Différencier le yin du yang

Les pratiquants de taijiquan considèrent parfois le yin et le yang comme les deux faces d’une même pièce, et cela peut sembler être une analogie appropriée pour le yin et le yang unis en un tout. Mais un principe important du taijiquan est de différencier clairement le yin du yang.  On peut désigner un côté d’une pièce comme face et l’autre comme pile en se basant sur des marques différentes, mais cette pièce se comporterait de la même manière que si elle deux côtés identiques. Si une pièce se comporte de la même manière, que pile ou face soit vers le haut, alors le yin et le yang ne sont pas différenciés.

Les changements qui arrivent dans le mouvement sont proportionnels à la force motrice ; et se font dans la ligne droite dans laquelle cette force a été imprimée. 

Isaac Newton in Philosophiae naturalis principia mathematica

Si on fait glisser deux pièces sur une table pour qu’elles entrent en collision, peu importera les côtés orientés vers le haut. La force de la collision dépendra simplement de la masse multipliée par l’accélération.

Le taijiquan ne repose pas, ou ne concentre pas sa philosophie ou ses méthodes d’entraînement, sur la force ou la vitesse. Les pièces n’ont de masse et d’accélération que lorsqu’elles entrent en collision, bien qu’elles aient deux côtés désignés différemment : pile et face. Parce que les pièces de monnaie ne peuvent pas voir leurs côtés yin et yang se comporter différemment les uns des autres, les pièces de monnaie ne peuvent pas utiliser leurs différentes faces d’une manière qui différencie le yin du yang.

Pour illustrer la séparation du yin et du yang, un disque circulaire peut être utilisé, mais il est plus facile d’utiliser un équipement de vélo plutôt qu’une pièce de monnaie. Les dents de l’engrenage du vélo engagent la chaîne pour transmettre la puissance des pédales à la roue arrière. Si l’on appuie uniquement sur les pédales, ils alternent le pied qui fournit la puissance en appuyant d’abord sur une pédale, puis sur l’autre. Chaque pied/jambe alternerait le yang (pousser la pédale vers le bas) et le yin (se détendre pendant que la pédale continue de monter), ce qui différencierait le yin du yang.

刚柔相济 gāng róu xiāng jì

Si, toutefois, on porte des cale-pieds (pour fixer les chaussures aux pédales), alors la course descendante et la course ascendante peuvent être utilisées pour alimenter le vélo. Cela différencierait non seulement le yin du yang, mais représenterait également le fort, le dur (刚 gāng) et le souple, le flexible, le doux (柔 róu) s’aidant mutuellement (相济 xiāng jì). En raison de la nature de l’engrenage circulaire et du cycle produit par sa rotation, il est à la fois capable de différencier le yin du yang et de les faire s’entraider. Cette expression cyclique de la puissance est souhaitable dans la pratique du taijiquan.

Alors que l’alternance entre le yin et le yang est nécessaire pour propulser un vélo, ce qui est requis lors de la pratique du taijiquan est moins clair. Par exemple :

  • Comment différencier clairement le yin du yang en se tenant les deux pieds au sol ? 
  • Peut-on avoir le yin et le yang qui s’entraident dans les jambes plutôt que d’alterner simplement entre le yin et le yang lorsque l’on déplace leur poids ?

Il convient de distinguer clairement le “vide” du “plein”. Chaque partie du corps a un aspect de “vide” et de “plein”, chaque partie n’est en fait que “vide” et “plein”. Le corps, articulation par articulation, est relié, sans qu’il y ait la moindre discontinuité.

五弓 wǔ gōng

Puisqu’il est considéré qu’il y a cinq (五 wǔ) arcs (弓 gōng) dans le corps capables de produire de la puissance, les deux jambes, le torse/la colonne vertébrale et les deux bras, on peut aborder le yin et le yang en les différenciant clairement et en voyant comment ils s’aident mutuellement, dans ces différents segments du corps.

Un arc tiré a une énergie potentielle stockée jusqu’à ce que la corde soit relâchée pour tirer la flèche. Cette énergie potentielle est obtenue un peu différemment que dans le corps puisque le matériau du côté extérieur de l’arc est étiré et le matériau de la surface intérieure est comprimé et, lorsque la corde est relâchée, ils tentent de retrouver leur forme originale (inhérente). Ainsi, un côté de l’arc est yang (se dilatant ou poussant) tandis que l’autre est yin (se contractant ou tirant). Dans les jambes, les muscles extenseurs (yang) sont à l’avant de la jambe et tirent sur les os pour étendre la jambe, tandis que les muscles fléchisseurs (yin) sont à l’arrière de la jambe et tirent sur les os pour plier la jambe. Mais nous pouvons toujours avoir les muscles yin et yang préparés à l’action simultanément mais sans tension isométrique (où les muscles fléchisseurs et extenseurs sont tendus et l’angle articulaire est «verrouillé» dans un angle immuable).

Les jambes poussent contre le sol afin d’empêcher notre corps de s’effondrer en réponse à la force de gravité. C’est l’aspect yang. Afin d’éviter d’avoir juste du yang dans les jambes, on apprend à maintenir une certaine flexion des genoux et à éviter de bloquer les jambes droites. De plus, l’image de tirer le torse vers le bas, comme lorsque l’on s’abaisse sur une chaise, aide à établir le potentiel d’avoir du yin (tirer l’énergie vers le bas) dans les jambes. Nous voulons que les jambes aient une élasticité comme lorsque nous sautons d’une chaise et atterrissons sur le sol. Se réceptionner en laissant juste les jambes s’enfoncer dans le sol rend l’atterrissage très raide et peut même entraîner des blessures : c’est se réceptionner avec les jambes seulement yang. De même, nous ne pouvons vouloir que nos jambes soient seulement yin car des jambes totalement détendues ne nous récupèreraient pas et nous tomberions au sol.

Avoir à la fois les muscles extenseurs préparés pour projeter la force (ou pousser) et les muscles fléchisseurs préparés pour recevoir la force (ou tirer), simultanément, est une condition que nous désirons que nos deux jambes maintiennent afin d’avoir le yin et le yang simultanément. Ceci peut être accompli par la nature du réflexe d’étirement. Le réflexe d’étirement est une action réflexe de recrutement automatique (sans besoin de commandes conscientes) qui tente de maintenir les angles articulaires. Si l’angle de l’articulation est soudainement modifié sans que la personne ait l’intention de le faire, les fibres musculaires sont automatiquement recrutées pour contrer ce changement involontaire. Cette réaction est réflexive et est donc extrêmement rapide [c’est ce que l’on voit lorsqu’un médecin tape sur le tendon sous le genou lors de la vérification des réflexes d’un patient, ce qui entraîne le coup de pied].

Mais les humains ne parviennent généralement pas à maintenir cet équilibre yin~yang. Les débutants alternent yin et yang lorsqu’ils déplacent leur poids vers l’avant ou vers l’arrière, cela les obligea à se lever lorsqu’ils redressent une jambe (yang) avant de retomber lorsqu’ils plient l’autre jambe (yin). Pour contrer cette tendance, les élèves apprennent à maintenir une hauteur constante (sauf pour quelques mouvements spécifiques) lors de la pratique de leurs formes. La situation où le corps est surélevé parce que les deux jambes sont étendues peut être considérée comme étant « à double poids ». Dans ce cas, le poids est réparti uniformément entre les jambes, et les deux expriment le yang (yin minimal) et pourraient correctement être désigné comme à double poids. Mais la double pondération peut également être considérée comme un concept plus large et peut être appliquée à ce qui se passe dans une seule jambe, quelle que soit la répartition du poids.

推手 tuī shǒu

Même les pratiquants expérimentés échouent souvent à maintenir la qualité yin~yang dans leurs jambes lorsqu’ils pratiquent la poussée ( 推 tuī) des mains (手 shǒu). Ils se battent obstinément comme des bœufs au lieu d’utiliser leurs compétences, leurs capacités ou leur intelligence (顶牛 dǐng niú).  Se battre obstinément comme un bœuf est yang plus yang et est généralement observée chez les animaux où les deux pattes arrière poussent avec force contre le sol afin de propulser le corps vers l’avant pour heurter un rival. La ou les pattes arrière deviennent alors yang plutôt que de maintenir yang plus yin (ou yin plus yang). S’il n’y a pas de qualité pour recevoir de l’énergie (ou tirer), alors il y a un minimum de yin. Non seulement les animaux utilisent le yang plus yang (ou la double pondération), mais ils utilisent également la force contre la force, deux qualités indésirables dans la pratique du taijiquan.

Pour éviter cette erreur, il faut connaître (la théorie) du Yin et du Yang… Le Yang est inséparable du Yin, le Yin est inséparable du Yang ; quand le Yin et le Yang se complètent mutuellement, alors on peut comprendre ce qu’est l’énergie. Après l’avoir compris, plus on s’exerce, plus on acquiert d’habileté, en silence on connaît par soi-même et estime (ses progrés) et l’on en arrive à ce que le corps peu à peu suive entièrement les désirs de l’esprit. L’idée fondamentale est qu’il faut s’oublier et suivre l’adversaire.

Wang Zongyue, traduction de Catherine Despeux in Taiji Quan : Art martial – Technique de longue vie

含胸拔背 hán xiōng bá bèi

Dans le torse, nous voulons que l’énergie du dos soit yang et s’étende vers le haut jusqu’au sommet de la tête. Simultanément, nous voulons que l’énergie du devant descende jusqu’au plancher pelvien. Cela crée un cycle autour du corps (correspondant à «l’orbite microcosmique» de l’énergie). Pour illustrer cela, on peut tenir ses mains avec les paumes jointes (comme pour prier) et pousser une main légèrement vers le haut pour représenter l’énergie du dos qui monte/se dilate (yang) tandis que l’autre main s’enfonce pour représenter l’avant du corps qui s’enfonce (yin). Le résultat est que le « dos » se soulève en même temps que le « devant » devient concave, comme le préconise la littérature du taijiquan. Cela produit le cycle complémentaire yin plus yang dans le torse, et cela doit être maintenu dans la posture, qu’il s’agisse d’émettre ou de recevoir de l’énergie/de la force.

Nous voulons également maintenir un cycle d’énergie autour de nos bras. Les surfaces externes, avec les muscles extenseurs, sont yang tandis que les surfaces internes, avec les muscles fléchisseurs, sont yin. Une analogie qui illustre cette qualité cyclique est la façon dont les bras sont utilisés pour serrer quelqu’un dans ses bras. Lors de l’étreinte, on utilise ses bras pour s’étendre (projection/yang) autour du partenaire tout en le rapprochant simultanément (absorption/yin).

Lorsque nos bras sont maintenus dans une forme arrondie (comme pour embrasser une balle), nous pouvons alors maintenir un cycle yin plus yang autour des bras lors de l’interaction avec un adversaire. Un ballon correctement gonflé a une forme sphérique qui maintient un point de contact sur sa périphérie avec tout ce qui le touche. De plus, lorsqu’elle tourne en réponse à la force qui l’impacte, un côté de la balle se détourne du point de contact tandis que le côté opposé se déplace simultanément vers lui. Par conséquent, d’un côté du point de contact avec la balle est le yin (se détournant) tandis que le côté opposé est le yang (tournant vers), et donc la balle maintient le yin plus yang. Nous essayons de maintenir cette même qualité dans nos bras arrondis. Si les bras deviennent trop anguleux, alors nous perdons généralement cette qualité yin plus yang.

La qualité yin plus yang dans les bras est également facilitée dans le mouvement en passant en douceur à travers des arcs (cercles partiels) plutôt qu’en inversant les directions. Les inversions indiquent des changements brusques du yin au yang (ou du yang au yin) et une alternance des deux énergies plutôt qu’un cycle des deux énergies s’entraidant. Les arcs cyclent les énergies yin et yang d’une manière similaire au pédalage d’un vélo lorsque l’on utilise des cale-pieds. Le cycle ne s’arrête jamais et ne s’inverse jamais, il passe simplement du yin au yang au yin au yang … selon le cas.

L’analogie de la main caressant une barbe aborde ce même principe dans les mains que celui qui vient d’être décrit pour les bras. Comparez ce mouvement avec la façon dont les pinces de homard s’ouvrent et se ferment, qui est plus une alternance de yin et de yang qu’un cycle ; les griffes nécessitent un renversement de direction pour exprimer différentes énergies. Les griffes ont un « double poids » puisque les deux côtés sont soit yin plus yin (ouverture/relâchement) soit yang plus yang (fermeture/saisie), et sont incapables d’avoir yin plus yang dans leur fonctionnement. Bien que cela différencie le yin du yang, les griffes sont incapables de « caresser la barbe » par des actions cycliques.

Dans tout notre corps, nous voulons que le yin et le yang soient clairement différenciés, mais c’est encore mieux lorsque nous pouvons avoir le yang (dur) et le yin (doux) qui s’entraident comme cela se fait lorsque les énergies sont maintenues de manière cyclique. Nous cherchons à éliminer les retournements brusques lors du passage d’une expression d’énergie à l’autre. Nous voulons éviter la dualité « combat ou fuite » et maintenir le potentiel du yin et du yang en continu, tout en différenciant clairement le yin du yang.


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