Quand les dragons détectaient les tremblements de terre
Ce pot à l’aspect intéressant est en fait un sismoscope, la girouette des mouvements de terre (候风地动仪 hòu fēng dì dòng yí), le premier que nous connaissions au monde, inventé en 132 de notre ère par un érudit chinois nommé Zhang Heng (張衡 Zhāng Héng 78-139).
Il s’agit d’un sismoscope et non d’un sismographe (地震儀 dì zhèn yí), ce qui signifie qu’il peut détecter la direction d’un tremblement de terre (地动 dì dòng), mais pas sa densité. Néanmoins, il s’agissait d’un objet important, puisqu’une fois reconstruit par une équipe de Zengzhou dans le Henan, le lieu de naissance de Zhang Heng, il a été capable de détecter quatre événements sismiques survenus en Chine et au Vietnam.
Ce sismographe était un grand vase de bronze autour duquel étaient soudés ou rivetés avec huit dragons, tête en bas et gueule ouverte, orientés dans chaque direction de la rose des vents. Chaque dragon contenait une bille en équilibre instable dans sa bouche, prête à tomber dans la gueule d’un crapaud. Quand la terre tremblait, même faiblement, un pendule suspendu au couvercle bougeait à l’intérieur du vase. Le pendule poussait ou frappait un des leviers ouvrant la bouche d’un des dragons. la bille d’un des dragons (dépendant de l’endroit ou se produisait le séisme) tombait dans la gueule d’un des crapauds. Cela indiquait la direction de l’épicentre du tremblement de terre, qui était alors notifié à l’empereur, et vers où il fallait envoyer les secours.
Zhang, qui est né en 78 de notre ère dans une famille importante, a passé sa jeunesse à étudier la littérature et à se former à l’écriture, publiant finalement un certain nombre d’œuvres littéraires qui ont attiré l’attention de la cour impériale. Il s’installe ensuite dans la capitale Luo-yang, où il devient un gentilhomme de la cour travaillant pour le secrétariat impérial. Cependant, il développe une fascination pour la philosophie, les mathématiques et l’astronomie, et finit par demander une pause de trois ans afin de vivre dans l’isolement et de poursuivre ses recherches. Il était, en autre, astronome, mathématicien, inventeur, géographe, cartographe, artiste, poète, homme d’État, et lettré.
Il a publié quelques traités et est revenu à la cour où il a été nommé astrologue en chef, ce qui était un poste très important car la relation entre le ciel et la terre était le concept le plus important de l’époque.
Zhang croyait en la théorie de la forme d’œuf, selon laquelle le ciel était comme un œuf et la terre comme son jaune, couchée seule en son centre. Il avait pris cette forme il y a des éons, lorsque, après une période de chaos, les parties légères avaient flotté vers le haut pour former le ciel et les parties lourdes s’étaient agrégées dans la terre. Le ciel relevait donc d’un souffle yang, tandis que la terre était ying, et les deux forces pouvaient être équilibrées par les efforts de l’humanité.
En d’autres termes, la prospérité ne pouvait survenir qu’en période d’harmonie cosmique, lorsque les empereurs, qui avaient reçu leur droit de régner du ciel, avaient atteint la perfection morale. Un échec dans cette entreprise pouvait entraîner le chaos et la destruction, souvent provoqués par des catastrophes naturelles comme les tremblements de terre. Savoir quand la terre gronde pouvait donc les aider à comprendre le niveau d’approbation du ciel, et les orienter vers les bons choix.
C’est pourquoi Zhang a imaginé un sismoscope, conçu comme un œuf entouré de huit dragons avec une balle dans leur bouche. En dessous se trouvaient huit grenouilles, et lorsqu’un tremblement de terre se produisait, une boule tombait dans leur bouche, provoquant un son. La position de la balle qui tombait indiquait la direction cardinale du tremblement de terre, ce qui pouvait ensuite être utilisé pour interpréter l’événement.
Il a présenté son premier prototype, et tout le monde a été impressionné mais n’a pas pris cela au sérieux. Peu après, cependant, une boule tomba de l’un des dragons, indiquant qu’un tremblement de terre s’était produit dans le nord-ouest, bien qu’aucune secousse n’ait été ressentie à Lo-yang. Il a signalé l’affaire à l’empereur et est devenu célèbre lorsque la nouvelle du véritable tremblement de terre est arrivée d’un endroit situé à 500 km au nord-ouest de la capitale.
Selon les archives historiques, le sismographe Houfeng a disparu vers 200 ans EC. Alors, comment l’image de ce sismographe a-t-il pu se retrouvé imprimé dans les manuels chinois modernes ? En fait, le sismographe affiché dans les manuels d’histoire est un modèle restauré par un ancien historien des sciences et de la technologie nommé Wang Zhenduo (1912-1992) dans les années 1950 sur la base de documents historiques. Dès 1936, Wang Zhenduo dessine la première série d’ébauches du modèle de sismographe qu’il restaure, et adopte le principe structurel du pendule suspendu, c’est-à-dire un pendule suspendu à la partie supérieure du sismographe pour déterminer la direction du tremblement de terre. En 1949, lors de la fondation de la Chine nouvelle, Wang Zhenduo a été nommé directeur de la division des musées du Bureau des reliques culturelles de l’ancien ministère de la Culture. A cette époque, il reçoit une tâche particulière : restaurer un lot d’ustensiles représentant des civilisations anciennes à des fins d’exposition et de publicité, dont le sismographe de Houfeng.
Zhang a appliqué sa connaissance étendue des mécaniques et des engrenages dans plusieurs de ses inventions. En plus du premier sismoscope au monde, il a inventé la première sphère armillaire fonctionnant à l’énergie hydraulique au monde, pour représenter les observations astronomiques ; il améliora l’écoulement de la clepsydre en ajoutant un second réservoir. De plus, il améliora les calculs chinois précédents de la formule de pi. En plus de documenter environ 2 500 étoiles dans son vaste catalogue d’étoiles, Zhang a aussi posé des théories sur la Lune et ses relations avec le Soleil ; plus précisément, il discuta de la sphéricité de la Lune, de son illumination par le reflet de la lumière solaire sur un côté et demeurant obscur de l’autre côté, et de la nature des éclipses solaire et lunaire. Ses poésies, 诗 shi et 赋 fu, étaient renommés et commentés par des écrivains chinois postérieurs. Zhang reçut beaucoup d’honneurs posthumes pour son savoir et son génie, et est considéré comme un polymathe par certains érudits. Certains savants modernes ont aussi comparé son travail en astronomie à celui de Ptolémée.
Vent rieur (嘲风 cháo fēng) est le troisième des neuf fils du dragon (龙生九子 lóng shēng jiǔ zǐ). La légende dit que Chaofeng a le pouvoir de provoquer des tremblements de terre, des tsunamis ainsi que de nombreuses autres catastrophes, mais qu’il est lui-même un symbole de bon augure. Sur les corniches des palais chinois, on peut admirer Chaofeng montrant sa grandeur et apportant sa bénédiction aux passants.