Des ronds dans l’eau

Passionné de philosophie, de littérature et de spiritisme, le peintre d’origine tchèque František Kupka (1871-1957) s’installe à Paris en 1896. Il y mène une intense activité d’illustrateur avant de reprendre ses recherches picturales qui le mèneront de l’impressionnisme au cubisme, jusqu’à l’abstraction.
Autour de 1906, alors qu’il emménage dans un nouvel atelier à Puteaux, les baigneuses lui fournissent le thème de plusieurs peintures et études.

L’eau

Dans cette œuvre, le titre éclipse la figure féminine au profit de l’élément liquide dans lequel elle est presque entièrement immergée. Kupka a centré sa composition sur la nageuse et plus encore sur les ondes en cercles concentriques marquant la surface de l’eau autour et à partir de son corps.

Le peintre saisit ainsi les mouvements propres à l’eau, imprime à l’espace une dynamique d’expansion à la fois lente et puissante. Il produit un effet de rimes plastiques par la répétition du cercle, une forme à laquelle il a ensuite consacré certaines de ses compositions abstraites. La gamme chromatique obéit à cette même logique duelle : dominée par les verts et les jaunes, elle évoque la végétation ainsi que les jeux de la lumière sur et à travers l’eau, tout en participant à l’élaboration de rimes plastiques au sein d’une surface à la fois plane et profonde, unifiée et morcelée.

Les poissons de la Loire montaient baiser à la surface de l’eau la lumière du jour, et le chevalier encadrait l’image de sa bien-aimée dans les ondes qu’ils laissaient sur l’eau paresseuse. 

René Boylesve in La Leçon d’amour dans un parc

Alertées par le soudain balancement imprimé à la palanche, les carpes se mirent aussitôt à nager dans leur prison portative-une nage en spirale, elles se décollaient du fond, s’élevaient vers la surface en cercles concentriques, puis repiquaient vers le fond. Ce seul mouvement suffisait, en se communiquant à l’eau, à provoquer une vibration de toute la perche. Cette pulsation semblait faire naître deux notes de musique, l’une venant de l’avant du bambou, l’autre de l’arrière ; à l’instant où elles se rencontraient précisément là où la perche pesait sur l’épaule de Miyuki, elles se fondaient l’une dans l’autre en une seule note idéale.
La moindre modification de cette onde donnerait l’alarme, signifiant que le bambou glissait d’arrière en avant, ou le contraire, alors Miyuki devrait s’empresser de le rééquilibrer.

Didier Decoin in Le Bureau des jardins et des étangs

Pour que des ondes se propagent dans un milieu il faut que celui-ci soit stable: sous l’action d’une perturbation extérieure, le milieu doit développer un mécanisme de rappel le ramenant vers sa position d’équilibre. La nature et les propriétés de l’onde dépendent de la manière dont ce mécanisme agit. Ainsi, par exemple, pour les vagues, ce mécanisme de rappel est la pesanteur tendant à ramener la surface libre vers une position d’équilibre. Pour les ondes sonores, le mécanisme de rappel est la tendance d’un fluide à uniformiser sa pression. Pour les ondes de torsion (comme sur un violon joué à l’archet), le mécanisme de rappel est le couple exercé par la corde.

Nous entendons quand l’air intermédiaire entre celui qui émet le son et celui qui l’écoute est frappé de façon sphérique, puis qu’il forme des vagues et qu’il atteint les oreilles, de la même façon que se forment des vagues circulaires dans l’eau d’un réservoir quand on y lance une pierre.

Diogène Laërce cite le philosophe stoïcien Chrysippe 

À Piombino, il observe attentivement le mouvement par lequel une onde de la mer en chasse une autre.

Stendhal in Histoire de la peinture en Italie

Absence, abstraction et épure

L’abstraction et l’épure règnent dans le jardin sec ou karesansui des temples zen, conformément à la philosophie zen qui refuse le superflu. Comme l’indique leur nom de jardin sec, on n’utilise pas d’eau, qui est suggérée par le sable ou les graviers. 

Les éléments naturels ont une signification spécifique:

  • Les pierres et les rochers représentent la stabilité, synonyme de paix intérieure chez l’individu qui ne peut être obtenue que par une réflexion profonde sur sa propre personne et par une méditation attentive;
  • L’eau, d’autre part, représente dans sa simplicité et sa capacité de changement tout ce qui est instable et mobile dans le monde;
  • Enfin, grâce à la culture des plantes, nous prenons soin de notre âme. Les plantes les plus communes sont la fougère et la mousse.

L’eau est absente mais elle est représentée par des motifs dessinés à l’aide de râteaux. Initialement, le kaolin était ratissé en lignes droites qui suivaient le parcours est ouest du soleil. Ces lignes représentaient les courants et les vagues. Une évolution de la gestuelle cérémonielle fut de tracer des rangées circulaires concentriques autour des rochers et des îlots, et plus récemment l’apparition de formes abstraites, fruits d’une réflexion méditative, le tout pour concourir à imprégner un mouvement dans le sable ou le gravier, qui se démarque nettement du statisme des blocs de rochers émergeant.


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