禹步 Yǔ bù
Le pas de Yu est une des danses sacrées qui fut longtemps pratiquée par les prêtres taoïstes. Hommage dédié à l’eau et à la terre, à l’origine, cette danse peut aussi constituer un moyen d’intégrer les enseignements de la nature et d’assurer en nous un équilibre entre deux forces opposées en apparence mais complémentaires en réalité : l’énergie de la protection, de la détermination et de la persuasion et celle de l’adaptation, de l’observation et de l’écoute.
大禹 Dà Yǔ 2297 – 2197 AEC
Le pas de Yu est une danse inspirée à l’origine de l’histoire de l’empereur légendaire et fondateur de la dynastie des Xia (夏朝 xià cháo) : Yu le Grand.
Considéré parfois comme étant mi-homme mi-dragon, il est devenu une figure emblématique de la mythologie chinoise et vénéré chez les taoïstes comme la divinité régissant les mers, les fleuves et les rivières.
Avant d’être empereur, Yu succéda à son père, Gun, dans ses fonctions de ministre. Il reçut l’ordre à de l’empereur Yao (帝堯 dì yáo) de maîtriser les eaux, en particulier celles du Fleuve Jaune (黃河 Huáng hé), qui débordaient et menaçaient tout l’empire. À cette fin, il conclut une alliance avec la divinité du Fleuve Jaune, consistant à céder la moitié de son corps en recevant en échange la puissance nécessaire pour canaliser et diriger ce fleuve vers la mer, en particulier par la construction de canaux plus profonds. La légende raconte que ce travail d’aménagement de canaux et d’écoulement des eaux s’effectua selon un parcours dansé : hémiplégique à la suite de l’accord conclu avec la divinité du Fleuve Jaune, Yu sautillait en traînant une jambe, mouvement qui devint par la suite le fameux Pas de Yu.
Depuis le début de l’ère chrétienne en particulier et pendant plusieurs siècles, le « Pas de Yu » fut une danse pratiquée par les prêtres taoïstes, lors de fêtes paysannes saisonnières.
Un hommage aux esprits de l’eau et de la terre
Le « Pas de Yu » est une danse dévotionnelle car elle rend hommage aux divinités des Eaux et de la Terre. Elle est aussi une danse extatique nous permettant d’entrer en transe pour nous unir à ces divinités : en chinois, l’entrée en transe se traduit par 蹈神 dǎo shén qui signifie littéralement ballotter l’esprit, 蹈 dǎo désignant plus spécifiquement le sautillement.
Étant en station correcte, que le pied droit soit en avant et le gauche en arrière. Alors à nouveau, portez en avant le pied droit ; faisant suivre le pied droit par le gauche, mettez-les sur la même ligne : c’est le premier pas. — Alors, qu’à nouveau soit en avant le pied droit. Alors, portez en avant le pied gauche ; faisant suivre le pied gauche par le droit, mettez-les sur la même ligne : c’est le deuxième pas. — Alors, qu’à nouveau, soit en avant le pied droit ; faisant suivre le pied droit par le gauche, mettez-les sur la même ligne : c’est le troisième pas.
Ko Hong, Pao P’o tseu, chap. 17, traduit et cité par Marcel Granet, Danses et légendes de la Chine ancienne
Ainsi, le Pas de Yu est la danse qui permet de canaliser et d’accueillir les forces des Esprits des Eaux et des Monts et, par conséquent, de favoriser la tombée modérée de la pluie afin de vaincre la sécheresse. La connexion avec les Esprits des Eaux et des Monts contribue également à intégrer en nous les propriétés des forces de ceux-ci : l’adaptation et la tempérance de notre comportement (Eaux), ainsi que la résistance et la force de persuasion face à toute épreuve de notre vie (Monts).
Une danse qui rééquilibre tout notre être
Le Pas de Yu est une danse qui incarne la force équilibrante de l’empereur Yu qui régit et maîtrise les forces considérables et puissantes des eaux. Il représente aussi de façon indirecte la force qui vise à modeler la terre pour canaliser les forces des eaux. Contrairement à son père qui construisait des digues et des murailles pour contrer ou réprimer les Eaux, Yu ouvrit les cours des fleuves et construisit de profonds canaux pour conduire leurs eaux vers la mer. Il respecta ainsi la loi de la nature sans chercher à la violenter ou à l’affronter.
Chaque mouvement symbolique de la danse doit être ressenti comme une communion avec chaque élément et comme une intégration de ses propriétés en nous :
- le fait de porter en avant, dans un mouvement ascendant ou vertical, le pied gauche devant le pied droit ou de porter en avant le pied droit devant le pied gauche est une communion avec la terre et doit renforcer en nous notre résistance, notre confiance et notre force de persuasion et de détermination face à toute épreuve de la vie ;
- le fait de faire suivre, dans un mouvement horizontal, le pied droit derrière le gauche ou de faire suivre le pied gauche derrière le pied droit est une communion avec l’eau et doit renforcer en nous notre capacité d’adaptation face aux évènements les plus difficiles de notre vie, notre force de réceptivité et d’écoute dans nos relations avec autrui.
Ce n’est pas sans rappeler certaines marches que nous pratiquons aussi bien en qi gong qu’en taijiquan.
Le Pas de Yu se pratique jusqu’à ce que les énergies des Esprits des Monts et des Eaux soient imprégnées en nous et n’incarnent plus que la force bienveillante de Yu, c’est-à-dire cette force équilibrante et régulatrice de nos instincts. Lorsque nous ressentons cette sensation de paix en nous.
踏罡步鬥 tà gāng bù dòu
Arpenter les étoiles de la Grande Ourse (步罡 bù gāng) combine deux caractères chinois. Nous retrouvons le caractère步 bù qui signifie pas, étape, état, situation, aller à pied, marche et 罡 gāng un ancien nom d’étoile qui représente la Grande Casserole. La Grande Casserole, aussi connue sous le nom de Grand Chariot est un astérisme de sept étoiles qui a été reconnu, de tout temps, comme un groupement distinct d’étoiles. Les étoiles la constituant sont les sept plus brillantes de la constellation de la Grande Ourse ou Boisseau (斗 dǒu)
步罡 bù gāng est une marche ou danse rituelle taoïste basée sur le Pas de Yu, dans laquelle un prêtre taoïste à travers une représentation symbolique arpente les étoiles de la Grande Ourse. Lorsque le taoïsme religieux s’est développé pendant la période des Six dynasties (220–589 EC), l’expression 罡踏斗 gāng tà dòu, suivre la ligne directrice et marcher sur les étoiles de la Ourse est devenu populaire.
Le caractère chinois 罡 gāng faisait à l’origine référence à l’étoile qui est au bout de la poignée de la Grande Casserole et le caractère 斗 dǒu faisait référence à la Grande Casserole. Plus tard, sa signification a été étendue aux étoiles des cinq directions (l’Est, le Sud, l’Ouest, le Nord et le Centre). Le maître du rituel, portant des chaussures de nuages, pose le diagramme de la Grande Ourse sur un sol d’environ dix pieds carrés, qui symbolise les neuf couches des cieux. Accompagné d’une musique taoïste mélodieuse, le maître rituel visualise les Neuf Cieux, et arpente la Grande Ourse selon les positions des étoiles et les 28 constellations ainsi que le schéma des Neuf Palais et des Huit Trigrammes.
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