Tristesse

La tristesse et le foie

On a déjà vu le foie impliqué à plusieurs reprises dans les pathologies liés à la tristesse. Il est présenté soit comme la principale cause de la tristesse, soit comme la fonction qui en souffre ; que le poumon domine le foie dans le cycle de domination n’est pas étranger à ce fait.

Le chapitre 19 du Suwen indique qu’en cas de tristesse, les souffle du poumon chevauchent ceux du foie.

Dans le chapitre 24 du Lingshu, l’agitation du foie, produite par le vent,
induit un contre-courant de souffles qui gêne et affaiblit les communications du cœur et fait qu’on se sent facilement triste.
Mais la tristesse porte atteinte au foie aussi parce que la disparition des souffles, rongés intérieurement, prive le foie du dynamisme nécessaire à son bon fonctionnement.

肝悲哀動中則傷魂
魂傷則狂忘不精
不精則不正
當人陰縮而攣筋
兩脅骨不舉
毛悴色夭死於秋
Quand le foie est en proie à la tristesse et à l’affliction, on s’émeut au centre
Alors se produit une atteinte aux hun
Les hun atteints, on perd la raison et on devient oublieux, on est sans essences
Etant sans essences, on ne peut plus assurer la norme
C’est la situation où l’appareil yin se contracte, où le musculaire se crispe
Où les côtes de part et d’autre ne peuvent plus se soulever
Les poils deviennent cassants et on donne tous les signes de la mort prématurée
On meurt à l’automne

La tristesse s’oppose à l’élan joyeux vers l’épanouissement qui est propre au foie. La tristesse est un refus ; elle contredit notre propre désir d’aller de l’avant. Pourquoi êtes-vous si triste ? Parce que vous n’avez pas le goût de l’effort spontané qui fait le mouvement vital.

La tristesse devient une inversion de la vitalité. Au lieu d’étendre ses branches et ses feuilles en toutes directions, cette plante au printemps que je suis, retourne contre soi-même son impetus ; voilà maintenant que je m’attaque à mon intériorité.

L’effet produit est immanquable. Les âmes hun, qui sont intelligence et sensibilité, réflexion et imagination, contrariés dans leur dégagement et leur libre mouvement, s’affolent et s’oublient. Une folie qui va jusqu’à la fureur. La rage est associée à l’oubli, car on ne peut plus faire retour à sa propre mémoire, jusqu’à la destruction de la personnalité.

Le foie se vidant de sa substance, il n’ a plus rien pour tenir les hun, pour revenir à la raison. Le sang n’offre plus un lieu d’expression aux hun, car il est dénaturé par l’agitation et parce que le contact avec le cœur est rendu difficile par le blocage des souffles. Les essences qui s’expriment dans le sang du foie finissent par manquer.

L’absence d’essences, en rapport avec le foie, perturbe la rectitude de la menée de la vie qui dépend de la fidélité des hun à l’inspiration des esprits.

La vésicule biliaire, l’aspect le plus yang, le plus mâle du foie, est impliquée, car elle n’assure plus la rectitude et la justesse des conduites.

La normalité devient égarement; les souffles corrects ne peuvent plus se dégager des essences déficientes; le centre est ébranlé, la norme n’a plus d’assise.

D’aucun diront que le yang du foie et de la vésicule biliaire, trop fort, devient inflammation, feu qui se retourne vers le poumon, pour lui nuire par l’inversion du cycle de domination ; belle expression de l’involution, quand on retourne contre soi ses forces vives, au lieu de les déployer.

Le sang ne suivant plus sa voie et les communications avec le cœur étant interrompues, comment les hun pourraient-ils recevoir l’illumination des esprits du cœur, pour s’y conformer et les suivre fidèlement ?

Les hun n’étant plus inspirés, la perte du sang diminuant les essences, le cerveau s’affaiblit, les essences ne resplendissent plus de la présence des esprits pour le bon fonctionnement des orifices supérieurs. L’intelligence et la clarté, qui sont en dépendance des Hun, sont atteintes ; d’où les phénomènes de folie et d’oubli. Cette folie est furieuse, car c’est une chaleur et une agitation yang.

Le foie maîtrise l’activité musculaire ; c’est dire qu’il donne le dynamisme et la vigueur qui fait la force du mouvement en même temps qu’il libère la quantité de sang requise par le muscle concerné pour l’effort. Si les essences sont asséchées au niveau du foie, il n’y a plus assez de sang pour irriguer les muscles; crispation et nouure s’y manifestent. L’endroit central,
au bas-ventre, dans la région du périnée, est parcouru par le méridien du foie qui sous-tend la musculature des organes génitaux; il se contracte et se rétracte, ne pouvant plus se déployer.

Les côtes sont parcourues par le méridien de foie et le méridien de vésicule biliaire. L’immobilisation de cette région est une conséquence de la rétraction de l’appareil génital et de la crispation du musculaire. C’est aussi la zone de l’emplacement du foie et le signe que l’atteinte est maintenant à son point extrême d’involution.

Les effets dévastateurs de la tristesse qui naît à l’interne et change la vie à partir de son centre culminent finalement, comme c’est le cas pour toute émotion perturbant durablement et fortement l’être, dans la mort.

La mort est à l’automne, saison où le yang cède devant le yin, où le mouvement de retour en soi doit être amorcé. L’embarras déjà installé se redouble des effets d’ambiance yin que la saison d’automne apporte avec elle. On meurt à l’automne, et à toute période ayant la nature de l’automne. On meurt quand tout est au recueillement – mais on n’a déjà plus d’épanouissement, ni d’essences. On meurt à la récolte des souffles – mais ils sont anéantis – et à la mise en abri des esprits – mais ils ne sont plus gardés par les essences déficientes ou confortés par les hun atteints.

Tristesse et colère

La tristesse peut engendre la colère suivant un processus simple. La tristesse bloque les circulations des souffles, ce qui exerce une pression sur le foie, gêne son dynamisme. Le blocage des souffles du foie entraîne une chaleur réactive qui va chauffer le sang et exciter le yang, induisant une situation de colère. C’est une évolution que l’on observe par exemple dans
des cas de deuil intense, où la personne se met en colère contre l’être cher qui est mort, sans aucune raison particulière.

La colère, détail, pierre noire, sur papier blanc jauni. Charles Le Brun
La colère, détail, pierre noire, sur papier blanc jauni. Charles Le Brun (1619-1690)

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