La tristesse et le cœur
Bien qu’étant le sentiment propre au poumon, par la spécificité du mouvement de souffles qu’elle induit, la tristesse est souvent associée au cœur, dont elle empêche l’expression libre et joyeuse. La tristesse est alors l’opposé de la joie, de l’allégresse qui se manifeste par le rire.
- 心氣虛則悲
實則笑不休 - Quand les souffles du cœur sont en vide, il y a tristesse
quand ils sont en plénitude, on rit sans pouvoir s’arrêter
En examinant les couples de caractères qui expriment les sentiments, on relève, de façon habituelle, l’allégresse en couple avec la colère et, parallèlement, la joie couplée tantôt avec la tristesse, tantôt avec l’affliction
哀 āi représente les cris, gémissements et lamentations qui sortent de la bouche 口 de celui qui a revêtu les habits 衣 spéciaux du deuil. L’affliction
éprouvée à la perte d’un être cher; la douleur du deuil, publiquement manifestée.
Le cyclothyme oscille entre la tristesse et la gaieté, deux contraires qui comme tous les contraires se ressemblent. Ils se ressemblent en ce qu’ils représentent tous deux un état fort de l’humeur, une vibration élémentaire et intense qui intègre tous les autres états d’âme dans une résonance unique.
Jean Delay in Etudes de psychologie medicale
Tristesse et affliction sont l’opposé de la joie de vivre, de la joie du ciel, propre à toute vie humaine, qui s’accepte et se possède. La tristesse devient un refus de la vie. Dans un sens pathologique, les mouvements et réactions qu’impliquent la tristesse s’opposent à ceux qu’impliquent une joie débordante, voire délirante.
La tristesse apparaît régulièrement comme le sentiment que l’on éprouve quand les souffles du cœur sont bloqués ou sans force pour circuler.
- 厥頭痛
頭脈痛
心悲
善泣 - Maux de tête dus à un reflux
où les circulations à la tête sont douloureuses
le cœur est triste
on a tendance à pleurer
On peut comprendre que le foie pousse les souffles en contre-courant vers le haut, où les circulations de sang et souffles, congestionnées, deviennent douloureuses. Mais en même temps, il empêche le poumon de faire descendre et induit un blocage à son niveau. Le cœur ne bénéficie plus de l’élan procuré par le foie pour l’aider à faire circuler, mais souffre du
blocage ; d’où la tristesse. La tendance à pleurer est forte car le contre-courant venant du foie fait pression sur les liquides à l’œil.
Quand on parle du blocage des souffles, de la difficulté à faire circuler le sang, de l’atteinte portée au cœur et du manque de communication de ce dernier, on énonce en fait le dysfonctionnement de ce qui doit protéger le cœur et le faire communiquer avec le reste de l’être : le 心包絡 xīn bāoluò ou protection (包 bāo) et connexions (絡 luò) propres au cœur (心 xīn).
Ainsi quand on décrit une situation où les pervers ont atteint le cœur, on parle en fait d’une situation où le xīn bāoluò est atteint, c’est-à-dire une situation où le système de connexions propre au cœur est gêné, empêché d’accomplir sa tâche.
- 邪在心
則病心痛
喜悲時眩仆
視有餘不足而調之其輸也 - Quand les pervers sont au cœur
le malade a des cardialgies
avec une tendance à être triste
parfois il tombe à la renverse sans connaissance
Les souffles pervers font pression sur la région du cœur. La tristesse ici n’est pas un sentiment dû à un deuil ou un événement réel; elle est le résultat du changement induit dans le mental, la sensibilité, c’est-à-dire le cœur, par le blocage des souffles.
Si ce blocage s’aggrave, les communications sont complètement fermées; le cœur, les esprits, la faculté d’être conscient, ne sont plus présents au niveau des organes des sens, et l’on perd connaissance.
À l’inverse, la tristesse compromet la bonne distribution du sang, empêche les xīn bāoluò de commander régulièrement les circulations sanguines
(血脉 xuè mài). Les effets peuvent atteindre différentes parties du corps, comme le bas-ventre où l’utérus collecte le sang, où l’intestin grêle garde séparés les liquides corporels et le sang en contrôlant son feu.
- 悲哀太甚
則胞絡絕
胞絡絕
則陽氣內動
發則心下崩數溲血也 - Quand tristesse et affliction sont intenses
les protections vitales et leurs connexions se rompent
s’étant rompus, les souffles yang s’agitent à l’interne
Quand ça se déclenche
le Cœur fait descendre sous forme d’hémorragie utérines et de fréquentes hématuries
Le chapitre 39 du Suwen, nous montrait la tristesse faire obstacle aux circulations qui partent de la poitrine, et comment les souffles, bloqués, disparaissaient, détruits par la chaleur. Au chapitre 44 du Suwen, les connexions propres aux protections vitales s’interrompent sous la pression des souffles, et les souffles yang, emprisonnés, s’excitent et créent l’agitation. Le sang sort de ses conduits, et même du corps, sous la pression de la chaleur.
胞絡 bāo luò
Les connexions propres aux protections vitales, peut s’entendre
ici de plusieurs manières :
- C’est le 心包絡 xīn bāoluò, les enveloppes qui protègent le cœur et les réseaux de connexions qui en émanent pour relier tout l’être au cœur, centre de la vitalité consciente et maître de la circulation régulière du sang. La chaleur excessive de la région du cœur trouble la norme de circulation qu’il donne au sang; la manifestation se fait au niveau de l’orifice inférieur antérieur.
- C’est le vaisseau d’assaut, qui donne la première norme d’organisation de la circulation du sang dans l’être en formation et qui se diffuse dans la poitrine.
- Ce sont les trajets de souffles liés à l’utérus, là où une nouvelle vie s’enveloppe et se protège, en lien avec les reins chez la femme.
Quoiqu’il en soit, il y a mauvais épanouissement des souffles, obstruction et chaleur provoquant des ébranlements à l’interne ; la défense et les communications du cœur sont mal assurées; les reins sont impliqués et le foie aussi.
Le foie est impliqué à plusieurs titres : il thésaurise le sang, c’est-à-dire qu’il régule la quantité de sang à garder en réserve ou à libérer dans le corps, pour un effort musculaire, pour les menstrues …etc. Il donne l’élan pour les circulations et les émissions, jusqu’à la sortie hors du corps; à ce titre, il participe à la régulation des orifices inférieurs. Privé d’essences, de yin,
pour contrebalancer son mâle dynamisme, le Foie s’emporte, génère une chaleur qui produit ces circulations erratiques du sang au bas-ventre. L’intestin grêle, associé au feu, est particulièrement sensible à cette chaleur; elle peut perturber son fonctionnement et provoquer des hématuries. Le cœur peut également transmettre sa chaleur à l’intestin grêle.