Classiques

經 jīng

Classique ou Canon, désigne en Chine les ouvrages dont le contenu est considéré comme constant et orthodoxe du point de vue du confucianisme. Jing a aussi désigné par la suite les sutras bouddhiques.

書 shū

Les plus anciens documents qui se soient transmis par tradition écrite et orale sont issus des milieux de scribes et d’annalistes de la Cour royale de la dynastie Zhou et des cours princières. Ils datent des IXe-VIe siècles. Il s’agit de pièces de caractère politique, religieux et rituel, en accord avec le type de société qu’on entrevoit au début du 1er millénaire et à l’époque des principautés : une noblesse dont les occupations principales sont la guerre et les sacrifices, soucieuse d’affirmer l’antiquité de ses droits et de ses privilèges. Ces documents sont pour une part des pièces d’archives qui se rapprochent par leur langue et leur contenu des inscriptions sur bronze datant de la même époque, mais aussi des fragments de scénarios de danses rituelles. Ces textes ont été réunis dans un recueil qui porte le nom de 書 shū ou 上書 shàngshū dont la moitié à peu près est considérée aujourd’hui comme authentique. Plusieurs chapitres de ce recueil reproduisent des parties d’un livret relatif à une danse guerrière qui célébrait la victoire du roi Wu des Zhou sur le dernier souverain des Yin. Des pièces analogues, issues de ballets rituels des Yin dont la tradition s’était conservée dans la principauté de Song, semblent aussi avoir été incorporées au Classique des documents en même temps que les discours, harangues et textes de serment.

詩 shī

Des hymnes de sacrifices et de cérémonies rituelles telles que banquets ou rite du tir à l’arc ont formé la plus grande partie d’un autre recueil qui porte le nom de 詩 shī. Ces poèmes formés de stances régulières étaient chantés à la cour des rois de la dynastie Zhou avec un accompagnement de danse et de musique où dominaient les carillons de cloches et de pierres sonores. Leurs thèmes semblent être devenus plus variés aux VIII-VI siècles et s’être enrichis d’un nouveau genre : celui des « chansons de principautés (zuofeng) dont l’inspiration paraît provenir des chants alternés de jeunes paysans et paysannes lors des fêtes de printemps. Ces chansons d’amour dont la forme présente plus de souplesse et de liberté que celle des anciens hymnes religieux sont formées de thèmes et de refrains populaires qui associent aux sentiments exprimés par les antagonistes les divers moments de la vie de la nature et des groupements villageois.

Issues du même milieu que les pièces d’archives, les scénarios de ballets rituels et les hymnes de sacrifice, les Annales (紀年 jì nián) sont aussi l’une des formes originales des plus anciennes traditions écrites. Constituées par la notation des événements qui semblent avoir été annoncés dans leur temple, au fil des jours, des mois, des saisons et des années, aux ancêtres des lignées royales ou princières, ce sont des documents qu’on peut aussi qualifier de rituels. Ils semblent avoir pris la suite des archives divinatoires de l’époque Anyang, et eu pour objet la constitution d’une science des précédents diplomatiques et religieux, astronomiques et naturels. Ainsi s’explique sans doute, en même temps que l’extrême sécheresse et le caractère stéréotypé des annotations, la précision des termes et des dates. Dans les conceptions qui président à la rédaction des Annales, les conjonctions temporelles sont indissociables des événements : espaces et temps apparaissent doués de vertus particulières.

春秋 chūn qiū

Les plus anciennes Annales semblent remonter au IXe siècle : se fondant sur des documents qui ont disparu depuis son époque, Sima Qian donne comme première date précise de l’histoire l’année – 841. Un seul document a été conservé dans sa plus grande partie : les Annales du royaume de Lu au Shandong, dénommées, d’après les mentions de saisons qui figurent en tête de paragraphes, Annales des Printemps et Automnes (春秋 Chūn Qiū). Les parties qui en subsistent portent sur les années 722-481. Mentionnées dans certains ouvrages, les Annales de Jin et de Chu avaient disparu dès la fin de l’Antiquité, celles de Qin ont été incorporées dans les Mémoires historiques de Sima Qian au début du 1er siècle avant notre ère. Enfin, la découverte d’une tombe d’un prince de Wei en 279 de notre ère devait permettre de retrouver les Annales de ce royaume du Shanxi. Le texte de ces Annales écrites sur bambou (竹書紀年 zhúshū jìnián) a été très altéré dans sa transmission et n’a pu être reconstitué qu’en partie en 1917 par l’érudit Wang Guowei.

易 yì

Si on peut supposer que ces plus anciennes formes de l’histoire dans le monde chinois sont comme le prolongement des archives divinatoires sur os et sur écailles de tortue, la divination elle-même s’est développée de façon autonome à l’époque des premiers rois de Zhou. Parallèlement à la divination par le feu qui subsistera très longtemps en raison de son caractère vénérable, un nouveau procédé à la fois plus commode et plus complexe voit le jour. Il consiste dans le maniement de légères baguettes faites de tiges d’achillée dont les nombres pairs ou impairs permettent de construire des figures composées de six lignes pleines (chiffres impairs) ou interrompues (chiffres pairs). Ces hexagrammes au nombre de 64 traduisent et réalisent toutes les possibles de l’univers et sont doués d’une force dynamique en raison des possibilités de mutation de chacune des lignes mâles (yang) ou femelles (yin), dans leur essor ou sur leur déclin. Continuant la tradition des devins de l’époque des Yin, les spécialistes de la divination par l’achillée (蓍 shī) devaient dégager les premiers éléments d’une conception du monde comme un ensemble formé de forces et de vertus opposées et complémentaires, et contribuer aux premiers développements des mathématiques. Leurs réflexions furent, dans le monde chinois, à l’origine des sciences et de la philosophie.

Chaque cité semble avoir possédé ses propres traditions divinatoires, mais seul le manuel en usage à la cour des Zhou devait être conservé. Il reçut le nom de 易 yì que l’on traduit généralement par « Mutations ». Aux règles d’interprétation les plus anciennes, exprimées dans une langue concise et obscure, riche de termes techniques dont le sens a été perdu, est venue s’ajouter dans le courant du l » millénaire toute une série de gloses et de commentaires qui témoignent de l’enrichissement continu de la tradition divinatoire.

Tels sont les quatre recueils (shū, shī, chūnqiū, yì) où furent conservées les plus anciennes traditions des milieux de scribes, annalistes et devins de l’Antiquité.

禮 lǐ

Les lettrés de Lu qui semblent être à l’origine de leur transmission y adjoignirent des Rituels (禮 lǐ) donnant les règles minutieuses qui doivent être observées dans chaque circonstance de la vie et un traité de musique (樂 yuè) qui a été perdu à l’époque des Han. Recueillis en différentes versions par tradition orale ou écrite, remaniés et augmentés de textes apocryphes, ces six ouvrages devaient être promus sous les Han au rang de Classiques ( jīng).

Caractère relativement tardif des traditions classiques

Les écrits les plus anciens, rédigés dans une langue extrêmement concise et d’interprétation difficile, ne forment qu’une très petite partie de l’héritage des anciens : d’autres textes plus substantiels sont venus s’y ajouter entre le Ve et IIIe siècle, qui avaient pour objet de les compléter et de les commenter. Ils appartiennent à une époque où la société antique était déjà sur son déclin ou à la veille de sa ruine. Ainsi, tout en se rattachant à des traditions plus anciennes, ces ouvrages présentent des caractères de nouveauté : on y reconnaît l’influence des théories et des conceptions morales de l’époque. C’est ainsi que l’influence des théories classificatrices des spécialistes du yin~yang et des cinq agirs est sensible dans le Gongyang zhuan, commentaire aux Annales de Lu qui semble avoir été composé vers les IVe et IIIe siècles à la même époque que le Guliang zhuan, autre commentaire de ces Annales. En même temps qu’il enregistre des traditions très anciennes, le Rituel des Zhou (周禮 zhōu lǐ) ou Les Fonctionnaires des Zhou (周官 zhōuguān), dont la rédaction date à peu près de la même époque que les autres rituels (儀禮 yílǐ, 禮記 lǐjì et 大戴禮記 dà dài lǐjì) [IVe et IIIe] fait une large place à l’utopie administrative. Le 左傳 Zuǒchuán, ouvrage composite formé de textes incomplets et remaniés à la fin de l’Antiquité, est composé dans sa plus grande partie par une chronique à demi romancée sur la lutte qui avait opposé les royaumes de Jin et de Qi.

Ce que la Chine devait conserver de son héritage le plus ancien provient donc pour l’essentiel de traditions des Ve-IIIe siècles recueillies et souvent altérées au cours de l’époque des Han et jusqu’aux IIIe et IVe siècles de notre ère. Il se pose ainsi dès le début des traditions classiques un problème qu’on ne peut absolument pas écarter : celui de leur interprétation et des apports tardifs.

Depuis 1980, on a retrouvé dans des tombes des VIe-IIe siècles avant notre ère de nombreux textes qui donnent parfois de nouvelles versions des Classiques et des auteurs de cette époque.