Chemins de découverte
Robert Van Gulik, auteur d’un incontournable ouvrage sur La vie sexuelle dans la Chine ancienne paru en 1961, considère qu’à l’époque des Shang 商 (-1850 à -1122), la société chinoise a davantage été matriarcale que patriarcale. Il rattache, entre autres, à cette hypothèse le fait que la vie en est venue à être identifiée, dans la société chinoise, à la femme et à la couleur rouge (红 hóng), celle du sang de ses règles. On parle ainsi du mariage (娶 qǔ) — qui consiste à prendre (取 qǔ) femme (女 nǚ) —comme une « affaire rouge » (红事 hóng shì). Inversement, la mort fut rattachée au blanc (白 bái) — couleur du liquide spermatique de l’homme mâle ; ainsi on appelle en Chine des funérailles une « affaire blanche » (白事 bái shì). Les découvertes archéologiques plus récentes tendent certes à tempérer cette façon de voir1. Mais quoi qu’il en soit de cette origine éventuellement matriarcale de la civilisation chinoise, il est cependant aussi clair, que, par la suite, la société chinoise classique inversera cette tendance originelle en accentuant fortement, sous l’influence confucéenne, l’aspect patriarcal très hiérarchisé. La femme en viendra à connaître durant sa vie « trois dépendances » successives (三從 sān cóng) : à son père. à son mari, puis à son fils aîné. Le taoïsme, par contre, conservera dans ses modes d’agir et de penser une sorte de priorité accordée à la femme et à l’aspect yin de la réalité. Laozi ne disait-il pas déjà lui-même, dans le célèbre chapitre 6 du Daode-jing, que:
L’Esprit du Val est à jamais vivant 谷神不死. On parle là de la Femelle mystérieuse是謂玄牝, et l’ouverture de cette Femelle mystérieuse玄牝之門, est la racine du Ciel et de la Terre 是謂天地根. Il s’écoule comme l’existence: imperceptible filet 綿綿若存. On y puise sans jamais l’épuiser 用之不勤.Pierre-Henry De Bruyn in Le Taoïsme. Chemins de découverte
- Éric Marié a montré en détails les limites de cette façon de voir dans un article récent (2007 L’art de la chambre à coucher dans la Chine ancienne ». Revue d ‘études japonaises du CEEJA, Benkyô-kai, H. Aurillac.. Publications Orientalistes de France, p. 33-58). Douglas Vile, quant à lui. a proposé une perspective critique des ouvrages en langues occidentales sur la sexualité chinoise : D. WILE, Art of the Bedchamber The Chinese Sexual Yoga Classics Including Women’s Solo Meditation Texts: The Chinese Sexual Yoga Classics Including Women’s Solo Meditation Texts, Albany, Stage University of New York Press, 1992, p. 56-69. Parmi les autres travaux sur l’histoire de la sexualité dans le taoïsme, il faut encore mentionner entre autres : ISHIHARA, Akira. and Howard S. LÉVY, 1970: The Tao of Sex, New York, Harper Row ; HARPER, Donald, 1987 «The Sexual Arts of Ancient China As Des-cribed in a Manuscript of the Second Century B.C. ?), Harvard Journal of Asiatic Studies 47 459-98.
- Des restes de cette prépondérance du yin sur le yang dans la société chinoise antique semblent avoir demeuré dans les habitudes vestimentaires jusqu’à l’époque classique car avant le XIXe siècle les Chinois s’habillaient en plaçant le revers droit (côté yin) de leur tunique par dessus le gauche (côté yang) et considéraient que ceux qui faisaient l’inverse étaient des barbares, tandis qu’en Occident seules les femmes portent le revers droit par dessus le gauche.
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