Traduction de l’article de Neil Andrew Ripski Layers of Internal Training
Arts martiaux internes
Étiqueter quelque chose demande de définir l’étiquette elle-même. Qu’est-ce que l’on entend par interne dans ce contexte ? C’est encore plus difficile ici, car chaque enseignant semble avoir sa propre définition et la manière de le transmettre à ses élèves. C’est pourquoi je ne peux en parler que d’un point de vue personnel plutôt que d’un point de vue général, afin d’être honnête avec les autres définitions utilisées dans le monde des arts martiaux.
L’entraînement aux arts martiaux internes comporte trois niveaux ou profondeurs distincts, aucun n’étant exclusif des autres, mais chaque niveau est plus difficile que le suivant. 外 wài ou le niveau externe ou superficiel de l’art est l’apprentissage et la pratique de postures de base ou de la chorégraphie. C’est ce qui est vu par les autres quand une personne pratique, ce que les gens voient comme tai-chi-chuan, bagua zhang ou comme art martial en général. Ce sont ces mouvements doux, connectés et circulants observés chez les maîtres et que les pratiquants tentent d’apprendre et de copier. C’est ce que les gens vont chercher à apprendre en premier lieu et c’est généralement le premier niveau de compréhension de la pratique.
Le deuxième niveau ou la couche intermédiaire de l’entraînement, 中 zhōng, est semblable au muscle sous la peau de la strate précédente. L’entraînement s’effectue plus profondément dans le corps, corrigeant de manière mécanique et physiologique la posture, entraînant une cascade de mouvement dans toute la musculature du corps. Il s’agit de l’étude contrôlée, exacte et profonde des relations au sein du corps humain. Il s’agit de l’étude mentionnée dans la langue initiale comme 氣 qì, qui a de nombreuses significations et traductions depuis «énergie» jusqu’au terme plus simple et pragmatique de «relation». Dans les deux cas, en effet, le mouvement ondulant et la correction de la posture en détail permettent à la fois la compréhension des relations dans le corps et l’utilisation de l’énergie, que cela soit soit mental ou physiologique. L’étude de cette couche intermédiaire dépend fortement du premier entraînement, car elle nécessite un ensemble particulier de mouvements pour commencer à démontrer les erreurs dans nos postures et nos mouvements. Pendant de longues périodes d’essais et d’erreurs, les formes d’arts martiaux et de qi gong que nous voyons aujourd’hui ont été développées à cette fin. Ceci est l’essentiel de la recherche d’un étudiant dans les arts car c’est évidemment une étude sans fin sur le corps et ses relations.
Le troisième niveau ou la strate la plus profonde de l’entraînement dans ce modèle est 內 nèi ou intérne, le plus souvent appelé 內功 nèigōng, les os de l’entraînement. C’est la strate de l’entraînement qui est la plus difficile à entreprendre car c’est l’étude de soi. Non seulement l’étude approfondie des structures du corps ou des relations qui font partie de notre corporalité, mais la partie de nous qui observe l’ensemble de notre réalité. Le nèigōng est l’étude des relations qui composent ce que nous sommes. Pour citer mon frère de gong fu, le professeur Kevin Wallbridge « Le qi gong corrige les défauts dans votre structure. Le nèigōng corrige les défauts de votre personnalité.
» L’entraînement au nèigōng a beaucoup de states ou de profondeurs lorsque l’on entre dans l’étude de soi. Pour passer des arts martiaux internes et leur entraînement externe (l’entraînement physique) vers le «gong fu intérieur» (c’est ainsi que mon maître Chen Qi Ming se réfère au nèigōng) est la première étape. Ici, le côté martial des arts devient très important pour le développement personnel. Les questions que l’on n’aime pas se poser sur soi-même deviennent la méthode. Qu’est ce que je ressent à l’idée pouvoir nuire à quelqu’un ? Est-ce que je suis en mesure de concilier la pratique d’un mouvement, en le détaillant minutieusement, avec le fait qu’il pourrait mutiler, paralyser ou tuer un autre être humain ? Qu’est ce que je ressent à ce sujet ? Puis-je, en toute conscience, continuer à pratiquer cet art ?
Beaucoup de personnes qui atteignent ce niveau d’entraînement se détournent des vérités inconfortables très rapidement. En se disant que l’aspect santé est tout ce qu’ils veulent de cet art et c’est d’abord dans ce but qu’ils s’entraînent. En fait, la plupart des gens dans une classe de tai-chi-chuan adhèrent à ce point de vue et se sentent très mal à l’aise de passer à cette étape. Cependant, le réglage précis de la pratique aux première et deuxième étapes repose fortement le réglage de la posture physique en vue de l’application martiale, le choix correct des angles et des lignes de conduite que doit suivre la force. C’est ce niveau d’exactitude qui est, en premier lieu, bénéfique pour la santé. Dix pour cent de pratique correcte ne donne que dix pour cent de bénéfice santé.
Si l’on peut concilier la question de la compétence martiale et l’étude de soi comme une façon d’accroître les bienfaits pour la santé, alors on peut continuer à progresser dans le «travail intérieur» de ce niveau de l’entraînement. Les questions concernant le fait d’être capable physiquement de blesser quelqu’un restent encore des questions morales. « Pourrais-je faire cela à quelqu’un ? Est-ce que c’est correct d’être bien avec cela ? » Pour paraphraser la pensée junguienne – si nous n’acceptons pas notre ombre, nous rejetons la réalité -. Nous voyons ici, en nous, l’interaction du yin~yang d’une manière profonde et interne. Nous sommes les deux: des champions altruistes et des monstres, et nier l’un ou l’autre c’est rester dans l’obscurité à propos de ce que nous sommes réellement. C’est l’équilibre entre les deux que nous recherchons grâce à un entraînement que nous effectuons pour des raisons de santé mais dont la pratique implique un entraînement physique et mental pour mutiler et blesser autrui. La compassion doit être un choix plutôt que la seule option pour que nous ayons pour être pleinement nous-mêmes. La capacité de nuire aux autres par la préparation à la guerre est un outil puissant pour comprendre la paix, la compassion et un respect réel pour les autres.
Cet entraînement interne peut, bien sûr, se poursuivre toute la vie. Comme on dit: « Il faut trois vies pour apprendre le tai-chi-chuan. » (Inconnu). Le processus se poursuit alors simultanément de manière externe. Cela peut commencer par gérer les interactions humaines ou simplement expérimenter la réalité. Quelle que soit la voie choisie en premier, l’altérité doit faire aussi partie de l’entraînement.
L’entraînement au nèigōng traitant de l’interaction humaine est enseigné par la reconnaissance des parties qui composent notre soi et de leurs usages apparents. Dans les arts internes chinois, on parle de 神 shén, l’esprit, de 意 yì, l ‘intelligence intellectuelle, et de 心 xīn, l ‘intelligence émotionnelle. Dans de nombreux cas, les gens sont conduits par leurs émotions, comme le prouvent des déclarations comme «Il m’a fait sentir …» L’entraînement consiste à remettre en question et à comprendre que les stimuli extérieurs ne produisent des sensations d’une façon ou d’une autre. C’est la réponse émotionnelle à ce stimulus qui est le problème. Nos émotions sont une composante puissante de l’être humain, mais ne devrait pas gérer toute notre vie. En se demandant « Pourquoi je me sens ainsi ? », on peut réduire une grande partie de l’opacité de notre être émotionnel interne. Nous nous rendons compte que, souvent, la colère est basée sur nos peurs, notre tristesse ou nos angoisses, qu’elles reposent sur le fait de ne pas vivre dans le moment présent, etc. Se poser des questions inconfortables sur nos émotions est le chemin ici pour étudier nos relations avec les autres. Si nous avons un problème d’autorité, est-ce le résultat des actions de ces personnes, de notre réaction émotionnelle à celles-ci ou des traumatismes passés? Mais je m’égare.
Notre interaction avec la réalité est un autre vaste niveau de l’entraînement. Ce n’est pas la façon dont nous nous adaptons à la société ou à nos propres groupes sociaux, ce qui est la marque de l’entraînement précédent, mais à la réalité elle-même. Nous avons tendance, en tant qu’êtres humains, à présumer et à manquer le moment présent. Voir la réalité pour ce qu’elle est réellement, c’est l’objectif ici. On commence par des questions pour nous-mêmes comme: « Quelle est la température dans cette pièce? Fait-il chaud, froid, inconfortable ? Y a-t-il un déplacement d’air ? » Ces types de choses passent inaperçus tout au long de notre vie et deviennent de plus en plus conscients et présents. Ils modifient notre relation avec notre environnement et nous permet de le voir plus clairement. « Qu’est-ce que j’entends dans cette salle? Dans ce bâtiment? « Ou en se tournant à nouveau vers l’intérieur: » Puis-je entendre mes propres battements de cœur ? Les bruits émis par mon tube digestif ? » Ces choses se déroulent tout le temps et pourtant nous les ignorons, généralement pour projeter nos pensées dans le futur ou le passé et ignorer le présent et la réalité dans laquelle nous vivons.
Lorsque nous pratiquons notre art, nous avons le temps de travailler profondément sur ce types de choses. Nos formes ou nos exercices nous donnent le temps d’appréhender directement tous ces niveaux de mouvement, de pensée, d’émotion, de structure, de relation et de temps. C’est écrasant et c’est pourquoi les enseignants proposent généralement ces niveaux aux élèves par fragment plutôt que d’embrouiller et de faire dévier au niveau actuel de l’entraînement. Mais en tant que praticien, vous maîtrisez tout le temps ce que vous travaillez. Bien qu’il existe de nombreux autres exemples de strates qui n’ont pas été abordées et d’autres questions que celles que j’ai étudiées ici, elles sont tous accessibles à la personne qui s’y consacre. Trouver l’équilibre dans le conflit est la méthode des arts martiaux, sans ignorer nos démons et sans non plus les embrasser.
Mais ce n’est que par une étude consciencieuse que nous avons la possibilité d’aborder ce type d’entrainement. Je vous demande de vous demander ce que vous entraînez lorsque vous vous entraînez. Les arts martiaux internes sont déjà pratiqués à leur plus bas au niveau mondial. C’est à nous, individuellement, de faire le travail le plus dur . Apprenez à voir les mensonges que nous nous disons pour notre propre confort et essayons de les dissiper du mieux que nous pouvons. La réalité est rude et, en tant que telle, nous devons également faire preuve d’une volonté de fer dans notre approche pour la percevoir.
L’ombre est quelque chose d’inférieur, de primitif, d’inadapté et de malencontreux, mais non d’absolument mauvais.
Il n’y a pas de lumière sans ombre et pas de totalité psychique sans imperfection. La vie nécessite pour son épanouissement non pas de la perfection mais de la plénitude. Sans imperfection, il n’y a ni progression, ni ascension.
Carl Gustav Jung, in L’âme et la vie
Le concept de soi de Carl Rogers est une représentation de soi-même, se qu’un individu croit posséder. Un individu se définit selon des attributs :
- physique (taille, poids, couleur de cheveux),
- cognitif (façon d’organiser notre environnement),
- social (capacité à interagir avec les changements de l’environnement) et
- affectif (personnalité ; intro/extraverti, susceptible, irritable).
Cette vision qu’a l’individu de lui-même n’est pas forcément réaliste. Il peut dès lors porter un jugement positif ou négatif. Ce jugement amène à l’estime de soi; c’est un jugement porté sur nous même. Je regarde l’écart entre ce que je suis et ce que je souhaite être. Par exemple, un individu peut se décrire comme grand, sportif et beau, mais il préférerait être petit et corpulent.
La vie à son meilleur est un processus fluide et changeant en lequel rien n’est fixé.
– Carl Rogers