EntraĂ®nĂ© par cette Ă©preuve de la puissance de la raison, notre penchant Ă Ă©tendre [nos connaissances] ne voit plus de bornes. La colombe lĂ©gère, qui, dans son vol, fend l’air dont elle sent la rĂ©sistance, pourrait s’imaginer qu’elle volerait bien mieux encore dans le vide. C’est ainsi que Platon quittant le monde sensible, qui renferme l’intelligence dans de si Ă©troites limites, se hasarda, sur les ailes des idĂ©es, dans les espaces vides de l’entendement pur. Il ne s’apercevait pas que, malgrĂ© tous ses efforts, il ne faisait aucun chemin, parce qu’il n’avait pas de point d’appui, de support sur lequel il pĂ»t faire fond et appliquer ses forces pour changer l’entendement de place. C’est le sort ordinaire de la raison humaine, dans la spĂ©culation, de construire son Ă©difice en toute hâte, et de ne songer que plus tard Ă s’assurer si les fondements en sont solides.
Emmanuel Kant in Critique de la raison pure
Le pays des sens
