八句口诀
顶天立地,形松意充,外敬内静,心澄貌恭,一念不起,神注太空,神意照体,周身融融
Le plus beau cadeau que mes amis de Hexianju m’aient offert est un poème en huit vers, comportant chacun quatre caractères. Trente-deux syllabes en tout, mais qui en requièrent beaucoup plus dans la traduction en français. Ce poème est devenu mon compagnon de route et il n’est presque pas de jour où je ne me le dise intérieurement ou en murmurant le texte chinois qui semble avoir, en lui-même, une force d’apaisement. Un des assistants de maître Liu avait une voix grave dont les vibrations à elles seules suffisaient à apporter la paix intérieure. J’en propose ici une traduction personnelle, pas nécessairement littérale, mais qui n’est pas infidèle à son sens profond.
Bernard Besret in A hauteur des nuages
- 顶天立地 dǐng tiān lì dì
- Tête au ciel, pieds à la terre
- 形松意充 xíng sōng yì chōng
- Corps détendu, la conscience se dilate
- 外敬内静 wài jìng nèi jìng
- À l’extérieur, l’abandon ; à l’intérieur, la paix
- 心澄貌恭 xīn chéng mào gōn
- Le cœur comme un lac d’eau limpide; attitude humble
- 一念不起 yī niàn bù qǐ
- Pas une pensée ne venant le traverser
- 神注太空 shén zhù tài kōng
- L’esprit s’identifie infini du ciel
- 神意照体 shén yì zhào tǐ
- Quand l’attention revient à l’intérieur
- 周身融融 zhōu shēn róng róng
- Tout est bon, tout est bien, tout est à l’harmonie du qi
Les maîtres de Hexianju me l’ont fait répéter et répéter encore, jusqu’à ce que je le sache par cœur, en chinois.
Bernard Besret in A hauteur des nuages
顶天立地
Ding tian, li di, le premier verset du poème propose en quatre caractères un véritable condensé de l’anthropologie chinoise. L’homme est en effet conçu comme un trait d’union entre le ciel (de polarité yang) et la terre (de polarité yin). Il est tian/di, « ciel/terre ». Comme un aimant qui captera l’énergie qui, entre le ciel (pôle positif) et la terre (pôle négatif), emplit l’univers et la ferait circuler dans tout le corps.
Bernard Besret in A hauteur des nuagesL’Homme réunit en lui les vertus du Ciel et de la Terre : il lui appartient pour son propre accomplissement de les mener à l’harmonie, écrit François Cheng’.
形松意充
Xing song, yi chong, le corps doit être complète-ment détendu, libéré de toutes ses crispations et tensions internes pour que la conscience puisse se dilater. Ce concept de la conscience qui se dilate me facilite grandement l’exercice toujours difficile de la méditation. Faire le vide en soi n’est pas une démarche purement négative si elle s’accompagne d’une dilatation de la conscience. C’est sur le Vide que se fixe le Tao, dit Zhuang Zi. Du Vide de l’esprit jaillit la lumière ; là se trouve le salut de l’homme.
Bernard Besret in A hauteur des nuages
外敬内静
Pour cela, wai jing, nous devons accepter avec respect ce qui se passe à l’extérieur et sur quoi nous n’avons aucune emprise. Les stoïciens disaient : « Ce qui est est » Et, nei jing, quoi qu’il arrive, il nous faut garder la paix.
Bernard Besret in A hauteur des nuages
心澄貌恭
Xin Cheng, le coeur, c’est-à-dire l’esprit, est alors comme un lac d’eau limpide que rien ne vient troubler. Image à elle seule source de paix, si on l’intériorise. Mao gong, cette paix intérieure nous conduit à garder une attitude humble dans toutes les situations où nous conduit la vie. L’image qui me vient ici à l’esprit est celle des moines bouddhistes que l’on voit s’incliner, les mains jointes et toujours le sourire aux lèvres, lorsqu’ils vous saluent.
Bernard Besret in A hauteur des nuages
一念不起
神注太空
Yi nian bu qi, si l’esprit arrive à faire le vide de toute pensée, de tout discours, de toute ratiocination, shen zhu tai kong, alors il peut s’identifier au vide de l’espace infini. Toutes les barrières se dissolvent, rien ne l’empêche plus d’être aussi vaste que l’univers.
Bernard Besret in A hauteur des nuages
神意照体
周身融融
Shen yi zhao ti, et lorsque l’attention revient à l’intérieur, zhou shen rong rong, il constate que tout est bien, que tout est bon, que tout est en harmonie, tout est dans la paix. Et je me répète : Zhou shen rong rong.
Bernard Besret in A hauteur des nuages
Bernard Besret
Comment un ancien moine cistercien, prieur de l’abbaye de Boquen, dont la contestation puis la démission avait défrayé la chronique dans les années 60 et 70, peut-il se retrouver à fonder, en Chine, une auberge taoïste au flanc d’une montagne sacrée ? Les circonstances de la vie y sont certes pour quelque chose, mais tout se passe comme si Bernard Besret, éternel pèlerin de l’absolu, avait retrouvé à travers la sagesse chinoise la patrie spirituelle qu’il avait toujours cherchée.Voici donc les chroniques taoïstes de Bernard Besret : elles nous parlent de la vie quotidienne en Chine, de son propre parcours, de celui d’un ancêtre lointain qui fut jadis évêque en Chine ; elles nous invitent aussi à méditer sur le sens du temps, du corps, du rapport au cosmos… Autant de thèmes qui, au fil d’une plume alerte, nous interrogent sur notre propre vie, et nous enrichissent de connaissances sur cette « étrangeté » qu’est la Chine.