Akeji Sumiyoshi

Né en 1938 à Kyōto, Akeji est élevé par l’un de ses grands-pères, qui vivait sur un massif au nord de l’ancienne capitale. Maître en arts martiaux et adepte du shintō, le vieil homme lui apprend dès son plus jeune âge des pratiques chamaniques ancestrales et l’initie au maniement du sabre. Il le sensibilise également à l’art du pinceau et à la voie du thé. Lors de son adolescence, Akeji pérégrine de sanctuaires shintō en monastères bouddhistes, ce qui lui permet de se familiariser avec la pharmacopée traditionnelle. Il s’inscrit ensuite à l’Université de Kyōto pour étudier le droit et poursuit ses études en chimie et sciences naturelles à l’Université de Shimane. Jeune diplômé, Akeji rejoint un groupe de réflexion réuni à la demande du premier ministre de l’époque, Hatoyama Ichirō. De retour d’un séjour d’un an en France, il quitte la vie politique et se marie.

Nombreuses théories expliquent l’étymologie du mot composé par les deux caractères calligraphiés ici. D’après Les Mémoires du grand historien (Shiji, rédigées entre 109 et 91 AEC), le premier idéogramme, dont la lecture chinoise est « chi », indiquerait une divinité de la montagne ayant pris la forme d’un tigre. Quant au second (« mi »), il ferait référence à un esprit des marécages à la tête de bête. Au Japon, le Wamyō ruijushō (compilé entre 934 et 938), l’un des dictionnaires les plus anciens, considère ces deux créatures comme des démons (oni), dont le nom est prononcé sudama. Le papier employé pour cette calligraphie a été réalisé par Iwano Ichibei VIII (1901-1976), maître artisan élevé au rang de « Trésor national vivant ».

Quelques années plus tard, en 1969, à l’âge de 31 ans, Akeji décide avec son épouse Asako d’aller vivre dans la vallée de Himuro, aux flancs du mont Kuramayama, dans un refuge forestier qui devient leur ermitage pendant près de cinquante ans. Leur quotidien est fait de prières pour évoquer les esprits de la forêt, de cérémonies du thé ainsi que de cueillettes. Retourné sur les lieux de son enfance, Akeji mène une vie hors du temps, se consacrant à la calligraphie dans un dialogue constant avec la nature, qu’il n’a jamais cessé de vénérer. Suivant le rythme des saisons, le calligraphe va recueillir graines, fruits, fleurs, écorces et racines. Il en extrait la matière tinctoriale par dessiccation, broyage, combustion ou fermentation, à l’aide de procédés traditionnels. Ne possédant pas d’atelier, il réalise ses œuvres dans la forêt.

Comme beaucoup de calligraphes, Akeji fabrique lui-même ses pinceaux se servant de poils de différents animaux : cheval, sanglier, cerf, blaireau, renard. Quant aux supports, il se procure les papiers auprès d’artisans souvent élevés au rang de « Trésor national vivant ».

Tracés à l’aide d’un geste immédiat, les caractères archaïques, souvent difficiles à identifier, prennent des formes insaisissables évoquant l’impermanence des choses (mono no aware). Des correspondances secrètes, intimes, entre les signes calligraphiés et les végétaux d’où Akeji a extrait les colorants habitent ses créations, les animant d’un rythme primordial et d’un sens profond, qui révèlent l’essence animiste de son travail.

Akeji, le souffle de la montagne nous remet au diapason du monde naturel, au cœur du Japon, en compagnie d’un couple de vieillards qui pratiquent l’art de vivre simplement. Détachés des contingences, de toutes velléités de consommation et de performance, Akeji et Asako vivent dans une cabane au milieu de la montagne, faite de bric et de broc mais avec un sens pratique et esthétique incontestable. En fin de compte, c’est le présent qu’ils habitent, investissant intensément leur quotidien. En symbiose avec leur sujet, les cinéastes Mélanie Schaan et Corentin Leconte déploient un geste cinématographique qui épouse cette religiosité de l’instant. La visite des petits-enfants et bientôt la maladie bousculeront ces rituels et mettront Akeji, l’artiste et le sage, à l’épreuve de la finitude. Le temps semble exister mais en réalité il n’existe pas.


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