Orphée vérifia cet agencement en commençant par le corps propre des humains, par le piétinement de leur marche, leurs percussions sur la pierre, la colère de leurs haines et leurs pleurs, par la cacophonie incompréhensible et brutale d’histoire…
… mais, auparavant, il écouta pieusement les tissus cousus et déchirés de l’embryon bruissant comme des papiers froissés, les battements précoces du cœur au paradis de l’enceinte utérine, le pouls du poing, le tonus de la tenue, le charivari de la chair, la tension des muscles et des nerfs, l’explosion de l’enthousiasme à la chaleur vitale, l’ébranlement trépidant du coït et la cymbale finale de l’orgasme, le tintement de dix horloges organiques qui vibrent dans les plis de la chronobiologie, et, enfin, l’ADN qui, en hélice, tremble comme une corde vibrante.
Mineur, majeur, hautbois, musette, changements de formes et d’espèces, voluvélo, évodévo, évolution et développement… il comprit alors ceci: puisque, de mémoire de rose, nul n’entendit mourir un jardinier, que, de mémoire de femme ou de mâle, nul ne vit s’évanouir un genre, notre corps glisse si vite sous la mort silencieuse qu’il n’entend presque jamais le rythme des transformations vitales. Il apprenait l’autre raison pour laquelle il était sourd.
« Voilà les vifs », dit-il.Et voici pour le Monde.
Accord rare parmi la musique d’un atomisme à profusion, la vie s’entend comme un miracle dans la gigantesque loterie des choses ; après son information et ses transformations, après elle, mais, en réalité, avant elle, il se mit à écouter le tonnerre bas et tremblant des séismes, les panaches en volutes des éruptions volcaniques, les tourbillons des rivières au sortir de l’arche des ponts, les turbulences des nuages et les trombes des cyclones, les galaxies aussi spiralées que les rubans génétiques des vifs.Au-delà des ritournelles stationnaires des orbites elliptiques, il entendait aussi la polyphonie dispersée de la radioastronomie, le bruit aléatoire des sauts quantiques, la diffusion granulaire des temps, la rumeur profuse d’Univers, entre big bang et big crunch, la formidable expansion d’une onde inouïe parce qu’universelle. Il entendit le chaos déborder le commencement des choses et de la pensée, son tohu bohu strié de signaux.
Michel Serres in Musique
Orphée et Eurydice, possédés par Pina Bausch
Orphée et Eurydice est l’une des pièces majeures de Pina Bausch, créée à Wuppertal en 1975 et entrée en 2005 au répertoire de l’Opéra de Paris. Un opéra-dansé qui consacre un des sommets de son art chorégraphique.
Parti aux Enfers chercher celle qu’il aime, Orphée échoue à ramener Eurydice d’entre les morts et la voit disparaître à jamais. La chorégraphe allemande donne corps à la partition de Gluck dans une mise en scène épurée, où le dialogue se noue entre le chant et la danse. Chacun des personnages a été dédoublé en une voix chantante et un corps dansant, qui, exécutés en parallèle, représentent les différentes expressions d’un même sentiment.