L’attention résulte de l’arrêt

L’attention résulte de l’arrêt. Nous devenons spectateurs de ce qui se passe en nous, ce qui a un double effet: les processus d’intégration se font plus librement et nous les appréhendons plus nettement. Or par chaque processus d’intégration, nous acquérons une puissance d’agir. Exemple: quand, enfant, j’ai pour la première fois tenté de verser de l’eau d’une carafe dans un verre, comme le faisaient les adultes, il m’a fallu coordonner plusieurs sensations et plusieurs mouvements ou, plutôt : leur donner la latitude de s’assembler pour que naisse le geste. Quand il est apparu, je l’ai répété, toujours attentif et non sans plaisir, afin de l’ajuster au mieux et le faire mien. J’ai acquis une puissance d’agir, et donc une liberté. C’est ainsi, par l’intégration, favorisée par l’attention, que nous avons multiplié avec le temps nos puissances d’agir et donc notre liberté. Il en est allé ainsi dans tous les domaines, y compris dans ceux de l’esprit car comprendre, c’est accomplir, ou plutôt laisser s’accomplir une synthèse et, lorsqu’elle s’est produite une fois, la produire à nouveau, ce qui procure une autre forme de liberté. L’attention nous a donc aussi fait progresser dans la connaissance de nous-mêmes.

Autre découverte: quand nous progressons, le désir nous vient de progresser plus encore afin d’accroître toujours plus nos pouvoirs d’agir et par là notre liberté, en même temps que notre connaissance de nous-mêmes. Les enfants découvrent cette voie ascendante par eux-mêmes. Il n’est pas rare que plus tard, l’ayant perdue, quelqu’un doive nous la montrer de nouveau. Il nous rend alors le plus précieux des services.

Jean-François Billeter in Le Propre du sujet

Par temps de confusion, Jean François Billeter se pose l’une des questions les plus fondamentales de la philosophie moderne : la nature du sujet humain.
C’est dans la considération et la compréhension de ce que nous sommes, que nous serons en mesure d’appréhender ce monde toujours plus illisible. Ce
retour sur soi fut vécu par chacun de manière imposée, lors du confinement. Mais loin d’un appel au repli sur soi, l’auteur invite au contraire le lecteur à dialoguer avec lui pour éprouver sa nature de sujet. Il en vient ainsi à ce constat fondamental : c’est précisément le je qui constitue le dénominateur commun entre chaque individu. Dans cet essai court, dense et singulier, il allie avec brio rigueur intellectuelle et méticulosité philosophique à son goût pour les mots clairs et simples. Après avoir été professeur d’études chinoises à Genève, Jean François Billeter a quitté l’université pour se consacrer à ses propres travaux. Dans ses études sur certains textes remarquables de Tchouang-tseu et sur l’art chinois de l’écriture, il allie la plus grande rigueur sinologique au souci constant de se faire comprendre des lecteurs non sinologues, à la fois par la clarté de l’expression et par la richesse des références à l’héritage occidental, ou simplement à l’expérience commune.

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