Quelques pas avec Alan Watts

Alan Wilson Watts (1915–1973) est l’un des pères de la contre-culture en Amérique. Philosophe, écrivain, conférencier et expert en religion comparée, il est l’auteur de vingt-cinq livres et de nombreux articles traitant de sujets comme l’identité individuelle, la véritable nature des choses, la conscience et la recherche du bonheur. Dans ses ouvrages, il s’appuie sur la connaissance scientifique et sur l’enseignement des religions et des philosophies d’Orient et d’Occident (bouddhisme Zen, taoïsme, christianisme, hindouisme). Par ailleurs, il était intéressé par les nouvelles tendances apparaissant en Occident à son époque, et se fit l’apôtre d’un certain changement des mentalités quant à la société, la nature, les styles de vie et l’esthétique. Alan Watts était un autodidacte réputé et c’est son interprétation des philosophies asiatiques qui l’a rendu populaire.

Alan Watts nous invite à aller au-delà des mots. Il ébranle notre conception du monde, de la vie et des relations pour nous conduire dans l’abîme fécond de notre propre être.

Des pensées

Une personne qui pense tout le temps n’a rien d’autre à penser que les pensées elles-mêmes, de cette façon elle perd le contact avec la réalité et est destinée à vivre dans un monde d’illusions.

Alan Watts

Grâce aux pensées, nous pouvons voyager dans le futur, dans le passé et n’importe où ; nous pouvons nous raconter des histories, imaginer des succès, rêver, faire des projets, imaginer nos amis à nos côtés, réfléchir, créer, espérer. Mais nous pouvons aussi nous angoisser, renoncer avant même d’avoir essayé, nous démoraliser, nous inquiéter, imaginer des choses invraisemblables et y croire de toutes nos forces. 

Les incroyables capacités de l’esprit humain à pouvoir penser est à la fois un chance et un fardeau. Leur bon usage nous aide à mieux réfléchir et leur mauvais usage à mieux nous faire souffrir. Penser ce n’est pas seulement avoir des idées, c’est former et combiner des idées et des jugements. 

Pour Alan Watts, il n’y a pas de meilleur moyen de les gérer que de s’abandonner à l’évidence du présent, au lien profond avec ce que nous sommes et ressentons maintenant.

Des mots

Les mots ne peuvent exprimer plus qu’un petit fragment de la connaissance humaine, car ce que nous pouvons dire et penser est toujours immensément moins que ce que nous vivons.

Alan Watts

La langue est un instrument social, un outil inventé par l’homme capable de générer des réalités qui facilitent la compréhension – et la rendent difficile, selon les cas. Sa richesse nous permet une grande précision, mais elle a ses limites. Parce que parfois, les mots, parlés ou écrits, ne suffisent pas à donner une résolution acceptable à ce que nous ressentons, pour que les autres puissent le voir. Le problème est de s’en tenir au réductionnisme du langage et de prendre pour acquis que nous ne pouvons pas aller plus loin. Ce serait un peu comme rester myope face au monde des sensibles, de l’expérience, et c’est simplement vivre à mi-chemin, voire beaucoup moins. C’est pourquoi Alan Watts s’est montré préoccupé par cette question.

Telle saveur, tel parfum m’ont plu quand j’étais enfant, et me répugnent aujourd’hui. Pourtant je donne encore le même nom à la sensation éprouvée, et je parle comme si, le parfum et la saveur étant demeurés identiques, mes goûts seuls avaient changé. Je solidifie donc encore cette sensation ; et lorsque sa mobilité acquiert une telle évidence qu’il me devient impossible de la méconnaître, j’extrais cette mobilité pour lui donner un nom à part et la solidifier à son tour sous forme de goût. Mais en réalité il n’y a ni sensations identiques, ni goûts multiples ; car sensations et goûts m’apparaissent comme des choses dès que je les isole et que je les nomme, et il n’y a guère dans l’âme humaine que des progrès. Ce qu’il faut dire, c’est que toute sensation se modifie en se répétant, et que si elle ne me paraît pas changer du jour au lendemain, c’est parce que je l’aperçois maintenant à travers l’objet qui en est cause, à travers le mot qui la traduit. Cette influence du langage sur la sensation est plus profonde qu’on ne le pense généralement. Non seulement le langage nous fait croire à l’invariabilité de nos sensations, mais il nous trompera parfois sur le caractère de la sensation éprouvée. Ainsi, quand je mange d’un mets réputé exquis, le nom qu’il porte, gros de l’approbation qu’on lui donne, s’interpose entre ma sensation et ma conscience ; je pourrai croire que la saveur me plaît, alors qu’un léger effort d’attention me prouverait le contraire. Bref, le mot aux contours bien arrêtés, le mot brutal, qui emmagasine ce qu’il y a de stable, de commun et par conséquent d’impersonnel dans les impressions de l’humanité, écrase ou tout au moins recouvre les impressions délicates et fugitives de notre conscience individuelle. Pour lutter à armes égales, celles-ci devraient s’exprimer par des mots précis ; mais ces mots, à peine formés, se retourneraient contre la sensation qui leur donna naissance, et inventés pour témoigner que la sensation est instable, ils lui imposeraient leur propre stabilité.

Henri Bergson in Essai sur les données immédiates de la conscience

De la voie

Quand nous faisons de la musique, ce n’est pas pour atteindre un certain point, qui serait, par exemple, la fin du morceau. Si tel était le but de la musique, le meilleur exécutant serait évidemment le plus rapide.
Et quand nous dansons, nous ne nous déplaçons pas pour atteindre un certain endroit, un lieu donné, comme en voyage. Quand nous dansons, c’est le voyage même qui est le but; quand nous faisons de la musique, c’est la musique qui est à elle-même sa propre fin.

Alan Watts

Le plaisir du chemin est beaucoup plus enrichissant que l’atteinte d’un succès ou d’un objectif. L’expérience de chaque instant, le lien avec le présent est ce qui nous donne la conscience de l’existence réelle.

Dans nos pratiques, taiji quan, qi gong, celles ou ceux qui veulent obtenir quelque chose, qui sont dans l’avoir, abandonne rapidement ou si ils continuent, cette volonté génère une tension qui les empêchent de progresser. Les arts internes se dévoilent à ceux qui s’ouvrent à l’expérience de l’instant, au plaisir et à la richesse de l’étude.

Du présent

Si ma conscience de l’avenir et du passé me rend moins conscient du présent, je dois commencer à me demander si je vis vraiment dans le monde réel.

Alan Watts

Le temps n’est que dans la mesure où il est présent. Le présent du passé, c’est la mémoire, le présent de l’avenir, c’est l’attente, le présent du présent, c’est la perception.

Tu dois vivre dans le présent, te lancer au-devant de chaque vague, trouver ton éternité à chaque instant.

Henry David Thoreau

Vivre l’instant présent, c’est alors être présent à soi et au réel. Nos esprits, en activité incessante entre nos impressions du passé et nos projets pour l’avenir, entre nos préjugés et nos appréhensions semblent s’opposer à une telle possibilité. Dès lors, il ne s’agit pas de refuser la pensée du passé et du futur, puisqu’elle nous est essentielle pour penser et parler, mais de ne plus nous identifier entièrement à elle. 

Du détachement

Le détachement, c’est ne pas avoir de remords pour le passé ni de peur pour l’avenir ; laisser la vie suivre son cours sans essayer d’interférer avec son mouvement et son changement, sans essayer de prolonger les choses agréables ou de faire disparaître les choses désagréables. Agir ainsi, c’est se mouvoir au rythme de la vie, être en parfaite harmonie avec sa musique changeante, c’est ce qu’on appelle l’illumination.

Alan Watts

S’accrocher aux choses, aux situations et aux personnes, c’est construire des murs qui empêchent l’art d’avancer avec la vie et qui ne génèrent en nous que de la souffrance. Nourrir les idées d’appartenance, de contrôle et de pouvoir nous éloigne de notre essence la plus authentique pour nous placer dans l’univers terrestre de la matière et dans la dualité plaisir-désagrément. L’art de savoir renoncer est la clé pour se libérer des pièges des attentes et du désir. Et une fois atteint, il sera beaucoup plus facile de se connecter à un état de plénitude et d’harmonie.

Le grand maître Cheng Man Ching nous invite à investir dans la perte, il ne s’agit pas bien sur d’une vision masochiste mais d’être disponible au changement, si nous sommes dans la peur de perdre, la résistance, nous sommes alors trop rigide pour pouvoir nous adapter.

De l’impermanence

Plus une chose a tendance à être permanente, plus elle est sans vie.

Alan Watts

L’impermanence est la loi de la temporalité, la loi qui dit que rien ne reste parce que tout change constamment. Bien qu’aujourd’hui nous semble être la même chose qu’hier, il y a des différences, non seulement autour de nous, mais aussi en nous. Accepter l’impermanence, l’intégrer dans notre philosophie de vie, est le premier pas pour nous libérer des illusions du désir, de l’ego, de l’ignorance et de la passion débridée pour les expériences sensibles.

La plupart des activités humaines sont conçues pour rendre permanentes les expériences et les joies qui ne sont adorables que parce qu’elles changent.

Alan Watts

Nous détestons l’incertitude et tout ce qu’elle implique, comme le fait de ne pas avoir le contrôle. Le problème, c’est que nous ne savons pas – ou ignorons parfois – qu’il n’y a rien de sûr autour de nous, donc qu’il y a beaucoup d’illusions dans tout ce que nous croyons. En réalité, dès que nous commençons à croire en la sécurité, nous créons la possibilité de souffrir pour quelque chose, de nous abandonner au réseau des besoins et des peurs.

De l’interdépendance

Chaque personne est une manifestation unique du tout, puisque chaque branche est une extension particulière de l’arbre.

Alan Watts

C’est l’une des phrases d’Alan Watts les plus liées à la philosophie bouddhiste Selon celle-ci les choses existent dépendantes les unes des autres pour des causes et des conditions qui sont en flux constant, en interaction permanente. Seuls, elles seraient dénuées de sens.

Ce concept identifie le mouvement et l’interaction comme une condition fondamentale de la conscience de l’existence. Ainsi, lorsque nous nous immergeons dans la dualité, lorsque notre esprit crée la séparation des entités et s’immerge à son tour dans l’identité personnelle, alors la souffrance devient possible.

Le Ciel et la Terre n’embrassent pas qu’une seule chose, le Yin et le Yang n’enfantent pas qu’une seule espèce, l’océan ne laisse pas aux sources d’eau le soin d’accomplir son immensité, les montagnes ne laissent pas à la terre et aux pierres le soin d’accomplir leur altitude. Ne garder qu’un seul angle et négliger les dix mille directions, ne prendre qu’une seule chose et abandonner les autres, c’est n’obtenir que peu et n’ordonner que superficiellement.

Huainan zi

Lorsque l’individu devient conscient de son interdépendance avec l’environnement, il pense en termes de complexité, de globalité et de relations.

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