Une mémoire kinesthésique

Enseignant en lycée depuis le début des années 80, ce n’est qu’au cours d’une formation au qi gong, commencée en 1994, que l’on m’a proposé de prendre en compte la pédagogie dans mon enseignement. Au cours de cette formation, j’ai rencontré un autre stagiaire, un instituteur spécialisé ; celui-ci m’a fait faire une série de tests qui m’on permis de découvrir que j’étais une personne kinesthésique ; à partir de là j’ai compris beaucoup de choses vécues aussi bien en tant qu’élève qu’en tant qu’enseignant.

Une personne kinesthésique est une personne sensible qui apprend avec son corps. Pour être précis, elle mémorise en bougeant son corps ou en faisant des mouvements, que ce soit à la maison, en classe ou dans le monde professionnel. Ce qui n’est pas, au premier abord, nécessairement compatible avec les modalités de l’enseignement tel que le propose l’Éducation nationale.

Élève dans les années 50 et 60, l’école fut pour moi une longue torture, obligé que j’étais à rester assis immobile. Cette école là ne s’adresse pas à des individus, je l’ai vécu comme une machine à normer. Ce qui n’est pas sans m’évoquer l’ouvrage de Jeanette Winterson Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? Au vu des appréciations reçues à l’époque de mes professeurs, de ne pas être heureux, ne faisait pas pour autant de moi quelqu’un de normal.

En tant qu’enseignant, avant d’être informé que j’étais une personne kinesthésique, j’ai toujours été un professeur en mouvement, rarement assis, et je croyais fortuitement avoir choisi l’enseignement technique, mais en fait, avec le recul, c’est plutôt lui qui m’avait choisi. L’enseignement technologique se caractérise par des méthodes pédagogiques inductives, appliquées à des objets d’étude concrets, comme alternative aux enseignements plus conceptuels de la voie générale. On apprend en faisant.

La mémoire kinesthésique

Une personne kinesthésique est une personne qui a besoin de se dépenser pour apprendre. Dans son processus d’apprentissage, elle a besoin d’un cas concret pour assimiler les explications, et retient peu de choses d’un long discours ou de documents théoriques. Lorsqu’une personne a une mémoire kinesthésique, les gestes doivent primer dans son apprentissage pour stimuler sa concentration. Son corps retient les informations, car en quelque sorte, un kinesthésique se souvient de ce qu’il fait. 

Pour travailler sa mémoire, le kinesthésique doit effectuer des mouvements. J’avais usé le plancher de ma chambre à force de marcher pour mémoriser mes leçons. De même, pour réciter ses longues poésies que l’on nous demandait d’apprendre et que mon ami Jean-Paul est encore capable de restituer des décennies plus tard, je tournais d’un pas vif, en gesticulant, autour du professeur juché sur son estrade. Je n’apprenais pas les formules de mathématique mais leurs démonstrations. Le kinesthésique doit expliquer à une autre personne ou lui montrer afin d’assurer la rétention des informations ; ce qui explique probablement le plaisir que j’ai à enseigner .

Le fonctionnement de la mémoire

Notre mémorisation est avant tout un processus continu de rétention, essentiel pour notre compréhension du présent et nos actions. 

La théorie du double processus

La mémorisation fonctionne selon la théorie du double processus.  Les pensées automatiques et inconscientes font donc partie du premier système et les pensées analytiques et intentionnelles font partie du second. Cette théorie nous permet donc d’expliquer comment les compétences deviennent intuitives avec la pratique. Elle distingue pensées automatiques) et pensées analytiques. Le premier système est donc l’inconscient, tandis que le deuxième est l’intentionnel et l’analytique, les deux sont inter-dépendants dans les deux sens.

L’importance de la mémoire dans notre vie

La mémoire joue un rôle crucial dans notre vie quotidienne. Elle structure, hiérarchise et améliore notre vie sans parler des relations sociales.  Pour comprendre ce processus, nous devons donc examiner ses trois aspects fondamentaux : l’encodage, le stockage et la récupération.

  • L’encodage se décline sous différentes formes, dont l’encodage visuel, l’encodage sonore, l’encodage sémantique et l’encodage tactile, lié aux sensations et aux actions.
  • Le stockage se divise en deux grandes catégories : la mémoire à court terme et la mémoire à long terme (MLT). La MCT stocke temporairement les informations avec une capacité limitée à une dizaine d’éléments tout au plus avec une durée de rétention de 15-30 secondes. La mémoire à long terme quant à elle a une grande capacité de stockage, presque illimitée avoisinant les 1000 téraoctets.
  • Ce qui est stocké peut donc être récupéré de différentes manières. La mémoire à court terme est la première étape dans l’ordre d’encodage, tandis que la MLT est récupérée par association et récurrence.

En comprenant ces processus, les enseignants peuvent optimiser l’apprentissage des élèves. Ils doivent savoir quand introduire de nouvelles connaissances et comment les séquencer pour renforcer la rétention et favoriser la pensée critique. Il n’y a donc pas de secret, la répétition et la volumétrie idéale d’informations est la clé.

A l’issue des cours ou des stages, je répète de suite ce que j’ai appris jusqu’à ce que cela impacte ma mémoire à long terme, sinon le contenu s’efface rapidement. La prise de notes aide également même si on ne les relit pas, le fait d’écrire aide à la mémorisation.

Les différents profils d’apprentissage

Les différents profils d’apprentissage explorent différents types de mémoire qui impliquent les cinq sens.

  • Pour mémoriser les informations, les personnes visuelles s’appuient sur l’organe de vue. Elles mettent en avant les photos, les images ou les explications schématisées. Ces individus s’intéressent plutôt sur les arts visuels tels que la photographie, la peinture, la décoration, etc. La technique du palais de mémoire convient bien à ce profil.
  • La mémoire auditive fait partie des mémoires dites perceptives ou sensorielles. C’est la capacité de retenir plus facilement avec les sons qu’on entend. Lorsqu’une personne est sensible aux bruits, elle préfère répéter les informations à voix haute ou en écoutant de la musique, c’est qu’elle est probablement un auditif. Ce profil privilégie le sens de l’ouïe.
  • Les personnes kinesthésiques ont besoin de bouger, de manipuler, d’expérimenter, de toucher et de ressentir les objets pour pouvoir les retenir et bien apprendre.

Personne n’est entièrement visuel, auditif ou encore kinesthésique. Cependant on peut observer des dominantes. Il suffit d’observer les élèves quant on montre un mouvement pour savoir s’ils sont visuels, auditifs ou kinesthésiques. Les visuels commenceront par observer alors que les kinesthésiques voudront reproduire le mouvement en même temps que le professeur.

Je n’évoque ici que les sens utilisés dans le cadre d’un apprentissage. Lorsque j’ai arrêté de fumer, j’ai été envahi par des souvenirs extrêmement prégnants suscités par la rencontre d’odeurs. En effet, une particularité de la mémoire olfactive tient à la vivacité des souvenirs olfactifs de l’enfance. Les évènements récents sont plutôt mémorisés sous forme d’images, parfois de sons mais rarement d’odeurs. En revanche, des indices olfactifs associés à l’enfance pendant laquelle perception et émotion sont hyper stimulées, sont gravés durablement en nous. Ces odeurs permettent par association la réminiscence des souvenirs passés, comme le parfum de notre grand-mère associé aux vacances chez elle. Autre spécificité de la mémoire olfactive, les odeurs associées à des souvenirs autobiographiques heureux ont le pouvoir unique de nous faire éprouver un état de bien-être mesurable : les battements cardiaques ralentissent, le rythme de la respiration aussi, que la seule remémoration des souvenirs heureux ne suffit pas à provoquer.

La mémoire kinesthésique dans la vie quotidienne

  • Elle joue un rôle majeur l’apprentissage de compétences physiques. Elle vous permet de mémoriser les mouvements précis nécessaires pour apprendre un enchainement du taiji quan ou du qi gong. La pratique permet donc de l’intégrer dans le premier système du processus dual.
  • Pensez maintenant aux actions que vous effectuez automatiquement sans y réfléchir, comme conduire un vélo par exemple. Cette mémoire intervient également ici. Elle vous permet de coordonner vos mouvements en fonction de la situation, vous aidant à maintenir l’équilibre.
  • Elle permet la mémorisation spatiale : retrouver votre voiture sur un parking est l’exemple parfait pour illustrer cette mémoire. C’est cette capacité à mémoriser des objets dans l’espace qui vous permet de retrouver des objets en vous basant sur leur emplacement précédent.
  • Notre coordination est la résultante de nombreux paramètres dont cette mémoire. Nous mémorisons ces mouvements pour réaliser des actions de manière automatique.

L’apprentissage kinesthésique

Chaque individu a sa manière d’apprendre. Il peut être

  • visuel : des images lui viennent en tête durant l’apprentissage,
  • auditif : il entend des sons ou même sa propre voix,
  • kinesthésique : il ressent le mouvement, le toucher, l’odeur ou le goût. 

Pour reconnaître un profil d’apprentissage, il suffit de lui poser une question banale sur ce qui se passe dans sa tête à l’écoute d’un mot précis. Par exemple, pour le mot chocolat, un visuel verra directement une tablette de chocolat dans sa tête, un auditif entendre le mot chocolat résonner dans sa tête ou encore le bruit de son emballage lorsqu’il est déchiré. Quant au kinesthésique, l’odeur du chocolat peut lui venir en tête. L’exercice doit être répété avec d’autres pour déterminer le profil d’apprentissage du concerné.

La stimulation de la mémoire kinesthésique

Un adulte ou un enfant kinesthésique a besoin de se dépenser pendant l’apprentissage, mais également après une journée de travail. Il ne peut pas mémoriser un cours en restant assis ou immobile sur une chaise. Sa concentration n’est stimulée qu’à travers les gestes. Par exemple, pour un enfant, il peut apprendre debout sur un tableau au mur, sans pour autant être isolé. Le kinesthésique a besoin d’un endroit sécurisé pour travailler. Le confort et l’aisance de l’environnement sont à prendre en compte. La pratique et la répétition lui sont très favorables.

Apprendre pour un kinesthésique

Pour apprendre, que ce soit dans le monde pédagogique ou professionnel, le kinesthésique peut adopter certains gestes afin de mémoriser du contenu :

  • Le kinesthésique se souvient de ce qu’il lit ou de ce qu’il entend, s’il les aligne sur un papier. Pour une meilleure assimilation des cours, il doit utiliser autant de sources possibles. Outre les notes de cours, la manipulation des manuels et l’utilisation d’Internet sont à privilégier.
  • Le kinesthésique écrit beaucoup pour apprendre, un résumé ne fait qu’optimiser la rétention d’information. De préférence, il faut faire un résumé interactif pour mémoriser les contenus. Les informations importantes (une formule, une démonstration, une chronologie) peuvent être inscrites sur un papier, découpées en morceaux puis mélangées. L’idée est de manipuler chaque papier pour recréer l’ordre logique et stimuler la compréhension.
  • Pour parfaire l’apprentissage, l’élaboration d’un jeu de questions/réponses est recommandée. Le kinesthésique doit créer une liste de questions se référant à sa formation, puis il doit les piocher au hasard pour y répondre. Au fur et à mesure, la liste des questions peut augmenter. Cette technique permet de concrétiser ses connaissances.
  • Pour continuer à apprendre en mouvement, le kinesthésique peut surligner ou mettre en exergue les lignes importantes de ce qu’il apprend. Il peut également se mettre à faire un dessin ou un modèle de ses cours. La pratique est profitable à la mémoire kinesthésique. En ce sens, le kinesthésique a besoin de bouger, d’être actif, de manipuler et de ressentir pour assimiler les choses.

Pour optimiser le processus d’apprentissage, l’apprenti kinesthésique ne doit pas être le seul à faire des efforts. Le formateur doit posséder les compétences nécessaires pour assurer sa progression pédagogique. Pour capter son attention, l’utilisation d’exemples liés à un environnement qui l’intéresse est requise. Ce type de métaphore est plus facile à assimiler, surtout si la formation est bel et bien vivante dans son ensemble. Le formateur doit être mis au courant du profil d’apprentissage kinesthésique pour établir une méthode de travail adéquate.

Cette mémoire n’est donc pas seulement un concept théorique, elle est présente dans notre vie quotidienne, influençant notre capacité à effectuer des actions physiques et à mémoriser des informations liées à l’espace et au mouvement. Que ce soit pour apprendre de nouvelles compétences, pour accomplir des tâches automatiques ou simplement pour naviguer dans notre environnement. 

Prendre conscience de son existence peut nous aider à améliorer notre processus d’assimilation et notre performance. Alors, la prochaine fois que vous vous demandez comment vous avez appris à faire du vélo, ne cherchez pas plus loin, la mémoire kinesthésique était là avec vous ! 


Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

En savoir plus sur Tiandi

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture

Send this to a friend