À l’instar du saint Graal convoité naguère par quelques chevaliers et aventuriers, votre quête de la panthère des neiges est-elle initiatique ?
Quand on monte vers les bêtes (j’utilise le verbe monter car on va vers elles avec sérieux, comme un scout monte à la troupe, comme un grimpeur monte vers un sommet, dans le matin, en sortant du refuge sombre), quand on monte vers les bêtes, on prend le chemin initiatique. Qu’allais-je chercher en répondant à l’invitation de Vincent Munier (photographe animalier) ? Une bête que je croyais disparue. Un fragment de la perfection du monde. Un éclat de la beauté en ordre. Une ombre très fugace, reine de dissimulation. Le reflet d’images éteintes en moi. Un fragment jusqu’à nous parvenu d’une forme de vie unique (n’oublions pas que Charles Darwin, conspué par les monothéistes de tout poil, parlait dans L’Origine des espèces « d’un seul grand système naturel »). Je ne savais pas que j’allais chercher ces trésors, mais quand j’ai rencontré le fauve, j’ai su que je les avais trouvés. Pascal, dans sa sublime apostrophe, parle-t-il de Dieu ou de la panthère des neiges : « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais trouvé » ? C’est là la grâce magique et pascalienne de l’affût animalier. On sait qu’on ne sait pas encore ce que l’on comprendra quand on verra ce qui n’apparaîtra peut-être pas ! Saint Jean de la Croix le disait plus spirituellement dans une glose: « Pour la tout entière beauté/ ne risquerai quoi que ce soit/ sinon pour un je-ne-sais-quoi/ que d’aventure on peut trouver. » Avant lui, saint Augustin eut la même intuition quand il priait la « Beauté » qu’il avait pensé trouver « au dehors de lui-même », alors qu’elle se tenait « au-dedans ». Vous avez donc raison d’évoquer « la quête initiatique » vers le saint Graal. Jung donne cette définition du Graal dans L’Homme et ses symboles : « la plénitude intérieure que les hommes ont toujours cherchée ». La panthère fut ma plénitude. Montrez des animaux aux hommes, ils se calmeront. Que l’humanité se mette à l’affût des bêtes ! Ce serait le moyen d’en finir avec la pétaudière. Le drame, c’est que l’homme préfère regarder son reflet. Et ce qu’il voit le rend mauvais.
Sylvain Tesson in Les mots blessés
- Les mots blessés | Revue Esprit
- Tibet : Vincent Munier et l’insaisissable panthère des neiges | Alpine Mag