyenne. Bien sûr il existe des personnes qui ont naturellement reçu cette capacité de connexion avec ces entités. Ils peuvent être une bénédiction en matière de guérison pour le monde mais ils souffrent personnellement en général beaucoup. C’est très éprouvant et stressant pour l’esprit, l’énergie et le corps. Ce genre de don est loin d’être un cadeau pour la personne. Ces personnes qui ont un don de guérison ne sont pas éveillées, c’est comme une disruption dans l’organisation de la mécanique de leur esprit, de leur énergie et de leur corps qui leur donne accès à une chose à laquelle ils ne devraient pas avoir accès. La plupart d’entre eux sont très affectés : je n’en connais qu’un seul qui arrive à le gérer bien. Il est extrêmement fort dans le sens physique du terme et se tient profondément enraciné dans son corps physique. Il arrive à ne pas se disloquer et devenir fou.

Pour revenir au taijiquan et pour évoquer le Grand Yang Luchan, fondateur du taijiquan du style Yang. Le Grand Maître disait de lui-même qu’il avait atteint le 9e niveau de maîtrise de l’art, qui en compte 13 selon lui. Quand la pratique est véritablement effectuée en conscience, est ce qu’une influence s’opère sur l’environnement et l’énergie du monde ?

Quand un pratiquant atteint un niveau très élevé de pratique, il agit sur son shén disons ici sa conscience : cette dernière étant sans forme, il se produit une expansion qui se propage bien au-delà du corps et qui n’est plus enclos dans le corps ni la forme. Ce phénomène peut influer et ordonner, consciemment ou inconsciemment, le qì autour de lui ce qui transforme les chose. C’est pour cette raison que nous disons également que la transmission se produit d’esprit à esprit. Il ne s’agit pas toujours de mots ou de contact mais d’être prés de quelqu’un …

C’est une chose que vous ne pouvez recevoir dans les livres ou aujourd’hui dans les vidéos. Bien que j’aie mis en ligne un programme d’entrainement car je pense qu’il est important de donner accès à l’information, cela ne peut remplacer le fait d’être dans la même pièce que la personne qui a réalisé le résultat que vous recherchez … C’est là qu’est caché la dimension invisible de la transmission d’esprit à esprit. Donc oui, la pratique à haut niveau influence l’énergie et le monde autour de nous.

Quand vous rentrez dans une pièce où un groupe de personnes se querelle ou se comporte bassement, il se peut que ce soit calme au moment où vous pénétrez dans la pièce mais l’air autour de vous semble épais ou électrique. Nous savons tous que nous pouvons sentir ces choses et que ces choses nous affectent : nous connaissons tous ce sentiment. Sur cette base. il est facile de comprendre la relation d’influence à un bas niveau. Il en est de même, de façon proportionnelle, à un niveau élevé d’énergie.

Je sais que l’exercice de l’analogie est un exercice risqué, mais sommes-nous proche de ce que Nicola Tesla proposait quand il disait que tout est vibration ?

Tout est qì … Il s’agit juste de densité différentes de ce denier.

Par rapport à la tradition Bouddhiste japonaise, y-aurait-il un kaon que vous affectionnez et que vous souhaiteriez nous transmettre ?

Je n’utilise pas le koan comme outil d’enseignement, je voudrais simplement conclure sur ces deux mots : Silence et Vide. Nous n’avons pas burin de fabriquer des mots et des idées, lâchez prise et observez la réalité nue dans le présent.

Pour conclure cette interview, y a-t-il eu un avant et un aprés dans votre vie et la façon dont vous appréhendez la réalité ?

Il y en a eu un. Mais qui n’a pas d’importance en soi. Jene crois na a l’accomplissement soudain. C’est en conséquence d’un travail graduel, d’une acceptation de l’amertume et d’une transformation discrète que votre vie change. Vous devenez plus clair, vous devenez plus apaisé, vous devenez plus fort et robuste, étape après étape. Il y a toujours un avant et un aprés pour chaque niveau mais pas de point isolable. La pratique de l’Art est sans fin, le chemin est le chemin et meilleur moment pour le pratiquer est maintenant …

Interview par Ludwig Van Waes parue dans la revue Taichichuan n°1 de 5/6/7 2020

3 réflexions au sujet de “Le retour à la source”

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