Résilience

L’adversité est définie comme « un sort contraire, des circonstances malheureuses (deuil, trauma, revers de fortune, etc.) s’imposant comme une épreuve à subir ou à surmonter ». En tant qu’humains, nous sommes tous et serons tous confrontés à des événements inattendus et brutaux qui peuvent nous déstabiliser profondément et durablement. L’adversité ne fait pas de discrimination. Dans ces situations, nos modes de pensée et nos comportements habituels ne sont plus en mesure de nous guider pour aborder l’avenir.  Nous cherchons des solutions nouvelles tout en nous déplaçant dans un espace de plus en plus incertain. 

Dans ce deuil, une fois encore, elle étonna ses amis par son immédiate résilience.

André Maurois in Lélia ou la vie de George Sand 

Les scientifiques de la résilience définissent la résilience comme la capacité d’un système à absorber les perturbations et à se réorganiser de manière à conserver essentiellement la même fonction, la même structure et les mêmes rétroactions, c’est-à-dire à avoir la même “identité”. En d’autres termes, la résilience est la capacité d’un système à faire face aux chocs imprévus et à continuer à fonctionner à peu près de la même manière qu’auparavant.

Il ne serait pas normal d’utiliser en carrosserie, en aviation, ou dans des pièces de machines, des bois qui n’auraient pas une résilience suffisante.

Jean Campredon in Le bois

Une approche systémique de la résilience

Toute réflexion rigoureuse et efficace sur la question de résilience implique une forme de pensée systémique. Pour comprendre, évaluer et gérer la résilience, il faut être capable de comprendre le système humain chahuté par un événement imprévu, il convient de s’y immerger pour le vivre de l’intérieur, puis de s’en extraire pour en comprendre les liens fonctionnels, avant de s’y immerger a nouveau pour tester l’efficacité de la nouvelle organisation. Il existe une véritable « écologie de la résilience ». Une approche systémique de la résilience implique la description de sa fonction (identité ou raison d’être), la façon dont cette fonction peut évoluer dans le temps et ce qui menace cette fonction. Les systèmes sont constitués de nombreuses parties en interaction (parties de soi, familles, travail, communautés, villes, régions et nations, etc.) Une réflexion systémique sur la résilience nous donne un moyen de nous confronter à sa complexité et aussi de trouver des solutions efficaces pour sortir d’une situation inconfortable voire traumatisante. 

Imaginez qu’un événement imprévu (accident, licenciement, séparation, maladie, décès d’un proche…etc.) vienne brutalement bouleverser vos habitudes de vie. Ce tremblement de terre cognitif et émotionnel, souvent vécu avec le sentiment de solitude, peut déséquilibrer votre monde intérieur (système personnel interne),  vos compétences habituelles dont l’efficacité est remise en cause, vos croyances sur vous-même, les autres et le monde, la hiérarchie de ce qui vous semblait important (vos valeurs), vos identités de rôle et vos rêves but de vie (identité). Cet événement va également perturber le monde dans lequel vous aviez trouvé votre place et un équilibre de vie (système externe familial, professionnel, social) et questionner la façon dont vous allez pouvoir vous rétablir.  

Que faire dans ces situations de crise ?. Si dans l’adversité vous restez le nez sur le guidon à ruminer vos malheurs et votre situation de victime, le système va rester figé dans le dysfonctionnement ou la souffrance.  Il est préférable de lever la tête pour élargir votre champ de vision et de perception, pour vous reconnecter avec la direction que voulez donner à votre vie, pour acquérir un niveau de conscience permettant une vision systémique (interconnexion de tous les éléments du système) de votre fonctionnement, pour comprendre que d’autres humains peuvent souffrir comme vous, pour rechercher au sein du système interne et externe les ressources internes ou externes donc vous avez besoin, soit pour réparer le système et retrouver l’équilibre (changement de niveau I), soit pour transformer le système de façon à lui permettre de poursuivre de nouveaux buts (changement de niveau II). Pour réaliser tout cela, vous avez besoin de leadership de soi. 

Vous êtes le seul à pouvoir comprendre et agir sur la complexité de votre écosystème. Vous pouvez prendre des conseils, mais au final la responsabilité et le pouvoir de réadapter ou de transformer le système humain qui est le vôtre vous appartient.  Se vautrer dans sa douleur ou mettre ses émotions en bouteille est facile, mais cela n’est pas aidant. Faire l’autruche et nier les problèmes ne vous aidera pas non plus à développer votre résilience.

Les capacités de résilience émergent en prenant de la hauteur ou de la distance. C’est le moyen essentiel de réaliser que notre vie ne s’arrête pas à l’événement douloureux et que vous pouvez décider de vous remettre dans le courant de la vie, de votre vie. Cette approche systémique de la résilience est vivement soutenue par les approches scientifiques. Michael Ungar (1), un chercheur en modèles de résilience, identifie sept principes communs à tous les systèmes résilients : 

(a) la résilience se produit dans des contextes d’adversité. Les modèles de résilience sont différents des modèles de croissance qui interviennent dans un environnement prévisible ou optimal. L’étude de la résilience fait référence à un retour à l’équilibre (c’est-à-dire à l’homéostasie) par la récupération, l’adaptation ou la transformation, après avoir subi une perturbation ou l’exposition à un stress. La résilience se distingue par le fait de survivre ou de prospérer dans des contextes de stress.

(b) la résilience est un processus et non le trait statique d’un système. Plutôt que de dire qu’une personne est résiliente, il est préférable de décrire un système humain (épigénome, famille, communauté) comme résilient quand ce système est engagé dans un processus d’acquisition et de maintien des ressources nécessaires à son fonctionnement efficace en cas de stress.

(c) la résilience implique des arbitrages entre systèmes. Toutes les parties d’un système ne profitent pas de la même façon d’un retour à la stabilité. Les parties d’un système perçues comme les plus résilientes dépendent du regard de l’observateur et des outils utilisés pour définir si un système est considéré comme amélioré ou altéré par une perturbation. La perturbation peut produire des résultats très bénéfiques en renforçant la résistance d’un système au stress présent et futur.

(d) un système résilient est ouvert, dynamique, et complexe. La résilience d’un système exige en général qu’il soit ouvert à de nouvelles informations (feedback), bien qu’il y ait ici aussi des exceptions lorsque l’ouverture entraîne une vulnérabilité aux menaces extérieures.

(e) un système résilient favorise la connectivité. Si l’ouverture est une description de la capacité d’un système à tolérer l’hétérogénéité, la connectivité se réfère à la façon dont les composantes des systèmes interagissent les uns avec les autres en cas de crise. Par exemple pour les organisations, plus le réseau est collaboratif, plus les systèmes sont susceptibles de résoudre des problèmes complexes. 

(f) un système résilient fait preuve d’expérimentation et d’apprentissage. Les systèmes sont d’autant plus résilients qu’ils comprennent des possibilités d’expérimenter de nouvelles solutions, de réfléchir à l’impact de l’expérience et d’intégrer l’apprentissage dans les efforts futurs d’adaptation.

(g) un système résilient intègre la diversité, la redondance et la participation. La diversité d’un système signifie qu’il dispose de ressources suffisantes pour fonctionner lorsqu’ils sont soumis à des stress ou lorsqu’ils sont en danger. Plus les composantes du système sont prêtes à prendre le relais lorsqu’une d’entre elles fait défaut,  plus le système est globalement durable.

L’ensemble de ces principes conçoivent la résilience comme une séquence d’interactions systémiques interdépendantes par lesquelles les acteurs (qu’ils soient les personnes, les organismes ou les écosystèmes) assurent le maintien des ressources nécessaires à la durabilité dans des environnements de stress. 

Comme nous l’avons vu, la résilience ne consiste pas à conserver le système exactement tel qu’il était avant la survenue de l’événement inattendu. La résilience n’implique pas la stabilité ou un non changement du système. Quand le système ne peut s’adapter à la violence des chocs et perturbations, il devra se réorganiser pour permettre la réalisation de nouveaux buts (identité ou fonction).  Plus le système est cohérent du fait de la force de ses liens, plus il est en mesure de se mettre au service de nouveaux buts. La résilience est un processus de réalignement interne et externe. L’adversité invite bien souvent les individus à réactualiser leur but de vie. S’ils ne le font pas ils limitent leur résilience pour faire face à de nouveaux événements. De même, tenter de maintenir un système organisationnel dans un état qui se contente d’optimiser sa capacité à faire plus de la même chose ou d’optimiser son offre de biens et de services, revient à tenter de simplifier sa complexité, de réduire sa capacité d’adaptation aux nouvelles conditions qui pourraient survenir et limiter ainsi sa résilience.