Traduction d’un texte de Chen Yaoting intitulé 陈耀庭先生谈太极拳先师们对腰胯练法的要求 publié le 1 octobre 2021 sur le site sohu.com
Chen Yaoting (陈耀庭), né en janvier 1937 à Hangzhou, est professeur à l’Université de Chimie de Pékin et un scientifique renommé dans le domaine des matériaux en Chine. Il bénéficie d’une allocation spéciale du Conseil d’État. Amateur de taiji quan, il a commencé à apprendre la forme traditionnelle du style Yang auprès de Niu Chunming au début des années 1950. Dans les années 1960, après avoir déménagé à Pékin, il a suivi l’enseignement de Liu Wancang (刘晚仓), un maître réputé du style Wu de Taijiquan, et a étudié ce style ainsi que le tuishou (poussée des mains) pendant plus de dix ans. Durant les années 1970 et 1980, il a appris la forme traditionnelle du style Yang transmise par Wang Yongquan sous la direction de Gao Zhankui et Zhu Huaiyuan. Il a également reçu les enseignements de grands maîtres de l’ancienne génération tels que Wu Tunan, Yang Yuting, Wang Peisheng (王培生), Sun Jianyun (孙剑云) et Hao Shaoru (郝少如). Actuellement, il est vice-président honoraire de l’Association de recherche sur le taiji quan de Wang Yongquan à Pékin.
Pour bien pratiquer le taiji quan, le rôle des hanches (胯 kuà) et de la taille (腰 yāo) est essentiel, cela est connu de tous. Cependant, en observant les méthodes d’entraînement de nombreuses personnes aujourd’hui, il semble qu’elles diffèrent, voire contredisent, les exigences des maîtres renommés de taiji quan. Je souhaite partager les enseignements que j’ai reçus et observés auprès de mes maîtres au cours des près de soixante dernières années sur les méthodes d’entraînement des hanches et de la taille, afin de fournir une référence aux passionnés de taiji quan.
松胯 sōng kuà
Les exigences de Niu Chunming concernant la détente de la taille et des hanches
Niu Chunming (牛春明 1881-1961) est un célèbre ancien maître dans le domaine du taiji quan, reconnu pour son habileté exceptionnelle. Dans les années 1920, il accompagna Yang Chengfu (杨澄甫 1883-1936) lors de son voyage vers le sud, avant de rester à Hangzhou. Après la libération, le Premier ministre Zhou Enlai (周恩来 1898-1976) l’a chargé d’enseigner le taiji quan à Mao Zedong (毛泽东 1954-1976). Il enseignait souvent dans le sixième parc du Lac de l’Ouest (西湖 xī hú), et il était très sérieux dans son enseignement, avec des exigences strictes. Il était comme un clou bien enfoncé, ne laissant aucune place à la négligence. Je me souviens d’un homme d’âge moyen qui, dès qu’il exécutait les mouvements, se mettait à s’accroupir. Le maître lui enseigna de ne pas s’accroupir, mais il ne changea pas. Le maître, agacé, pointa du doigt les toilettes du parc et lui dit : « Si tu veux t’accroupir, va là-bas ! » L’homme se mit alors à genoux. Le maître se tourna vers le groupe et, à moitié en plaisantant, dit : « Si vous voulez vous agenouiller, allez chez vous chercher une planche à laver et agenouillez-vous devant votre femme. Ici, il n’y a pas besoin de s’agenouiller. » Cet événement est resté gravé dans ma mémoire à jamais. Il m’a appris que s’accroupir (蹲 dūn), s’agenouiller (跪 guì) et détendre (松 sōng) la taille (腰 yāo) et les hanches (胯 kuà) sont des choses complètement différentes. Cela a été d’une grande valeur pour ma pratique du taiji quan tout au long de ma vie.
毛驴拉磨 máo lǘ lā
Tirer la meule comme un âne ou les exigences de Yang Yuting concernant la pratique du taiji quan
Je me souviens que dans les années 60, je suis allé avec mon ami Chen Huiliang, également pratiquant de taiji quan, rendre visite au vieux maître Yang (杨禹廷 1887-1982) pour lui demander des conseils sur la bonne pratique du taiji quan. Il nous a dit : Le positionnement des jambes doit être comme l’âne qui tire une meule
. À l’époque, je ne comprenais pas pourquoi il comparait ainsi. Mais avec le temps, j’ai profondément ressenti que c’était un principe fondamental de la pratique du taiji quan, un point de départ essentiel et une direction à suivre. Plus j’y réfléchis, plus je réalise combien cet enseignement était précieux.
Le baudet entraîne la meule (毛驴拉磨 máo lǘ lā) signifie que je suis la meule (磨 mò), et l’âne (毛驴 máo lǘ) me tire (拉 lā) dans un mouvement circulaire. Cela permet de détendre la taille (腰 yāo) et d’animer les hanches (胯 kuà). Lorsque l’âne fait tourner la meule, elle ne tourne pas activement, c’est un mouvement passif. En taiji quan, contrairement à la boxe ou à la lutte, il ne faut pas utiliser la force de la taille. Si la taille est utilisée avec force, elle tire les bras et devient rigide, ce qui est incorrect. Les classiques du taiji quan disent que la taille doit être vivante comme une roue de chariot (活似车轮 huó sì chē lún). À l’époque, les roues des chariots (车轮 chē lún) étaient entraînées passivement par des animaux de trait, contrairement aux roues des voitures ou des motos d’aujourd’hui, qui sont activement entraînées. Le baudet entraîne la meule est une méthode spécifique de pratique du taiji quan basée sur le principe d’utiliser l’intention et non la force (用意不用力 yòng yì bù yòng lì). Ici, l’âne représente l’intention (意 yì).
外带内 wài 带 dài nèi
梢带根 shāo dài gēn
Wu Tunan exige que l’extérieur mène l’intérieur, que la pointe mène la racine
Une fois, un ami pratiquant le kung-fu, Chen Huiliang, m’a dit que le vieux Wu (吴图南 1884—1989) avait eu une grosse colère contre Yang Jiacang. La raison en était que Yang Jiacang avait demandé au vieux Wu si, pour pratiquer le taiji quan, il fallait que l’extérieur (外 wài) mène (带 dài) l’intérieur (内 nèi) ou que l’intérieur mène l’extérieur ? Que La pointe (梢 shāo) mène la racine (根 gēn) ou que la racine mène la pointe ? En réponse, le vieux Wu, très en colère, lui avait dit : Tu m’as déjà posé cette question deux fois, je t’ai clairement dit que c’est l’extérieur qui mène l’intérieur, la pointe qui mène la racine. Tu ne me crois pas, alors va-t’en ! Pourquoi tu continues à me suivre !
À l’époque, Yang Jiacang suivait le vieux Wu depuis plusieurs années, et il s’entraînait très bien. Il enseignait même le kung-fu à l’Université de Pékin, et pourtant le vieux Wu était vraiment en colère ! À ce moment-là, j’ai immédiatement compris que cette question devait être très importante. Plus tard, cela est devenu clair pour moi : c’est lié à ce que Yang Yuting disait à propos du baudet qui tire la meule. Si l’on ne pratique pas l’extérieur mène l’intérieur et la pointe mène la racine, alors la taille est rigide, et on ne pourra jamais développer la puissance du taiji quan, on ne pourra pas utiliser la force des autres, et il sera impossible de bouger mille livres avec seulement quatre onces (四两c千斤 sì liǎng ) c’est à dire d’utiliser une petite force pour en contrôler une beaucoup plus grande. C’est pourquoi le vieux Wu était si irrité.
意气君来骨肉臣 yì qì jūn lái gǔ ròu chén
Wang Yongquan et Zhu Huaiyuan exigent de ne pas s’accroupir, de ne pas affaisser la taille et d’utiliser les poignets pour réaliser les postures.
Dans les années 70 et 80, Yu Tonghe et moi avons respectivement appris le taji quan de Gao Zhankui (高占奎) et de Zhu Huaiyuan (朱怀元) . M. Gao et M. Zhu étaient deux des quatre premiers disciples de Wang Yongquan (王永泉 1904-1987). Yu Tonghe, son père, Wang Yongquan et Zhu Huaiyuan étaient de vieux collègues à l’Hôpital Xiehe, et ils étaient très proches. Un jour, Yu Tonghe m’a apporté un petit carnet manuscrit : Les conseils pour les mouvements des mains (揉手须知 róu shǒu xū zhī), un carnet de notes que Zhu Huaiyuan avait prises lorsqu’il apprenait le taiji quan auprès de Wang Yongquan. Je l’ai considéré comme un trésor. Dès la deuxième page, il est précisé de ne pas s’accroupir (不得蹲桩 bù dé dūn zhuāng) et que les mains ne doivent servir qu’à ouvrir l’énergie de la taille (双手只负责给腰劲开门 shuāng shǒu zhǐ fù zé gěi yāo jìn kāi mén). Le vieux maître Wang disait que la taille ne doit pas s’affaisser (腰不能塌 yāo bù néng tā), les pieds ne doivent pas être fermement ancrés (脚不要踩死 jiǎo bù yào cǎi sǐ), les poignets doivent être utilisés pour réaliser les postures (盘架子要用腕子 pán jià zi yāo yòng wàn zi), et il a particulièrement insisté sur l’importance de l’énergie intérieure : Il faut être clair, l’énergie intérieure est le leader, la force motrice principale, tandis que la forme extérieure est l’obéissant, le passif. Les deux doivent être dirigés par l’intention.
(cf. Liu Jinyin, Les notes et les photos des enseignements de Wang Yongquan sur le Tai-chi Yang). Ce passage est une excellente interprétation de la phrase des classiques du taiji quan L’intention est le souverain, les muscles et les os sont les ministres (意气君来骨肉臣 yì qì jūn lái gǔ ròu chén).
Conclusion
以心行气,以气运身 yǐ xīn xíng qì, yǐ qì yùn shēn
Je pense que, pour bien apprendre le taiji quan, il faut d’abord clarifier ce que l’on veut apprendre. Si l’on veut apprendre à emprunter la force (借力 jiè lì) et à utiliser quatre onces pour déplacer mille livres, il faut pratiquer l’intention sans utiliser la force (用意不用力 yòng yì bù yòng lì). Il faut bien saisir les enseignements des maîtres mentionnés ci-dessus, leur persévérance dans leurs conseils ; ne pas s’accroupir, mais guider l’intention, utiliser la pointe des doigts, garder la taille flexible, sans utiliser de force … Si l’idée de « faire circuler l’énergie avec l’esprit, et faire bouger le corps avec l’énergie » est difficile à comprendre, je pense que les métaphores des maîtres ci-dessus sont faciles à saisir. La question est de savoir si l’on va vraiment s’entraîner de cette manière. Le maître Zhu Huaiyuan disait : « Il est interdit d’utiliser la force, de chercher ou de poser des questions de manière désordonnée sur le corps de l’adversaire, et surtout, il est interdit de pousser ou de saisir l’autre avec les mains ». Il a formé de nombreux experts en taiji quan, comme Li Hesheng, Shi Ming, Zhu Chunxuan, etc, ce qui montre que ses méthodes d’enseignement sont efficaces.
Si quelqu’un me demandait comment bien pratiquer le taiji quna, lors de la réunion inaugurale du site « China Tai Chi Network », j’avais écrit les quelques vers suivants :
两手春风拂杨柳,
双脚犹如踩浮舟,
南屏晚钟悬百会,
静听宏音扬全球。
Les deux mains caressent le saule telles un vent printanier,
Les deux pieds semblent marcher sur un bateau flottant,
Au sud, le carillon du soir se suspend au sommet de la tête,
Le grand son résonne dans le monde entier et se conforme au silence.
Cela signifie que : les deux mains (两手 liǎng shǒu) doivent non seulement être aussi souples que des saules flottant au vent, mais plus important encore, elles doivent être animées par le vent du printemps (春风 chūn fēng) , elles sont passives, et le vent de printemps représente l’intention (意 yì). Les deux pieds ne doivent pas être figés, ils doivent avoir une capacité de mouvement, comme si l’on était sur un bateau, ce qui est évoqué dans le manuel des coups, « flottant et ondulant dans les vagues, léger en haut, lourd en bas, sans tomber ni se renverser ». La troisième phrase parle de la posture du corps, qui doit être droite, comme une cloche en cuivre suspendue dans un temple, diffusant des ondes sonores. Tandis que l’esprit doit être calme, l’intention doit être flexible, il ne faut pas penser à frapper quelqu’un, ni être trop attaché à un objectif, mais plutôt se laisser emporter par les grandes ondes sonores se diffusant dans l’espace.