Souffle

Caractère 气 qì en style sigillaire

gaz
air
souffle
odeur
vigueur
énergie
colère
irriter

La graphie ancienne nous montre le grain de riz 米 qui éclate sous l’effet de la cuisson et qui dégage une vapeur 汽 qui s’élève en accumulation 三, en nuées. Dans ce caractère primitif le trait supérieur désignait ce qui vient d’en haut, le trait inférieur ce qui vient d’en bas et le trait médian ce qui bat entre les deux. Pour marquer cela plus clairement, plus tard le trait supérieur fut recourbé vers le haut et le trait inférieur vers le bas. Ensuite, la dynamique propre au pinceau accentua cela. On ajouta donc dans l’espace vide en bas à gauche du caractère, 米 mǐ, le signe général du riz en grains non cuits. Cela permettait de représenter en un seul idéogramme 氣 les deux manifestations des souffles les nuées légères et mobiles pour leur aspect yáng, et les grains de riz petits, nombreux, durs et remplis d’énergie nutritive pour leur aspect yīn.  Le chinois moderne n’a retenu que la partie supérieure 气, et rejoint ainsi dans l’esprit le caractère primitif formé de trois lignes horizontales 三, symbolisant les courants atmosphériques. 

Le sinogramme 氣 décrit donc le souffle, comme étant à la fois aussi immatériel et éthéré que la vapeur et aussi dense et matériel que la céréale. Il signifie également que le qì est une substance subtile, la vapeur, dérivée d’une substance grossière, la céréale.

Le souffle est cette force vitale, qui se meut, qui pénètre partout, invisible (无 wú), qui ouvre et communique. C’est la libre expression  de ces qualités qui garantit une bonne santé. Les esprits guident les souffles, le cœur souverain est garant de leur harmonie par sa propre harmonie.

Plus tard je fus forcé de réfléchir sur ce peuple dont je connais les tares et auquel on accorde néanmoins quelque grandeur. Du fait de son nombre, de son ancienneté et de sa pérennité ? Mais bien plus semble-t-il à cause de ce pacte de confiance, ou de connivence,qu’il a passé avec l’univers vivant, puisqu’il croit aux vertus des souffles rythmiques qui circulent et qui relient le Tout. D’où peut-être cette manière d’exister à nulle autre pareille.

François Cheng in Le Dit de Tianyi
Montagne jaune 1, 2014, Zeng Xiaojun

L’enveloppe du ciel et de la terre, le ciel et la terre, l’intervalle ciel~terre et tous les êtres qui y ont une éphémère demeure, ne forment qu’un amas de souffles, sans intérieur, sans extérieur, sans limites sinon précaires et relatives. Dans cet amas, on peut distinguer une multitude de masses particulières. Toute analyse, tout découpage qui fait surgir des souffles particuliers les maintient en fait dans l’amas primordial, dans l’Unité. Tel est le schéma qui explique la production et la disparition des êtres. Ils ne sont que condensation et dissipation au sein de l’amas primordial des souffles.

Le souffle apparaît toujours comme yin-yang, rythme et combinaison, mouvement et transformation.

Les êtres vivants, dont la visibilité est le corps, sont les formes particularisées du souffle. Les souffles (氣 qì) sont distincts des formes concrètes, sans en être séparables. Les formes (形 xíng) ne sont rien, ne sont pas, sans ces souffles qui les informent et transforment. D’autre part, on ne peut saisir les souffles que dans et par les formes. On connaît les qualités des souffles en un être par les manifestations qui s’inscrivent dans la forme corporelle, par exemple dans le sang, qui permet la lecture des pouls.

Les souffles donnent qualités, propriétés à chaque être, chaque phénomène, déterminent les conditions et particularités de son apparition et de son développement. Ils se font activité, circulation, communication, transformation, réchauffement, protection, dynamisme, rythme. Ils unissent des séries de phénomènes; ils permettent et spécifient les relations des êtres entre eux.

Les souffles sont l’expression la plus réelle du travail opéré dans les formes. Ils sont donc ce sur quoi travaille celui qui désire maintenir sa pleine capacité physique et mentale, demeurer dans la rectitude morale, qui n’est guère discernable de la santé du corps, puisqu’elles reposent l’une et l’autre sur le même mouvement : guider ses souffles à l’image du souffle cosmique.

Ce qui guide les souffles est le principe de l’ordre naturel; dans un homme, c’est, ultimement, son cœur et ses esprits; car si les souffles ne sont pas assimilables à la matière, ils ne le sont pas non plus à l’esprit.

Les souffles existent et se renouvellent, dans un corps, grâce aux essences ( j精 jīng ), qui sont leur support, la base de leur développement et qui sont responsables de leurs qualités : le yin permet et soutient l’expansion du yang.

Les souffles sont à la fois substrat dynamique de l’univers et substance universelle et subtile qui constitue tous les êtres et phénomènes.

Le souffle est, en soi, de soi, indifférencié; il est un avec l’ordre qui se voit dans ses manifestations et activités à l’intérieur d’une forme corporelle. À partir d’un commencement de forme, résultant d’un mouvement yin de condensation, de composition des essences, les souffles apparaissent avec leurs spécificités, leurs activités et leur dynamisme yang.

Montagne jaune 2, 2014, Zeng Xiaojun
Montagne jaune 2, 2014, Zeng Xiaojun

La notion de qì, que l’on traduit au mieux par souffle, essentielle dans la médecine chinoise, ne s’y limite pas ; elle est constitutive de l’ensemble du mode de penser chinois. Battement entre sa forme la plus yīn, le grain de riz, et la plus yáng, les nuées, le qì est une énergie vitale fondamentale. Mais énergie est encore une traduction insuffisante. Peut-être le mot français air conviendrait mieux du fait de son invisibilité naturelle alliée à un éventail de significations qui laisse entrevoir la richesse du mot qì en chinois. Pour en donner une idée, voici quelques expressions dans lesquelles il intervient :

氣 tiān qì
Le qì du ciel, c’est la forme que prend le qì au niveau du ciel, particularisé par son continuel changement, son aspect yáng. L’expression désigne le temps qu’il fait aujourd’hui, en ce moment.
地氣 dì qì
Le qì de la terre est la densification du qì du ciel en un lieu, particularisé cette fois par sa permanence, son aspect yīn. L’expression désigne le climat d’un endroit, d’une région.
通氣 tōng qì
Le qì en bonne communication. Selon que l’on considère l’aspect matériel ou l’aspect spirituel, cette expression pourra signifier aussi bien ventiler, aérer un local, que rester en contact l’un avec l’autre, exprimant alors la connivence invisible entre deux personnes qui n’ont pas besoin de parler pour que leurs qì s’accordent.
生氣 shēng qì
Le qì vif est le qì qui va se manifester de façon moins invisible qu’à l’accoutumée. Il s’applique aussi bien à la vitalité en général qu’à son excès la colère. L’animisme, par exemple, est appelé 生氣主義 shēngqì zhǔyì, doctrine de la vitalité.
脾氣 pí qì
Le qì de la rate ou qì printanier est le qì de quelqu’un qui a du tempérament, du caractère et plutôt du mauvais caractère.
氣 shén qì
Le qì de l’esprit, c’est l’air de quelqu’un, sa manière d’être, son allure, se donner l’air peut nous rendre suffisant voire outrecuidant. C’est aussi l’air d’un lieu, la sensation que l’on ressent en y entrant, le fait que l’on s’y sent bien ou mal, le fondement du feng shui.
口氣 kǒu qì
Le qì de la bouche désigne la tonalité, la manière de parler. L’expression s’applique généralement à quelqu’un qui parle bien.
手氣 shǒu qì
Le qì de la main, c’est avoir de la chance au jeu, comme nous disons avoir la main.
骨氣 gǔ qì
Le qì de l’os est la force de caractère, le tempérament, l’intégrité morale d’une personne qui ne transige pas sur l’os, c’est-à-dire la charpente, ce qui soutient la maison et qui serait, chez nous, le fondement. On dira d’un beau trait de calligraphie qu’il a une fermeté intérieure et invisible qui fait qu’il tient comme les os tiennent le corps.
名氣 míng qì
Le qì du nom est la réputation, la célébrité, la renommée.
客氣 kè qì
Le qì envers l’autre, c’est l’hospitalité, la politesse, un art de vivre en société que les Chinois, peuple sédentaire dans une nation depuis toujours surpeuplée, ont beaucoup développé. C’est dire à autrui ce qu’il a envie d’entendre et savoir dire ce qui convient à la situation qu’on traverse. Cependant la politesse dont il s’agit ici concerne les gens avec qui on est en relation à quelque niveau que ce soit, mais pas les inconnus.
客氣 kè qì
Le qì envers l’autre, c’est l’hospitalité, la politesse, un art de vivre en société que les Chinois, peuple sédentaire dans une nation depuis toujours surpeuplée, ont beaucoup développé. C’est dire à autrui ce qu’il a envie d’entendre et savoir dire ce qui convient à la situation qu’on traverse. Cependant la politesse dont il s’agit ici concerne les gens avec qui on est en relation à quelque niveau que ce soit, mais pas les inconnus.
洋氣 yáng qì
Le qì de l’étranger. Le mot yáng désigne au départ l’océan, puis par extension ce qui se trouve au-delà de l’océan, c’est-à-dire le monde occidental. L’expression s’applique avec une connotation positive à tout ce qui relève du style occidental.
節氣 jié qì
Le qì des moments de l’année est le nom donné à la division de l’année en vingt-quatre périodes de quinze jours. Appelé les vingt-quatre périodes solaires.
運氣 yùn qì
Le qì en mouvement est au sens propre faire bouger le souffle vital par des étirements ; au sens figuré, ce qì qui virevolte désigne la chance qu’il faut saisir au moment où elle passe. Avoir de la chance est inconcevable pour un esprit chinois : la chance ne peut pas être une possession, c’est un couplage momentanément favorable entre une personne et un moment qu’il faut savoir saisir.
Détails d'une ancienne figure de bronze utilisée pour l'enseignement et la recherche en acupuncture, par le chinois Tongrentang, un géant pharmaceutique ayant plus de 300 ans d'histoire, Beijing 2008
Détails d’une ancienne figure de bronze utilisée pour l’enseignement et la recherche en acupuncture, par le chinois Tongrentang, un géant pharmaceutique ayant plus de 300 ans d’histoire, Beijing 2008

La médecine chinoise est fondée sur l’idée que le souffle vital circule constamment d’organe en organe, les irriguant les uns après les autres, selon un cycle circadien. La circulation de ce souffle vital immatériel est invisible, mais il est possible d’en repérer le cheminement : c’est le système des méridiens. Les points d’acupuncture ( xué ) ne sont que des indications d’endroits plus accessibles, parce que les souffles y affleurent, où le praticien peut, avec ses aiguilles, envoyer des sortes de messages ayant pour but de restaurer la fluidité.

Les souffles président à toutes les mutations et activités dans le corps, tant sur le plan macroscopique que sur le plan microscopique, selon les modalités du 隂 yīn et du 陽 yáng. La régulation des souffles constitutifs et animateurs de l’homme, au sein des souffles constitutifs et animateurs du cosmos, est l’objet même de l’art médical.

Au sens le plus général, les souffles sont l’existence des êtres comme elle se dégage dans sa composition yin-yang. Dans un sens plus restreint, ils sont ce qui assure tous les mouvements et les modalités de l’animation physique et psychique. Dépourvus de forme, ils compénètrent les substances qui les accueillent pour y opérer les activités qui expriment et maintiennent la vie. Ils sont l’aspect yang dans les couples qu’ils forment avec les essences, avec le sang, les liquides, le corps, les saveurs … qui représentent l’aspect yin.

Par les souffles tout se fait, de l’origine à la fin. Ils commencent le processus de production et de caractérisation des êtres; ils déterminent leurs apparences extérieures comme leur mouvements intérieurs. Ils s’appuient sur le dynamisme originel; ils tirent force et renouvellement des essences provenant des fruits de la Terre (alimentation), et de l’inspiration des souffles offerts par le Ciel (respiration).

Les circulations, les échanges, les transmissions, les changements des liquides en vapeurs et des vapeurs en liquides, des aliments en essences et des essences en souffles, le maintien d’une douce température, le respect des rythmes et des cycles, les ouvertures et fermetures des innombrables passages et orifices de l’être, tous les mouvements et transformations produisant et soutenant la vie… se font grâce aux souffles. Les activités mentales et psychologiques, le tonus du moral et la force de la pensée, sont redevables aux souffles. Les émotions sont des mouvements de souffles, qui souvent se dérèglent; ce sont les manifestations dans les souffles de la réaction induite par une excitation, une perception, une pensée, un souvenir ….

On divise et nomme les souffles selon leurs activités particulières.

  • Le souffle originel ( 原 yuán qì ) fonde et détermine l’existence d’un être. Il s’exprime dans les multiples souffles du corps, dans la diversité 隂陽 yīn yáng des souffles de l’organisme.
  • L’ensemble des souffles du ciel postérieur se résume en trois souffles ceux qui entretiennent et reconstruisent ( 營 yíng ) , ceux qui défendent et protègent ( 衛 wèi ), ceux qui réunissent et harmonisent ( 宗 zōng ).
  • Les cinq souffles qui correspondent aux cinq agents sont, dans le corps, les souffles des 五臟 wǔ zàng et dans le mental les souffles des cinq vouloirs; à l’extérieur, ils sont les cinq souffles de l’environnement : froid, chaud, sec, humide, vent.
Dragon dans les nuages, 1922, encre sur papier, rouleau suspendu, Qi Baishi (1864-1957)
Dragon dans les nuages, Qi Baishi

夫上古人之教下也
皆謂之
虛邪賊風
避之有
話炎虛無
氣從之
神內守
病安從來

Su Wen

Ce qu’enseignaient les Saints de la Haute antiquité à leurs sujets Revenait à ceci :
Évitez le vide qui appelle les pervers, et les vents voleurs,
En tenant compte de la saison.
Dans le calme tranquille, le vide et la vacance,
Les souffles authentiques procèdent heureusement.
L’Esprit vital gardé à l’interne,
Les maladies, comment surviendraient-elles ?

La vie, la médecine et la sagesse

Les souffles suivent l’ordre naturel et sont alors corrects ( zhèng ) ou authentiques ( 真 zhēn ), ou bien ils se dérèglent et sont alors pervers ( 邪 xié ).

Les souffles circulent et s’activent selon les cycles propres à l’organisme; ils sont aussi en résonance avec les grands cycles naturels comme les saisons, ainsi qu’avec les souffles du moment et du lieu où l’on se trouve : froid ou chaleur, environnement psychologique …

Ce n’est pas la quantité de souffles qui fait la santé, c’est l’harmonieuse distribution de tous les constituants, qui se rendent, comme d’eux-mêmes, là où ils sont attendus.

Les souffles s’entretiennent par ce qui vient de la Terre, des essences assimilées par la digestion, qui remplissent les zàng , renouvellent les substances et les liquides; et par ce qui vient du ciel, de l’environnement, de la respiration. Ils s’entretiennent aussi de tout ce qui pénètre l’individu, entrant non seulement par les pores mais par les organes des sens; ce qui conforte l’ordre dans la distribution et le mouvement des souffles ou au contraire le contrarie, le bouleverse.

Les esprits guident les souffles; le cœur souverain est responsable de leur harmonie, par sa propre harmonie.

Les exercices taoïstes de santé sont ainsi destinés à renforcer le 正氣 zhèng qì, soutient de la vitalité originelle par diverses méthodes.



氣 qì dans le dictionnaire de l'empereur Kangxi
氣 qì dans le dictionnaire de l’empereur Kangxi
https://vimeo.com/334846838