Existence

Une histoire

Contemplons une peinture de Shitao, le grand paysagiste de la dynastie Ming et maître chan : un érudit avec son assistant sur un promontoire regardent une mer de brume jusqu’aux crêtes de montagnes émergeant au loin. Sur la droite de l’image se trouve un poème de l’ami et associé de Shitao, le poète Huang Yanlu, dans la calligraphie de Shitao. Le poème décrit une ville en ruine : images de murs rasés, de vergers déserts et de maisons abandonnées, dont aucun n’est visible sur l’image. C’est à partir de cette rupture entre peinture et poème, que David Hinton commence son enquête sur les racines spirituelles de la peinture de paysage, de la calligraphie et de la poésie chinoises.

道 可 道 非 常 道.
名 可 名 非 常 名.
无 名 天 地 之 始
有 名 万 物 之 母.
故 常 无 欲, 以 观 其 妙;
常 有 欲, 以 观 其 侥.
此 两 者, 同 出 而 异 名,
同 谓 之 玄, 玄 之 又 玄,
众 妙 之 门

道德經

Livre de la voie et de la vertu

Chapitre 1

Le tao exprimable n’est pas Le Tao.
Le nom énonçable n’est pas Le Nom.
Innommable, Origine du Ciel et de la Terre ;
Nommables, mères de toutes choses.
Vide d’ego, j’observe son Essence;
Empli d’ego, je perçois ses manifestations.
Deux noms issus de l’Unité,
Unité mystérieuse, mystère du mystère,
Porte de la compréhension.

— traduction de Benoît Saint Girons

Hinton voit l’espace blanc et les multiples perspectives de la peinture de paysage chinoise comme une expression visuelle du mouvement perpétuel entre l’absence et la présence qui, selon le premier chapitre du Livre de la voie et de la vertu (道德經 dào dé jīng), donne naissance aux dix mille choses des phénomènes mentaux et matériels (万物 wàn wù). Il révèle comment cette tension s’opère au sein des caractères chinois – des traits organisés autour d’un vide, au sein des gestes amples de la calligraphie – dans lesquels un équilibre est recherché entre l’être-dans-le-moment du mouvement du pinceau et le résidu de ce mouvement, le moment du trait d’encre laissé sur la page. Il montre également comment la grammaire chinoise classique elle-même – avec son absence de pronoms, de temps verbaux et l’ambiguïté délibérée de la syntaxe et de la classe de mots – est également une manifestation de cet échange dynamique.

En chemin, il fait des observations fascinantes sur les différences entre les langues occidentales et le chinois. Les langues occidentales imposent une barrière entre les choses du monde et leurs descriptions ; en même temps qu’elles décrivent le monde, elles essaient de le transcender. La relation entre les mots et les choses est arbitraire et mimétique, comme l’ont noté Saussure et les structuralistes.

Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu.

Évangile selon Saint Jean

Dieu dit: Que la lumière soit! Et la lumière fut.

Genèse

Dans notre mythe de la création, le langage vient avant le monde et le monde est en quelque sorte une création du langage.

Les mythes chinois de la création, en revanche, commencent par les hexagrammes du Classique des changements (易經 yì jīng) qui représentent toutes les combinaisons possibles du 陰 yīn et du 陽 yáng et qui, plutôt que de décrire les détails de la réalité, incarnent les forces et les processus plus profonds de la réalité, écrit Hinton. La division claire en nom et verbe des langues occidentales impose une fixité sur le monde qui nous aveugle sur sa vraie nature en tant que processus d’impermanence perpétuelle. Alors que le chinois, dans lequel les mots ne peuvent être ni nom ni verbe et à la fois nom et verbe, conserve cette fluidité et cette conscience des processus sous-jacents du changement.

De plus, la poésie, la calligraphie et la peinture chinoises représentent une tentative de la part du praticien pour aller derrière les fausses dualités de l’absence et de la présence, du yīn et du yáng, de l’observateur et du monde, du langage et de la réalité, jusqu’à l’essence fondamentale qui se cache derrière eux, représentée par le mystérieux caractère 玄 xuán (mystérieux, obscur, incroyable), qui apparaît également dans le premier vers du Livre de la voie et de la vertu. De cette sombre énigme, tout en surgit et tout y retombe dans un perpétuel mouvement du devenir et du quitter. Ceci est lié à la pratique de la méditation chan consistant à observer comment les pensées vont et viennent et, dans ce processus, à apaiser l’esprit de tous les jours et à laisser advenir 本心 běn xīn l’esprit originel. Cet esprit originel est notre vraie nature, la vraie nature de la réalité, et qui existe avant que toutes les pensées ne commencent, et qui précède et sous-tend toute dualité, le véritable esprit obscurci par la poussière éphémère de l’illusion, comme le dit le premier patriarche chan Bodhidharma l’Essence du Mahayana.


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