Qu’est-ce que cela signifie de s’entraîner quotidiennement ?

L’entraînement quotidien est la base, le fondement même pour développer les compétences martiales. Tout artiste martial ayant réussi dans l’histoire de ces pratiques a bâti son succès sur une assise solide de compétences essentiellement construites sur une base quotidienne. Dans les arts martiaux chinois ce que cette pratique développe est appelé 功夫 gōng fu et il est vrai de dire que sans gōng fu vous n’êtes pas vraiment un artiste martial. Cela soulève donc la question suivante: si nous souhaitons développer un gōng fu, quel est l’entrainement nécessaire ?

Prenons le cas spécifique du tai chi chuan: un minimum de cinq répétitions de la forme à main nue est essentielle, simplement pour s’assurer que le gōng fu est en cours d’élaboration; une ou deux fois ne suffisent pas. Chaque enseignant avec qui je me suis entraîné sur une base quotidienne faisait cinq répétitions d’une base « d’échauffement » avant de passer à la pratique plus spécifique d’exercices de renforcement des compétences comme la lance d’estoc, l’entraînement au mur du « tiger-back », la marche du dragon ou l’une des nombreuses autres pratiques de ce type.

Quand je vivais à Singapour, je m’entraînais dans la classe d’instructeur du matin du grand maître Zhu Tiancai. Si vous ne savez pas qui est Zhu laoshi, laissez-moi vous expliquer, il est l’un des quatre guerriers gardiens du village de la famille Chen, les quatre porte-drapeaux pour le style Chen, non seulement en Chine, mais aussi dans le monde. Avec Maître Zhu, nous avons pratiqué la première forme de l’ancien style (72 mouvements) à cinq reprises. La première se faisait dans une position assez haute, d’une manière qui pourrait être considéré comme paresseuse, tandis que la deuxième fois nous nous sommes concentrés davantage sur la précision à la fois de la position et du mouvement, puis pour chaque répétition suivantes avec de plus en plus de précision jusqu’à ce que, à la cinquième fois nous recherchions définitivement la perfection. Après la forme à main nue, nous avons pratiqué la poussée de mains ou les armes. Tout cela se faisait tôt le matin avant le travail.

Quand je vivais à Johor Baru et que je m’entraînais tous les jours avec maître Lau Kim Hong, nous pratiquions la forme en 37 pas cinq fois avant une heure de poussée des mains à pas fixes, puis on pratiquait les mouvements en solo on s’entraînait au 內功 nèigōng. Tout cela avait lieu avant le travail.

Lors de l’entraînement avec maître Zhao Wei Dong à Penang, il insistait pour que nous pratiquions la forme que nous avions appris récemment au moins vingt fois d’affilé. Il se plaignait également que la majorité de ses étudiants ne le faisait pas ou ne pouvait pas le faire, en soulignant que Nigel et Fong étaient les seuls à s’être proposé pour le faire. Il suffit de dire que nous étions les deux étudiants les plus sérieux de la classe.

En s’entraînement avec maître Liang He Qing à Muar, celui-ci a insisté sur le fait que nous ne devrions pratiquer aucune forme sans nous concentrer sur son exécution au moins dix fois de suite. Encore une fois, il a été obligé de souligner à ses autres étudiants que Fong et moi-même répétions le taiji rapide au moins dix fois d’affilé chaque fois que nous pratiquions. Il est vrai que ici aussi nous étions les étudiants les plus investis de la classe. Parfois d’autres étudiants se plaignaient que maître Liang nous apprenait à nous déplacer différemment, à ceci sa réponse était toujours: « Quand les élèves veulent jouer le professeur joue, quand l’élève veut vraiment apprendre, le professeur enseigne vraiment« .

Maintenant, si vous êtes un novice en arts martiaux, et c’est la cas de tout le monde en dessous du grade d’instructeur junior, alors ne vous inquiétez pas, je n’insisterai pas sur le fait que vous devriez pratiquer une heure par jour. Sauf si bien sûr vous voulez vraiment maîtriser cet art !

Si, en revanche, vous êtes un instructeur junior qui veut devenir un instructeur, un professeur principal, ou même un jour un maître instructeur alors vous devez être sérieux et vous concentrer sur votre art. Cela signifie qu’il faut y consacrer des heures. Si vous faites un peu de la forme et un peu de poussée des mains avec un ami alors vous jouez juste à ce qu’on appelle les arts martiaux. Au mieux, vous maintenez peut-être un niveau de compétence que vous avez déjà, au pire, vous passez juste le temps en agitant les bras et les jambes. Maintenant, c’est peut être juste ce que vous voulez, mais cela ne correspond pas à l’expérience du gōng fu, ce que décrivent bien les arts martiaux chinois avec l’expression 吃苦 chī kǔ: manger amer.

Quand j’ai commencer à pratiquer le Zhengzi taijiquan, j’ai décidé de m’imposer la discipline de faire la forme à main nue vingt fois par jour, inspirés par les exemples des maîtres tels que Chen Fake Shifu qui était renommé pour le faire avec la forme longue de style Chen. Cependant, j’étais sûr de ne pas m’entraîner avec la même intensité que lui car la forme que je pratiquais ne faisait que la moitié de la longueur. Cela prenait toute fois une bonne partie de mon temps. Je me levais à quatre heures du matin et je pratiquais avant d’aller travailler. Pendant mon temps libre au travail, j’en faisais un peu plus. A cette époque, j’enseignais tous les soirs de la semaine et donc souvent je tentais d’arriver plus tôt pour finir mes répétitions quotidiennes. Le week-end je voyageais souvent à travers le pays pour animer des stages. Au cours de cette époque, j’ai appris beaucoup de choses à la fois sur la forme et sur moi-même et, de ce fait, je désire que les étudiants sérieux puisse acquérir ce niveau de formation. En effet, dans nos cours intensifs d’entraînement spirituel de sept jours en Malaisie, les participants font souvent la forme cinquante fois par jour. Une telle pratique est transformationnelle et, je crois, essentielle si vous cherchez à parcourir le chemin vers ce but nébuleux, la maîtrise.

Je suis fier de dire aux étudiants qui font le voyage pour s’entraîner au centre de formation Zhong Ding sur l’île de Penang, que lorsque votre entraînement est confortable, ou pire encore, agréable, alors vous êtes très loin de marcher sur le chemin martial. Si vous voulez vraiment faire des progrès, alors vous devriez finir chaque jour insatisfait et même en avoir ras le bol. Lorsque cela se produit, ne vous inquiétez pas, car si c’est votre chemin, le lendemain matin, vous vous réveillerez, déterminé à améliorer l’entraînement de cette journée, plutôt que le précédent (un adage que j’ai emprunté respectueusement au « Swordsaint » Miyamoto Musashi).

Donc veuillez me pardonner que lorsque vous prétendez être un artiste martial sérieux et que vous ne pratiquez telle ou telle forme qu’une couple de fois par jour, que le son que vous entendez c’est moi en train de rire et peut-être quelques-uns des anciens maîtres se retourner dans leurs tombes.

Source: traduction du texte de Nigel Sutton: Some thoughts on daily training: What does it mean to train daily ?

Applied Tai Chi Chuan de Nigel Sutton édité par A & C Black Publishers Ltd

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