Pourquoi faut-il respirer profondément pendant une méditation ?

Article d’Elena Sender paru le 26.12.2018 dans Sciences et Avenir

Près de trois cents ans plus tard, cette relation fait toujours l’objet d’interrogations. Néanmoins, la science a réussi à lever certains pans du mystère. Selon les recherches et les observations cliniques, l’interaction corps-esprit serait rendue possible par le système respiratoire avec l’intervention du système nerveux, en lien étroit avec le cœur, le cerveau et l’intestin.

Prenez quelques inspirations profondes, entend-on souvent au début des séances de méditation, yoga, hypnose, sophrologie, relaxation… Est-ce une coïncidence ? Non, à en croire le professeur Thomas Similowski, chef de service de pneumologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Car la respiration est le lien corps-esprit par excellence. Directement « branchée sur les émotions », elle se modifie en fonction de notre état mental, pouvant passer de profonde et lente (état calme) à courte et rapide (état de stress). À l’inverse, agir sur la respiration influence notre esprit, précisément ce qui est recherché dans les pratiques psycho-corporelles.

Elle est la seule fonction végétative (automatique) du corps sur laquelle l’esprit (la volonté) peut agir directement, explique le professeur Similowski.Si l’on nous demandait de ralentir notre transit intestinal ou notre fréquence cardiaque – fonctions tout aussi automatiques -, nous en serions bien incapables ! Alors que la respiration, elle, peut être modifiée à volonté et sans effort. Par ailleurs, si elle est tellement mise à contribution dans les pratiques psychocorporelles, c’est tout bonnement parce que ça marche ! poursuit le professeur. En la contrôlant, on obtient des effets positifs visibles et mesurables sur le corps ».

Lorsque les poumons sont gonflés à plein, une décharge nerveuse inhibe l’inspiration

Ces effets sont de plusieurs ordres. Tout d’abord, respirer étant un automatisme, se concentrer volontairement sur son souffle exige de maintenir son attention. Or, le cerveau est très imparfaitement multitâche. Se focaliser sur une action empêche donc de ruminer ses soucis, souligne le spécialiste de pneumologie. C’est l’équivalent d’une technique de méditation dite « à attention focalisée » qui stabilise et apaise le mental.

Mieux, se concentrer sur sa respiration modifierait l’activité du cerveau dans le sens d’une augmentation de la conscience de soi ! Dans une étude publiée en 2018, des chercheurs du Feinstein Institute for Medical Research à Manhasset (État de New York, États-Unis) ont enregistré l’activité du cerveau de patients chez qui avaient été implantées des électrodes cérébrales dans le cadre d’un traitement contre l’épilepsie. José Luis Herrero, associé au neurochirurgien Ashesh Mehta, a observé les modifications cérébrales intervenant lorsque les patients respiraient normalement, augmentaient l’amplitude de leur souffle ou devaient compter leurs respirations. L’analyse du tracé de l’activité corticale est étonnante : quand les sujets se concentrent sur leur respiration (comptage), l’activité de certaines aires cérébrales augmente et se synchronise ! Pas n’importe lesquelles : le cortex cingulaire antérieur, le cortex pré-moteur, l’insula et l’hippocampe, toutes impliquées dans la mémorisation, les émotions, la conscience et la conscience de soi…

Un autre effet positif de la respiration est à chercher dans… les poumons ! Un effet calmant. À l’inspiration, l’air circule dans les bronches, puis les bronchioles et les alvéoles richement vascularisées, au niveau desquelles se produisent les échanges gazeux entre l’oxygène de l’air frais et le gaz carbonique issu de la respiration. À chaque inspiration, les poumons se gonflent mais par sécurité, ce gonflement est stoppé avant qu’il atteigne son volume maximal, car cela pourrait être dangereux pour le tissu pulmonaire, explique Thomas Similowski. Les bronches hébergent de multiples récepteurs sensibles à l’étirement mécanique. Lorsque les poumons sont gonflés à plein, ces récepteurs déclenchent une décharge nerveuse qui inhibe l’inspiration. À l’origine de ce précieux contrôle, le nerf vague.

C’est le dixième nerf crânien, l’un des plus longs du corps humain, qui part de la base du cerveau et innerve la plupart des organes. Sans doute l’axe majeur reliant corps et esprit ! Il fait partie du système nerveux autonome [involontaire, NDLR] qui relie le cerveau à nos organes et véhicule des informations dans les deux sens, explique ainsi Sonia Pellissier, chercheuse au Laboratoire inter-universitaire de psychologie, personnalité, cognition et changement social (université Savoie-Mont-Blanc, université Grenoble-Alpes). Ce système a deux branches, sympathique et parasympathique, comme une voiture dispose d’une pédale de frein et d’une pédale d’accélérateur. » Quand il faut s’adapter, réagir, fuir, courir, on met en route l’accélérateur, le système sympathique, dont le neuromédiateur (molécule qui transmet l’information entre les neurones) est l’adrénaline. Lorsque l’action est terminée, le corps a besoin de ralentir pour reprendre des forces et là, le frein, le système parasympathique, utilise un autre neuromédiateur, l’acétylcholine. Le nerf vague est un acteur majeur de ce système. « Chaque fois que l’on étire ses poumons en inspirant fort, on provoque une décharge de ce nerf », résume Thomas Similowski.

Un dialogue biochimique intime entre le nerf vague et le cœur

Comment fait-il pour nous calmer instantanément ? Les connexions du nerf vague au coeur sont très nombreuses, répond Philippe Chevalier, rythmologue, chef de service de cardiologie au CHU de Lyon. Ses terminaisons s’insèrent dans des coussinets vagaux à la surface du cœur, desquels partent des filaments nerveux qui cheminent le long des cellules cardiaques.De multiples ramifications embrassent ainsi l’organe dans la moindre de ses régions, telle une toile d’araignée. Quasiment chaque cellule myocardique possède un réseau de nerfs microscopiques. S’en suit un dialogue biochimique intime entre le nerf vague et le cœur, poursuit Philippe Chevalier. Le premier envoie de l’acétylcholine aux cellules cardiaques, qui ralentissent le rythme de leurs contractions. Une stimulation excessive (lors d’une émotion forte, d’une douleur brutale) déclenche le fameux « malaise vagal » (nausées, vertiges, pouvant aller jusqu’à la syncope).Un coeur dénervé – lors d’une greffe cardiaque par exemple – bat de façon autonome à une cadence rapide et fixe d’environ 100 battements par minute, note le cardiologue. Alors qu’un coeur normal voit son rythme varier sans cesse, avec une moyenne de 60 battements par minute. Le témoin d’un bon tonus vagal, ce sont les variations spontanées et amples du rythme cardiaque, comme celles observées chez l’enfant, résume Philippe Chevalier. Le plus souvent, les centenaires ayant un coeur sain ont un excellent système vagal.

Ce tonus vagal est évalué en mesurant, par électro- cardiogramme, ces variations au repos. Il est propre à chacun, lié à des facteurs génétiques, mais des traumatismes précoces sont à même de l’altérer. Résultat : Un nerf vague faible peut être associé à un profil anxieux, assure Sonia Pellissier. L’environnement exerce aussi son influence. Si vous êtes confronté quotidiennement au stress, au-delà de vos ressources, votre tonus vagal peut en être affecté, poursuit la chercheuse, ce qui vous expose à une moins bonne régulation des émotions.Au fil du temps, une dégradation chronique du fonctionnement vagal va prédisposer à certaines pathologies, au stress chronique et aux troubles associés comme la dépression, le burn-out. Observation notable de John Williamson, de l’école médicale de l’université de Floride en 2014 : des patients victimes de stress post-traumatique ont un système vagal défaillant. Ils adoptent un comportement de fuite ou d’attaque inadapté à la vie quotidienne, sans parvenir à revenir au calme.

Comment remédier à ces défaillances ? Grâce aux progrès de la recherche, il est désormais possible d’augmenter la tonicité du nerf vague par stimulation électrique invasive, pour traiter certaines pathologies comme l’épilepsie ou la polyarthrite rhumatoïde (lire Sciences et Avenir n° 855, mai 2018) et, depuis peu, les troubles de l’humeur. Implanté dans le cou, un appareil stimule à haute fréquence (20 Hz) la branche gauche du nerf, ce qui aurait pour effet d’activer les fibres nerveuses remontant vers le cerveau. « La stimulation vagale modifie, entre autres, les taux de décharge des neurones du raphé, un noyau cérébral qui produit de la sérotonine – neuromédiateur dont le faible niveau est notamment impliqué dans la dépression », explique le psychiatre Rémy Bation, chercheur au Centre de recherche en neurosciences de Lyon. La preuve par l’imagerie cérébrale : en 2006, l’école de médecine de l’université de Saint Louis (États-Unis) a démontré chez quatre patients que la stimulation vagale était corrélée à une augmentation du flux sanguin cérébral au niveau de régions innervées par le nerf vague et associées à la dépression, preuve que cette stimulation a des effets directs.

Une souris sans microbiote, génétiquement manipulée pour être anxieuse

Une étude pilote a par ailleurs été menée en 1998 au Southwestern Medical Center de l’université du Texas sur trente patients gravement déprimés que l’on avait équipés d’un stimulateur. Environ 40 % ont vu leurs symptômes réduits de moitié en trois mois. Et après neuf mois, plus de la moitié allaient mieux. Une deuxième étude portant sur 235 patients n’a toutefois, quant à elle, pas montré de différence statistique entre ceux qui avaient été stimulés et les autres (janvier 2002). Après moult discussions, la Food and Drug Administration des États-Unis a néanmoins approuvé en 2005 l’utilisation de cette technique chez les malades ne répondant pas àau moins quatre autres traitements disponibles. En 2016, 5000 patients, en dépression résistante aux traitements, ont été soignés de la sorte dans le monde. Mais pas en France. La Haute Autorité de santé a retoqué le dossier en 2017, arguant que cette technique n’avait pas d’intérêt par rapport aux molécules chimiques.

Reste que le nerf vague peut aussi être stimulé beaucoup plus naturellement : Méditation de pleine conscience, cohérence cardiaque (méthode de respiration)… Tout ce qui permet d’améliorer la régulation émotionnelle va renforcer son pouvoir, assure Sonia Pellissier. Il nous faudrait cependant plus d’études contrôlées et comparatives de ces méthodes à court et long terme sur plus de six mois pour confirmer leur intérêt.

Le nerf vague a un dernier pouvoir extraordinaire, et non des moindres. Le “petit” cerveau qu’est l’intestin communique en permanence avec le “grand”, dans notre tête, grâce à une autoroute à plusieurs voies, dont le nerf vague, explique Emeran Mayer, gastro-entérologue, directeur exécutif du Center for Neurobiology of Stress de l’université de Californie à Los Angeles (États-Unis) et auteur de The Mind-Gut Connection. L’intestin possède en effet un système nerveux qui lui est propre. Et sa paroi cellulaire est colonisée par 40.000 milliards de bactéries de mille espèces différentes, qui composent son microbiote aux multiples fonctions. Dès 2004, les travaux de Nobuyuki Sudo, de l’université de Kyushu (Japon), et son équipe ont démontré que des souris axéniques (dépourvues de microbiote) étaient plus anxieuses que la normale. Autre argument en faveur du rôle des bactéries intestinales dans le stress : en 2011, une étude menée par Premysl Bercik, professeur associé de médecine à l’université McMaster (Canada), établit que la transplantation du microbiote d’une souris normale chez une souris axénique manipulée génétiquement pour être anxieuse entraîne une baisse du stress chez cette dernière. John Cryan, professeur du département d’anatomie et neurosciences de l’université de Cork (Irlande), parvient la même année à réduire le comportement anxieux d’une souris en lui faisant consommer… des bactéries ! Pendant 28 jours, l’animal a ainsi ingéré une souche de Lactobacillus rhamnosus, un probiotique (bactérie vivante).

Soigner le ventre pour soulager l’esprit : une piste thérapeutique prometteuse

Comment une bactérie peut-elle modifier le cerveau jusqu’à agir sur le comportement ? Il se pourrait que les bactéries intestinales émettent des substances communiquant avec les neurones de l’intestin, relié au nerf vague, répond John Cryan. Pour tester cette hypothèse, les chercheurs ont reproduit l’expérience sur des souris ayant subi une vagotomie (ablation du nerf vague) avant d’ingérer Lactobacillus rhamnosus. Résultat : l’effet des probiotiques sur le comportement cesse… Lactobacillus rhamnosus pourrait servir comme antidépresseur et anxiolytique grâce à ses effets sur le nerf vague, conclut John Cryan. Et pas seulement chez les souris (lire l’encadré ci-dessous). Tant et si bien qu’émerge une prometteuse piste thérapeutique : soigner le ventre (le microbiote) pour soulager l’esprit ! Le marché des probiotiques (y compris les laits fermentés), estimé à 50 milliards de dollars dès 2018, a de quoi motiver les recherches ! Que ce soit par des pratiques ou de nouveaux aliments, soigner l’esprit par le corps a tout d’un nouvel Eldorado.

Les bactéries, c’est bon pour le moral !

Modifier le microbiote pour atténuer les troubles de l’humeur : cette piste thérapeutique insolite a déjà fait l’objet de nombreuses études chez l’humain. En 2013, le Dr Emeran Mayer, à Los Angeles, a observé, pour la première fois en IRM fonctionnelle, que la consommation de lait enrichi en probiotiques pendant trente jours chez des volontaires sains « modifie l’activité des régions cérébrales qui contrôlent la gestion centrale des émotions et sensations ». En 2017, Premysl Bercik de l’université McMaster (Montréal) démontre le bienfait des probiotiques chez l’humain. Sur 44 patients souffrant du syndrome du côlon irritable (troubles intestinaux souvent associés à de l’anxiété ou une dépression), 22 ont ingéré une dose quotidienne de Bifidobacterium longum, un probiotique, alors que l’autre groupe prenait un placebo. Six semaines plus tard, 14 des 22 patients (64 %) du groupe « probiotiques » ont vu leur score de dépression diminuer, contre 32 % dans le groupe placebo. Et l’IRMf a montré des changements dans les zones cérébrales impliquées dans le contrôle de l’humeur. Disposera-t-on un jour de « psychobiotiques », que John Cryan définit comme « des bactéries vivantes ayant un effet positif sur la santé mentale » ? C’est en tout cas l’objectif affiché.

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