Dans le taoïsme, xìng et mìng sont deux concepts interdépendants qui peuvent être compris de différentes manières. Xìng et mìng représentent non seulement deux aspects différents du corps~esprit mais aussi deux modes différents de culture de soi. Il y a deux difficultés principales à comprendre xìng et mìng. Premièrement, la signification littérale de xìng et mìng, les traductions ne reflètent pas toujours la façon dont xìng et mìng sont compris dans la tradition taoïste. Deuxièmement, même dans la tradition taoïste, il peut y avoir des incohérences dans la façon dont ces termes sont utilisés.
命 mìng
Mìng peut signifier vie, sort ou destin. Il fait référence à l’existence d’un individu sur terre – à sa durée de vie. Le caractère 命, c’est le caratère 令 lìng auquel on a ajouté le radical 口 kǒu. 命令 mìng lìng peut signifier ordre, ordonner, commander ou directive.
- 命 mìng
- vie, sort, fortune, destin, ordonner, ordre, commandement, attribuer
- 令 lìng
- causer, commande, ordonner, rame de papier, provoquer, décret, loi, honorable
- 口 kǒu
- bouche, ouverture, entrée, passe, trou; classificateur pour les membres d’une famille, les objets à large orifice tels que puits, jarres, cloches, malles
性 xìng
Xìng peut désigner la nature ou la qualité de quelque chose. En ce sens, xìng peut être utilisé pour désigner le sexe ou le genre. Xìng fait également référence au caractère ou à la disposition de quelque chose, et à sa possibilité. Xìng est composé de 忄 (心 xīn) et de 生 shēng.
Dans la pensée taoïste, 命 mìng : la force vitale, la vie ou la destinée est comprise en relation avec 性 xìng le caractère, la disposition, la propriété, la qualité. On dit que le caractère 命 représente les deux reins vus de l’arrière. Le caractère 性 combine le radical 忄pour le cœur (xīn) à gauche avec le caractère 生 shēng : naître ou vie. Ainsi xìng se réfère à la nature innée du cœur~esprit qui relève donc du ciel antérieur, tandis que mìng peut se référer à ce qui est acquis qui relève du ciel postérieur. Mìng peut également faire référence à l’idée de la culture de soi, et xìng à ce que la personne expérimente de la culture de soi. On cultive la vie (mìng) pour réaliser sa nature (xìng). Une fois la nature (xìng) réalisée, on peut connaître son destin ou sa vie (mìng).
- 性 xìng
- nature, caractère, propriété, attribut, genre, sexe, sexualité
- 心 xīn
- cœur, pensée, esprit, intention
- 生 shēng
- être né, naitre, donner naissance, accoucher, vie, existence, élève, cru, pousser
- 體 tǐ
- corps, forme, santé
- 用 yòng
- utiliser, employer, avoir à faire ceci ou cela, manger ou boire, frais ou dépenses, utilité, c’est pourquoi, donc, par conséquent, avec
- 生 shēng
- être né, naitre, donner naissance, accoucher, vie, existence, élève, cru, pousser
- 身 shēn
- corp, corporel, tronc, coque, carrosserie, vie, durée de vie, soi-même, personnellement
Dans les pratiques taoïstes du 内丹 nèi dān, xìng et mìng sont parfois décrits respectivement comme 體 tǐ , la forme et 用 yòng, l’usage. On peut les percevoir comme l’esprit (xìng) et le souffle (mìng) et ils seront associés à l’esprit (心 xīn) et au corps (身 shēn). Xìng est associé au feu et réside dans le cœur et mìng est associé à l’eau, qui réside dans les reins.
- 有 yǒu
- avoir, posséder, il y a, exister
- 無 wú
- ne pas avoir / non / sans / aucun / manquer de / (préfixe) in- / (71e radical)
- 爲 wéi
- faire, agir, en tant que, servir de, devenir, se comporter comme
Mìng et xìng font également référence à deux méthodes ou écoles de pensée liées à la culture de soi taoïste. 性功 xìng gōng fait référence à la culture de soi, qui emploie une méditation assise calme pour cultiver l’esprit, tandis que 命功 mìng gōng entraîne le corps à travers des exercices de culture du 氣 qì. Mìng gōng est parfois appelé 有爲 yǒu wèi (faire) et xìng gōng comme 無爲 wú wèi (sans faire). Yǒu wèi signifie poursuivre quelque chose de manière active ou avoir une réalisation exceptionnelle. Wú wèi ne signifie pas ne rien faire, mais plutôt faire naturellement, de façon à ne pas aller à l’encontre de l’ordre naturel des choses. Bien que ces deux méthodes semblent contradictoires, ce sont en réalité les deux faces d’une même médaille, comme le 隂 yīn et le 陽 yáng. En ce sens, yǒu wèi et wú wèi sont complémentaires et sont souvent employés en tandem.
- 情 qíng
- sentiment, émotion, affection, passion, situation, état
- 精 jīng
- finesse, essence, substance, vitalité, vigueur, raffiné, fin, soigné, intelligent, malin
- 神 shén
- divinité, dieu, esprit, expression, air, énergie
☲☰
Xìng est lié à l’aspect yáng du cœur et aussi à 情 qíng, aux émotions. Le trigrame ☲ 離 lí est souvent utilisé pour expliquer l’interrelation entre la conscience et l’émotion. Lí est connecté au 神 shén, à l’esprit d’une personne, qui réside dans le cœur. Le trait plein extérieur, yáng, dans le trigramme ☲ représente xìng et la conscience humaine tandis que la trait yīn, brisé, au centre du trigramme représente les émotions. Dans la méditation taoïste en apaisant l’esprit, la conscience, les émotions deviennent également immobiles et se transforment. Cette transformation du yīn en yáng restaure le feu à son état originel du ciel antérieur, pur yáng représenté par le trigramme ☰ 乾 qián, le ciel.
☲☷
Mìng est parfois considéré comme 精 jīn, l’essence du corps, qui est stocké dans les reins, mais il est également associé au souffle véritable, 真氣 zhēn qì, produit par 元氣 yuán qì et entretenu par le ciel postérieur, le vrai feu yáng dans l’eau yīn. Lorsque mìng est correctement cultivé, 精氣 jīn qì se transforme en esprit, qui abrite le cœur. C’est une autre façon de comprendre la conversion de la ligne centrale brisée du trigrame ☲ en une ligne yáng ininterrompue. Simultanément, cela permet la conversion de l’eau à son état initial du ciel antérieur, yīn, représenté par le trigramme ☷ 坤 kūn, la terre.
Ce retour à l’état du ciel antérieur représente à son tour le retour à la vraie nature (xìng) et au véritable destin (mìng). 劉一明 Liú Yīmíng (1734–1821), figure importante de l’alchimie interne taoïste, était le maître de l’une des branches nordiques de la lignée 龍門 Lóngmén (Porte du Dragon). Liú décrit xìng comme la nature intérieure authentique et mìng comme la vie individuelle en tant qu’être humain, le «destin». Dans l’existence du ciel antérieur d’un individu, la vraie nature est obscurcie par les émotions et la fausse personnalité, et la vraie vie, ou la vraie destinée, est cachée. Les pratiques d’alchimie du 内丹 nèi dān mettent l’accent sur l’inversion du cours, de sorte que l’on retourne à sa vraie nature et sa véritable destinée.
道德經 Dàodéjīng
Le chapitre 16 du Dàodéjīng mentionne mìng dans ce contexte d’inversion et de retour à un état antérieur plus naturel.
致虛極 守靜篤
Chapitre 16 du Dao De Jing
萬物並作 吾以觀復
夫物芸芸 各復歸其根
歸根曰靜 是謂復命
復命曰常 知常曰明
不知常 妄作凶
知常容 容乃公
公乃王 王乃天
天乃道 道乃久
沒身不殆
Le commentaire de 河上公 Héshàng Gōng sur ce passage précise :
Tout sans exception flétrit et meurt. Tout revient (歸 guī) à sa racine (根 gēn) puis retourne à la vie (復命 fù mìng). Le repos (靜 jìng) s’appelle la racine. La racine est paisible et souple. Modestement, elle reste en dessous. Par conséquent, elle ne retourne pas à la mort. Être calme et paisible, cela appelle à revenir à la vie et donc à ne pas mourir. Si l’on est capable de savoir marcher éternellement dans le 道 dào, alors on est illuminé.
Au fil du temps, l’alchimie interne taoïste a développé deux principaux modes emblématiques de culture de soi. Le premier, lié à xìng, est basé sur la culture de l’esprit, avec l’intention de supprimer les blocages qui empêchent de voir sa vraie nature. Le second, lié à mìng, est basé sur la purification de divers composants du corps, en augmentant sa force vitale (精氣 jīng qì) afin de prolonger sa vie. Une partie de cela se concentre sur la culture de la conscience et de l’esprit.
La compréhension et la cognition émergent de l’esprit: avec des pensées et des cogitations, l’esprit attache le xìng. Les réponses et les réactions émergent du corps : avec la parole et le silence, avec la vue et l’ouïe, le corps pèse sur mìng. C’est parce que mìng est accablé par le corps qu’il y a naissance et mort. C’est parce que xìng est attelé par l’esprit qu’il y a des va-et-vient.
Par conséquent, selon le maître taoïste 道纯 LǐDàochún, xìng est blessé par l’activité mentale – pensées et cogitations – et mìng est blessé par l’activité physique – les perceptions et les réponses qui se produisent à travers le corps physique et les sens.
Certains auteurs taoïstes affirment la supériorité de xìng, estimant qu’en cultivant xìng, mìng est automatiquement cultivé également. Ceci est réalisé grâce à des pratiques qui se concentrent sur vider l’esprit et entrer dans le calme afin de comprendre sa véritable nature intérieure. D’autres pensent que mìng doit être d’abord cultivé à travers des pratiques qui affinent et transmutent les énergies fondamentales du corps. Cela implique le raffinage de l’essence, 精 jīng, et sa transmutation en 氣 qì, le raffinage du qì et sa transmutation en 神 shén et le raffinage du shén et sa transmutation en vide : 道 dào. Au fur et à mesure que mìng s’épanoui, jīng qì s’épanouit et les énergies du corps sont raffinées et purifiées, on cultive automatiquement xìng.
Les pratiquants d’arts martiaux internes commencent généralement par se concentrer sur mìng, et au cours du renforcement du corps et de son affinage, les énergies s’engagent avec xìng. Avec le temps, la composante mentale et spirituelle des arts prend une importance égale.
Taoïste et pratiquant de ba gua zhang, Lu Zi Jian (呂紫劍 1893-2012) a une vision unique de xìng et de mìng . Transformer le qì en shén, implique de connecter deux points d’acupuncture : Porte de la vitalité (神阙 shén què) et Porte du destin (命门 mìngmén) qui sont diamétralement opposés, l’un situé au milieu de la taille et l’autre au milieu du bas du dos. Cete connexion se pratique quotidiennement une seule fois le matin.
Shénquè est un point d’acupuncture lié aux fonctions sexuelles (xìng) de tout être humain, tandis que mìngmén est défini comme étant le maître des douze réseaux de canaux. Cet exercice reliant ces deux points est appelé culture de xìng~mìng. Shénquè appartient au vaisseau conception (任脉 rèn mài), mìngmén au vaisseau gouverneur (督脈 dū mài). Rèn mài appartient à l’élément eau ; dū mài appartient à l’élément feu. En combinant ces deux points, l’eau et le feu s’entraident : la sexualité et la vitalité fusionnent.
Cependant, en général, xìng et mìng sont considérés comme deux aspects de la même pratique et chacun conduit à l’autre et dépend de l’autre. Chen Ying Ning (陳攖寧 1880-1969), un taoïste de l’école Porte du dragon (龍門派 Lóngmén Pài), résume succinctement cette interconnexion : xìng et mìng sont comme une lampe à huile. Mìng est l’huile et xìng est l’éclat de la flamme. Sans l’huile, il ne pourrait y avoir de flamme, mais sans la flamme, l’huile resterait inutilisée.