Le jeu des fleurs

花札 hanafuda

Le Jeu des Fleurs désigne un ensemble de 48 petites cartes japonaises servant de base à une grande variété de jeux. A elles toutes elle forment douze familles de quatre cartes chacune – une famille pour chaque mois. Les motifs des cartes hanafuda s’inspirent librement de la nature japonaise et du rapport qu’entretiennent les Japonais avec cette nature, de telle sorte que l’on retrouve non seulement des éléments comme les fleurs de cerisier ou de prunier, mais également des banderoles de poème, des animaux et des objets, chacun avec leur symbolique propre. Le jeu existe également en Corée sous le nom de Hwata, ainsi qu’à Hawaï ou il est désigné par Sakura ou Higobana.

Voici que fraîchit
le vent d’automne
alignons nos chevaux
et partons dans la lande
voir les lespédèzes en fleur.

Auteur anonyme, Martyôshti

A la manière d’un jardinier observant scrupuleusement son almanach, le détenteur d’un jeu d’hanafuda se laisse purifier par le vent, prépare des confitures de fraises des bois, compose des haïkus dans l’attente des lucioles de l’été, sillonne la forêt, attentif aux présences invisibles, et regarde la neige danser.

Cartes abciennes d'un jeu d'hanafuda

Les prémices du « jeu de cartes » au Japon ne sont pas récents, même si à l’époque il ne s’agissait pas de cartes à proprement parler. Durant l’ère Heian, un jeu très en vogue à base de coquillages peints, le kai-awase, consistait à réunir les deux morceaux d’une même coquille afin de reformer une scène du Dit du Genji. Ce jeu, évoquant déjà le principe des paires de l’hanafuda, était cependant réservé aux membres de l’aristocratie comme simple divertissement.

Les origines de l’hanafuda tel qu’on le connaît aujourd’hui remontent au XVIe siècle, quand les Portugais introduisirent le jeu de 48 cartes hombre au Japon. Le mot karuta qui désigne actuellement carte à jouer en japonais tient d’ailleurs son origine du mot carta portugais.

L’année 1549 marque ainsi un tournant dans la pratique du jeu, puisque ce loisir réservé à la noblesse s’ouvre aux classes populaires. Si dans un premier temps ces dernières s’y consacrent juste pour le jeu, peu à peu le public se prend d’intérêt pour la pratique portugaise du pari. Le gouvernement, craignant le développement de cette pratique, se met à promulguer des lois pour interdire le jeu d’enjeux basé sur les paris.

Le jeu de cartes hanafuda émergea et se transforma au cours des décennies qui suivirent, et ce malgré les interdictions, mêlant aux cartes européennes un style proprement japonais qui les placent au carrefour de deux civilisations.

En 1886 cependant, le gouvernement Meiji légalisa à nouveau le jeu de cartes à la faveur de la réouverture du Japon sur le monde. L’interdiction, qui perdurait depuis 1633, avait donné lieu au développement de toute une pratique illégale et souterraine gérée par les yakuza, dont l’hanafuda est encore aujourd’hui le jeu attitré. La mafia japonaise tire d’ailleurs son nom de l’oichokabu, pratiqué à partir d’un jeu de cartes hanafuda.

Hanafuda Fleur de la ville , rouge, Nintendo
Hanafuda, série Fleur de la ville , rouge, Nintendo

L’occasion de voir ce jeu être enfin légalisé fut saisie par un joueur nommé Yamauchi Fusajiro qui profita de cette légalisation pour fonder en 1889 à Kyotô une petite société de production de cartes hanafuda : la Nintendo Koppai. Le succès est immédiat, et encore aujourd’hui, malgré son élargissement au domaine du jeu vidéo, la société Nintendo continue de commercialiser des cartes hanafuda. Encore extrêmement populaire de nos jours, l’hanafuda se pratique autant en famille, entre amis ou entre yakuza, à l’occasion du Nouvel An.

Les 48 cartes hanafuda sont divisées en 12 familles, chacune de ces familles étant assimilée à un mois et à une fleur.

Janvier, le pin

松 Matsu

La cloche du temple résonne
la nuit s’évanouit dans le jour
le vent de l’aube traverse les pins
les rêves se déchirent, vient l’éveil
les rêves se déchirent, vient le jour.

Zeami in Izutsu

Image végétale de l’éternité, le pin reste vert malgré la neige et le froid de l’hiver. Il est présent dans le kadomatsu que l’on compose dans les derniers jours de décembre, où le pin préfigure avec le bambou, tous deux étant respectivement des symboles de longévité et de santé. Parmi les cartes de janvier, on trouve un autre symbole de longévité, la grue, réputée pour vivre mille an. Elle est au cœur de la tradition du pliage des origami. Le pin est également l’arbre du divin où les dieux font entendre leur musique, quand le vent souffle entre ses branches.

Février, le prunier

紅梅 Kubai

Le rossignol, dit-on avec les fleurs du prunier
tisse une couronne
je m’en ornerai la tête
pour cacher ma vieillesse.

Minamoto no Tokiwa, Kokinshū 

Importé de Chine au VIIIe siècle, le prunier est l’arbre des lettrés et des nobles qui célèbrent à travers de nombreux poèmes le parfum de ses fleurs délicates. Symbole de vaillance et de renouveau, le prunier fleurit parmi les neiges pour annoncer la venue du printemps, au même titre que le rossignol qui chante dans ses branchages.

Mars, le cerisier

桜 Sakura

Le monde
n’est plus que fleurs
de cerisier.

Ryōkan Taigu

Emblème du Japon et du printemps, la fleur de cerisier est célébrée par de nombreuses croyances et traditions, dont la plus célèbre est le rite d’hanami consistant à admirer la floraison de cet arbre, des derniers jours de mars jusqu’au début du mois de mai. Il arrive à cette occasion que l’on savoure la beauté des fleurs à l’abri des regards, séparé par un rideau que l’on retrouve ici dans la série des cartes de mars. A l’apogée de leur beauté, la chute des fleurs de cerisier est un miroir des valeurs bouddhiques, ainsi que de l’éthique des samouraïs. Elle est à l’image de l’éphémère, de la beauté de l’instant qui resplendit avant de s’éteindre. Sur le ruban qui orne cette série de cartes, on peut lire l’inscription Miyoshino, qui est l’un des lieux les plus prisés au Japon pour aller admirer les cerisiers en fleurs.

Avril, la glycine

藤 Fuji

Le chant du coucou
d’un mouvement de ses ailes
disperse les fleurs
qui tant et tant abondent
vague de glycines.

Ootomo no Yakamochi, Manyôshù

Associé au coucou, la glycine est une fleur suave, évoquant le printemps qui s’éloigne. Sa couleur violette est celle des nobles personnages de la cour, telle que la Dame Fujitsubô – « le Clos aux Glycine » – qui apparaît dans le Dit du Genji. La Glycine est la fleur d’une demi saison encore douce, qui n’est pas encore emprisonnée dans la touffeur et l’humidité de l’été ; les poètes disent de son parfum sensuel et apaisant qu’il apporte la connaissance à qui le respire.

Mai, l’iris

燕子花 Kakitsubata

Dans tous les étangs j’ai trempé mes manches en quête d’iris
aux racines aussi profondes
que mon amour.

Sanjôin no Nyôkurôdo Sakon, Shin kokinshū 

C’est par excellence une fleur aquatique qui éclot au cœur de la saison des pluies. A l’occasion du Kodomo no Hi, le Jour des Enfants, qui a lieu le 5 mai, on a coutume d’accrocher des iris aux auvents des maisons pour éloigner les mauvais esprits. Les garçons, qui sont à l’honneur ce jour là, sont également coiffés de couronnes tressées avec des iris. Ses longues racines évoquent pour les poètes la profondeur des sentiments.

Juin, la pivoine

牡丹 Botan

Je suis venu du bout du monde
pour savoir ce qui se cache de rose
au fond des pivoines blanches de Hasédéra.

Paul Claudel in Cent phrases pour éventails

C’est la plus chinoise des fleurs du Japon. En faire offrande symbolise le sentiment amoureux, elle est également signe de bonheur et de prospérité, de telle sorte qu’on la suspend un peu partout pour favoriser la réussite. La pivoine est souvent associée aux karajishi, les lions de pierre qui gardent l’entrée des temples bouddhiques.

Juillet, le lespédèze

萩 Hagi

L’espace d’un instant
elle parait dans la quiétude
au vent pourtant
bientôt s’éparpillera
la rosée du lespédèze.

Le Dit du Genji

Contrairement aux autres fleurs citées, le lespédèze semble n’avoir aucun attrait, aucun parfum ni aucune symbolique, et pourtant il est célébré par plus de 130 poèmes du Man’yôshû, ce recueil de l’ère Nara célébrant la nature et les traditions nippones. Il est l’emblème de la fin de l’été japonais. C’est avant tout le vent qui révèle la légèreté de cette plante en en faisant danser les rameaux. Il est associé à la rosée, figure poétique des larmes, ainsi qu’au vent d’automne qui disperse ses fleurs. La douceur du lespédèze apaise les caractères sauvages tels que celui du sanglier qui se repose entre ses buissons.

Août, la miscanthe

薄 Susuki

Pleine lune d’automne
sur les lespédèzes, les miscanthes
contempler la pluie.

Issa

A l’image de l’automne, la miscanthe est la fleur de la nostalgie et des sagesses oubliées, scintillante comme la pleine lune dont elle est indissociable. Elle invite à la retraite solitaire et à la méditation. Elle évoque la douceur des lumières qui succèdent à l’été. De même que les journées de printemps sont consacrées à hanami, à l’occasion de la quinzième nuit du mois d’août on contemple la lune lors du tsuki-mi. Cette nuit-là, on dispose des miscanthes accompagnées des sept autres herbes de l’automne désignées par le Man’yôshû avant d’admirer la pleine lune en savourant une tasse de saké. Les oies sauvages qui migrent à ce moment là de l’année accompagnent les miscanthes dans la symbolique du mois d’août.

Septembre, le chrysanthème

菊 Kiku

Ces fleurs de chrysanthème déposées par le givre blanc
au point de m’égarer
j’aurais tant voulu les cueillir.

Ōshikōshi no Mitsune in Kokinshū 

Si la miscanthe est à l’image de la lune, le chrysanthème est la fleur du soleil. Il est le symbole de l’éternité, de l’autorité impériale et de l’éternelle jeunesse. Cette fleur importée de Chine est immédiatement associée aux empereurs qui la cultivent avec soin. La coupe de saké présente sur cette famille de cartes rappelle les nombreuses fêtes célébrées en septembre. Le Chrysanthème blanc quant à lui annonce l’hiver, il est la fleur de la douceur et de la constance.

Octobre, l’érable

紅葉 Momiji

Les basses branches des érables
d’un côté s’effeuillent
dans la montagne, un cerf solitaire
mouillé par l’averse du soir
bramera sans doute.

in Shin kokinshū

Les érables sont les cerisiers de l’automne, dont on admire le feuillage à l’occasion du momiji-gari. Mais si le printemps est à l’image d’une forme de mélancolie relatif au caractère éphémère des choses, l’automne, avec son explosion de couleurs en perpétuelle mutation, présente une image plus vivace. L’automne, en plus d’être la saison de la chasse aux érables, est l’époque de la chasse au cerf à laquelle se livraient les seigneurs du Japon ancien.

Novembre, le saule

Yanagi

Habileté des courtisanes
qui font plier les grands
souplesse du saule.

Kikaku

Cette série de cartes met en scène le personnage du poète, qui n’est autre qu’Ono no Tôfu, le fondateur de la calligraphie japonaise, qu’il libéra des règles chinoises. Le saule fait ainsi figure d’habileté et de sagesse. On raconte que cet homme, qui avait échoué six fois à un concours de lettrés, vit à l’occasion d’une promenade une grenouille tentant d’attraper une mouche sur la branche d’un saule; elle s’y essaya six fois sans succès, avant d’atteindre son but la septième fois, ce qui redonna du cœur au poète qui retenta le concours et le remporta. En ceci, la carte du poète fait symbole de l’opiniâtreté récompensée.

Décembre, le paulownia

桐 Kiri

La fleur violet pourpre du paulownia est aussi très jolie. Je n’aime pas la forme de ses larges feuilles étalées; cependant je n’en puis parler comme je ferais d’un autre arbre. Quand Je pense que c’est dans celui-ci qu’habiterait l’oiseau fameux en Chine, je ressens une impression singulière. A plus forte raison lorsqu’avec son bois on a fabriqué une cithare, et qu’on en tire toutes sortes de jolis sons, les mots ordinaires suffisent-ils pour vanter le charme du paulownia?

Sei Shônagon in Notes de chevet  

Étrangement, c’est un arbre de printemps qui vient clore la série de décembre. Pourtant, son emblème est celui du phénix, peut-être en raison de son étonnante résistance au feu. C’est également un autre arbre associé au pouvoir impérial, notamment au pouvoir de l’impératrice; si autrefois l’emblème des empereurs chinois était le dragons, les impératrices elles étaient représentées par le phénix. Aujourd’hui, c’est encore l’emblème du Premier Ministre.


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