Aériennes

The Poetry of earth is never dead. — John Keats

J’ai toujours pensé que la beauté du monde était destinée à nous faire oublier la brièveté tragique de nos vies . Elle nous livre en brefs éclairs ces promesses d’éternité qui jaillissent d’un miroitement de feuilles de trembles dans le soleil, d’un tapis de coquelicots ondulant dans le velours des blés, d’une épaule de forêt appuyée contre le bleu du ciel, ou de la dance des flocons de neige papillonnant dans la nuit. Je crois sincèrement que la sensation du bonheur est intimement liée à la sensation d’éternité, je n’ai jamais coupé le lien qui s’est noué dans mon enfance avec le monde naturel. D’instinct .Comme s’il y allait de ma survie, pour le moins, de mon bonheur de vivre. La terre est éternelle, elle a existé avant nous, elle existeras après nous. Elle seule garde la mémoire d’un temps où nous n’existions pas, une mémoire qui ne nous est accessible que si nous nous penchons vers elle. La terre, malgré les souillures de la société industrielle, continue d’offrir à l’homme des soirées lumineuses en juin, des mousses tendres dans les bois de l’automne, des rivières qui chantent, des hirondelles qui partent et d’autres qui reviennent, des saisons de lumière et d’autres riches de mélancolie. Renouer le contact avec le monde sensible n’est pas une idée du passé mais un espoir pour l’avenir. L’homme se souvient que notre mère nourricière fait souffler plusieurs sortes de vents, tomber plusieurs sortes de pluies, éclore des matins humides de rosée, des matins de gel ou de neige . Qu’elle allume dans le ciel des foyers dont les couleurs nous serrent le cœur, au crépuscule comme à l’aube des jours. Qu’elle s’endort en hiver, se réveille au printemps dans le parfum des lilas qui fuse dans l’air tiède de mai. Qu’elle nous laisse apercevoir chaque soir les étoiles qui s’allument fidèlement, comme pour solliciter notre attention, nous rappeler quelque chose. L’on prétend que nous venons d’elles, que le carbone de nos cellules est de même nature que le leur. J’en suis intimement persuadée. Il me suffit de lever les yeux la nuit  pour comprendre que je leur appartiens de toute mémoire. Le monde vit, auprès de nous, sans nous et avec nous. Regardons-le. Ecoutons-le. Il est source de bonheur, du vrai bonheur, celui qui éblouit et qui rassure, car il provient de la nuit des temps. Il représente notre vérité profonde, notre histoire, notre mémoire. Il est ce que nous sommes avant tout, puisque notre conscience est éclose avec l’univers. Certains l’ont oublié mais il n’est pas trop tard pour venir vers lui, pour redécouvrir les oiseaux, les forêts, les montagnes, les rivières, l’odeur du bois qui brûle, la beauté des fruits, la chanson des fontaines, la brume des matins, les ciels chavirés d’orages, les grillons des soirs et le silence des nuits. Il n’est pas trop tard pour renouer avec ce monde-là, suivre les chemins bordés d’églantiers, le long des champs de blé dont les épis ondulent doucement, sous le bleu de porcelaine des étés de feu. Il n’est jamais trop tard pour lever la tête vers les étoiles, fermer les yeux, puis les rouvrir et sentir la terre dériver lentement, majestueusement, dans l’océan de l’immense univers .

Rarindra Prakarsa

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