Entre marchands et brigands

Les maîtres-escortes en Chine du Nord (XVIIIe-début XXe siècle)

Grâce à un dépouillement des textes d’archives de la dernière dynastie des Qing, grâce à une lecture des monographies locales et des enquêtes de terrain dans les années 2017 et 2018, Laurent Chircop-Reyes a pu recueillir les derniers témoignages de descendants de maîtres d’escorte, découvrir des documents concernant certains de ces maîtres condamnés pour avoir possédé illégalement des armes à feu, et reconstituer l’histoire de pratiques martiales qui se structurent autour d’une logique faisant une large part à l’oralité.

Qui, de nos jours, a conscience du fait que les arts martiaux chinois dits internes, que ce soit le Taiji quan, le Bagua quan, ou le Xingyi quan, furent de redoutables techniques de combat ? Qui sait qu’ils se sont développés à une époque où leur métier menait ces combattants à escorter des caravanes et à mener une vie itinérante ? Qui sait encore qu’alors, à travers les vicissitudes des troubles politiques, notamment la guerre de l’opium, un environnement socio-économique difficile et une forte pauvreté, le brigandage sévissant dans le Nord, brigands et pratiquants d’arts martiaux entretenaient une certaine complicité face à l’adversité ? C’est la vie elle-même qui était mise en danger et devait être défendue : c’était une question de vie ou de mort.

Dans ces milieux des maîtres d’escorte, c’est principalement le Xingyi « Boxe du corps et de l’intention » ou Xinyi quan, « Boxe du corps et de l’esprit », qui leur servit d’entraînement. Mais sa pratique fut accusée d’être néfaste et nuisible au corps, physiquement éprouvante, voire traumatisante. Cet aspect de la pratique s’est estompé au fil du temps. En effet, avec la disparition de la catégorie sociale des maîtres d’escorte, ceux-ci se sont sédentarisés et reconvertis en gardiens de résidence, métayers, maîtres de boxe et maîtres d’armes. Le Xingyi quan évolua alors vers une discipline servant à entretenir le corps et la santé, et à se cultiver soi-même. Ces composantes sont aujourd’hui inséparables de l’apprentissage martial. Tout cela n’est pas étranger à la volonté de modernisation de la Chine dans les premières années de l’instauration de la République : les pratiques traditionnelles furent réinterprétées, modifiées, standardisées.

Toutes ces compétences se sont transmises autant au sein de familles de génération en génération que dans des écoles martiales qui pouvaient avoir des activités subversives et ont été étroitement surveillées par le pouvoir. C’est grâce notamment aux récits recueillis auprès de ces familles que Laurent Chircop- Reyes lève le rideau sur ces milieux qui surent cultiver le secret et entretenir autour d’eux tout un imaginaire qui a fasciné et fascine encore aussi bien en Chine qu’en Occident. Tout pratiquant d’arts martiaux chinois se doit de lire cet ouvrage pour mieux comprendre le sens et l’intérêt de ce savoir sauvegardé et qui a fait ses preuves.

Préface de Catherine Despeux in Entre marchands et brigands : Les maîtres-escortes en Chine du Nord (XVIIIe- XXe siècle)

Laurent Chircop-Reys est sinologue, docteur en anthropologie sociale et historique (Université d’Aix-Marseille). Il est actuellement chercheur associé de l’Institut de recherches asiatiques (IrAsia, UMR7306) et chargé de mission recherche au Centre d’études français sur la Chine contemporaine (CEFC).

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