Famille

家 jiā

Connaissez-vous l’origine du caractère 家, superintendant?
Faites comme si j’étais un abruti illettré, professeur, dit Wu en toute franchise.
Le professeur éclata de rire.
— Ah ! Vous ne manquez pas d’humour dans la police ! Son index traçait un à un les traits de l’idéogramme. Voyez. Le sommet du caractère,宀, représente un toit surmonté d’une cheminée. Les plus récentes découvertes archéologiques dans la province du Shaanxi ont prouvé que les cheminées existaient déjà il y a sept mille ans. Le toit est soutenu par deux colonnes, et sous le toit on voit 豕, prononcé shi, qui est l’ancien caractère pour « cochon ».
Ah, cochon se disait shi auparavant. Professeur, vous m’avez appris un nouveau mot.
Le visage de Wu n’était que sourire et patience : l’élève modèle.
— Mais pourquoi le mot « famille » est-il ainsi formé des caractères pour « toit » et « cochon » ? Vous avez deux explications concurrentes. La première, c’est que nos ancêtres dormaient à l’étage et gardaient leurs cochons au rez-de-chaussée de leurs demeures, pour les abriter des loups ou des serpents. Avoir des cochons, dans une société agricole, signifiait que l’on avait des surplus de grain, donc que l’on avait atteint un certain niveau de sécurité alimentaire, représenté par la maison.
Wu se représentait des têtes de cochon rôties, du porc bouilli, des queues en ragoût. Des abats. Des pieds de porc à l’étuvée. Les gâteaux de riz lui avaient ouvert l’appétit.
— L’autre possibilité, exposait Wang : les cochons vivent les uns sur les autres, et les truies sont perpétuellement en train d’allaiter les porcelets. Chaque fois que ma petite-fille voit une maman cochon et ses bébés à la télé, elle pleure si on lui donne du porc à manger. Ha ha ! Nos ancêtres auraient donc décidé de symboliser l’amour familial par le caractère « cochon ». Sans amour, pas de famille. Wu rebondit :
— Très intéressant. Et du coup je me demande pourquoi nous buvons du lait de vache ou de chèvre, mais pas du lait de truie.
Le professeur s’esclaffa, frappa la table du plat de la main.
— Tenez, reprenez-en. Ma femme utilise du saindoux pour ses gâteaux de riz, sinon c’est trop fade. Ah, à mon âge je n’ai plus tellement l’occasion de bavarder, et encore moins avec des policiers.
Vous êtes trop aimable, professeur ! Continuez, je vous prie.
— Avant le Premier Empereur, les systèmes d’écriture chinois étaient très variés et complexes. Vous aviez l’écriture sur os et carapaces, l’écriture sur métal; chaque caractère pouvait présenter de multiples graphies. Si vous avez le temps, au musée du Palais vous verrez des caractères gravés sur les chaudrons tripodes en bronze de la dynastie Chou, très différents de ceux tracés sur les poteries des Shang. Le Premier Empereur des Qin a certes brûlé les livres et enterré les lettrés vivants, mais son unification de l’écriture a changé le cours de l’Histoire.
Donc, grâce au Premier Empereur, nous écrivions tous de façon identique, mais depuis que Mao a simplifié la graphie sur le continent, on est revenus à la confusion d’avant.
— C’est tout à fait cela. Regardons maintenant ces quelques cochons.

Chang Kuo-Li in Le sniper, son wok et son fusil

— Ah, j’ai un peu bu, je ne vais pas entrer dans les détails. Le premier de ces pictogrammes montre clairement un cochon bien gras et ses quatre pattes. Le deuxième est à peu près le même cochon, dressé sur ses pattes arrière. Le cochon n’était pas devenu bipède, mais cela était plus facile à représenter sur les longues et fines lamelles de bambou verticales des livres anciens. Le troisième est encore un cochon debout, on insiste sur son gros ventre. Jusque-là, les anciens n’utilisaient que le caractère 豕, pas celui d’aujourd’hui.
— Je vois.
— Le quatrième maintenant : sur la gauche, vous lisez encore 豕, qui est la clé de cet idéogramme. Tandis qu’à droite, vous distinguez une marmite posée sur un four, et de la fumée. C’est l’origine de 煮, zhu, qui signifie « cuire », et a été simplifié en 者. 豕 et 者 réunis donnent 豬, zhu, le caractère moderne pour « cochon ». C’est-à-dire que le cochon d’aujourd’hui ne vaut que s’il est cuit dans la marmite. Pauvre bête, les lettrés chinois ne le tenaient pas en très haute estime !

Chang Kuo-Li in Le sniper, son wok et son fusil

— Revenons à la famille. Un toit, deux colonnes, un cochon. On voit très bien le cochon gras dans les deux premières graphies. Le troisième cochon est moins gras, mais on voit malgré tout son corps de profil. Le quatrième caractère se rapproche déjà du 家 qui nous est familier.

Chang Kuo-Li in Le sniper, son wok et son fusil

— Voilà donc l’origine du caractère de la famille : une maison doit abriter le même amour familial que celui de la truie pour ses porcelets, sinon il n’y a pas de vraie famille. Et le caractère n’aurait qu’un toit et deux colonnes.
— Superintendant Wu, vous avez tout compris.

Chang Kuo-Li in Le sniper, son wok et son fusil

A Taïwan, le superintendant Wu doute du suicide d’un officier du Bureau des commandes et acquisitions de l’armée. Un deuxième cadavre d’officier, rejeté par la mer sur la plage des Perles de sable, renforce son intuition. A Rome, le tireur d’élite Ai Li, dit Alex, s’apprête à dégommer un conseiller en stratégie du président taïwanais sur ordre des services secrets. Mais au dernier moment, tout capote et, menacé, il s’enfuit à travers l’Europe. De retour à Taipei, Alex croise le chemin de Wu, qui, aidé par son fils hacker en herbe, persiste à enquêter malgré les ordres venus d’en haut. Apparemment, tous deux ont la même personne pour cible… Sous le signe du riz sauté, la spécialité d’Alex quand il n’est pas en mission, un thriller à cent à l’heure, plein d’humour et gourmand.

Note du traducteur : la transcription des termes chinois du roman

Ce roman se déroule en partie à Taïwan, avec des personnages taïwanais, donc de langue chinoise. La transcription des termes et des noms chinois qui y figurent peut cependant s’avérer délicate, car le système pinyin, habituellement utilisé pour les romans tra duits du mandarin de Chine populaire, est loin d’être universelle ment répandu à Taïwan, et soulève des questions non seulement politiques, mais aussi affectives très vives. Et ce, même s’il a été officiellement adopté au niveau gouvernemental en 2009, après des années de débat. Ainsi, l’immense majorité des Taïwanais, quand ils transcrivent leur nom en lettres latines, évitent résolument le pinyin. Par exemple, l’auteur transcrit son nom Chang Kuo-li, alors qu’en pinyin il serait écrit Zhang Guoli. Par ailleurs, la plupart des subdivisions administratives restent libres de leur choix et n’ont pas adopté le pinyin ; d’innombrables systèmes coexistent encore.

Nous avons donc décidé de coller au plus près des usages réelle ment en vigueur à Taïwan, par respect pour l’auteur et les person nages, tout en harmonisant quand c’était possible. Ce qui nous a conduit à faire les choix suivants :

  • pour les noms les plus courants ou les noms « historiques »>, nous respectons la graphie en vigueur depuis toujours, même si elle n’est pas forcément « correcte » : Taïwan, Taipei, Keelung, Tamsui, Koxinga… ou Sun Yat-sen ou Tchang Kai-chek (noms cantonais);
  • pour la majorité des transcriptions des noms de personnages du roman (et quelques mots chinois et noms de lieux, hors Taipei), nous avons adopté le système le plus couramment utilisé à Taïwan : le système dit Wade-Giles simplifié (sans apostrophes). Quoique assez ancien, ce système présente cependant l’avantage, sur le pinyin, de représenter un peu plus « naturellement »> la prononciation réelle des mots. Exemple : Kuo Wei-chung pour le personnage 郭為忠, qui en pinyin s’écrirait Guo Weizhong. La liste des personnages page 7 donne toutefois les deux transcriptions ;
  • pour les noms des rues et des districts de Taipei, où se déroule l’essentiel de l’action du roman sur Taïwan: Taipei est l’une des rares municipalités à avoir adopté, il y a quelques années, le système pinyin pour sa signalisation. Nous avons donc fait de même, pour permettre aux lecteurs de situer ces lieux sur un plan s’ils le désirent. Exemples: « rue Zhongxiao Est », « district de Jingshan ». Notons cependant que le nom de la ville elle-même, Taipei, n’a pas changé et s’écrit toujours Taipei, alors qu’il ne s’agit pas de pinyin.

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