Éduqués à la rapidité
La rapidité
La rapidité est un critère culturel de réussite. Dès l’enfance, la rapidité prime sur la lenteur dans l’échelle des compétences recherchées. Avec le temps, nos efforts de rapidité se transforment en une quête perpétuelle d’immédiateté. Une quête renforcée par les réseaux sociaux, qui multiplient nos sources de sollicitations psychiques. Nous avons développé une addiction à l’instantanéité.
Le vouloir
Mais nous craignons de ralentir, nous avons peur du moins, comme s’il était l’ennemi du bien. Nous sommes de plus en plus en proie à une pression qui nous éloigne de nos propres ressources et qui nous pousse à bout. Nous sommes si souvent stressés ; non pas parce que nous ne voulons rien faire, mais parce que nous voulons trop et trop bien faire.
L’accélération
L’accélération généralisée est quant à elle un phénomène plus vaste, qui, paradoxalement se fait au détriment des générations à venir, qui symbolisent le temps long, vécu comme lointain et assez théorique.
L’immédiateté
Nous parvenons à moduler nos principes quand il s’agit de maintenir un confort qui, lui, est immédiat. C’est même un des principes de notre cerveau humain, qui n’est pas toujours notre allié et joue parfois contre nous. Plus précisément, c’est notre striatum, cette glande du « toujours-plus » qui ne se satisfait pas de ses acquis et cherche toujours à obtenir davantage : plus de clients, plus de performance, plus de rentabilité. Renforcé par le phénomène d’habituation qui pousse le cerveau à se lasser de ses acquis, le striatum est responsable de trop pleins, de surcharges cognitives susceptibles d’entraîner des états de stress.
Quand la nature prend son temps
Dans le monde du vivant, dans des écosystèmes qui ne cessent de changer, l’adaptation est un principe de survie.
Vieillir sereinement
Mais au cœur de la forêt, la vie des arbres, dont l’existence centenaire révèle bien des mystères, déroge à la règle. Pour s’assurer de vieillir sereinement, les jeunes pousses prennent leur temps. En évoluant lentement, les cellules de leur bois restent petites et renferment moins d’air. Elles gagnent ainsi en flexibilité, ce qui permet aux végétaux de faire ensuite face à de puissants orages sans se casser. Le monopole de la captation de la lumière du jour par leurs aînés force en parallèle les jeunes pousses à s’armer de patience. Elles font durcir leurs tissus internes, ce qui leur permettra, le jour venu, de mieux résister aux attaques de champignons. Mais l’absence de soleil les protège également de certains prédateurs, car sans photosynthèse, leurs bourgeons ne comportent que peu de sucres, ce qui les préserve des attaques des chevreuils, qui convoitent une nourriture moins âpre. Le temps les protège d’une rapidité empressée et intrépide.
Attendre et contempler
La toile de l’araignée, en plus d’être une prouesse géométrique et esthétique, est à la fois un lieu de chasse, de protection et de reproduction. L’arachnide peut y attendre sa proie des jours entiers, immobile. Elle sait jeûner plusieurs mois durant. Elle ne se précipite pas et ne se met en mouvement que si elle reconnaît la vibration d’un insecte. Elle devient alors d’une efficacité redoutable et en quelques secondes, elle accélère et paralyse sa proie par une morsure venimeuse. L’araignée questionne notre rapport à l’immobilité, à la manière dont nous acceptons de quitter l’action, d’être patients, prêts à accepter une forme de vide. Contrairement à elle, nous ne savons plus attendre et contempler.
Se taire et accueillir
Comme l’arbre, la tortue, qui vit sur Terre depuis 250 millions d’années, nous prouve qu’un modèle de lenteur peut également être durable et que pérennité n’est pas toujours synonyme d’accélération. Tout le règne végétal devient silencieux en hiver pour se préparer à accueillir le printemps. Un temps ralenti, figé, sans être mort pour autant. Dans nos vies trépidantes, les durées d’acceptation du silence se rétrécissent sans cesse.
Ralentir
- Ralentir augmente nos capacités d’attention
- Ralentir contribue à développer notre créativité
- Ralentir encourage l’intuition
Si tu es pressé, fais un détour
Pour écouter les silences, il faut s’imposer des cassures de rythmes, des moments de vide. Les temps de récupérations sont l’essence même de la performance sportive. Accélérer puis ralentir, récupérer, se ressourcer… Cela demande de la patience, un rapport au temps qui alterne les rythmes, qui module l’énergie, qui prend le temps de visualiser positivement les enchaînements de mouvements, de respirer, d’envisager la suite. Cela exige de se créer de l’espace, des créneaux d’agenda qui restent vacants et des moments où la concentration se relâche et côtoie la légèreté. C’est souvent l’anticipation qui permet la lenteur.
Le taijiquan est lent car il nous demande de bouger avec tout notre corps à la fois. Contrairement aux styles qui adoptent une position forte et utilisent ensuite cette base stable pour frapper fort, Taiji nous demande de frapper avec la force de nos jambes et de notre taille combinée à la force de nos bras. La lenteur nous permet d’acquérir cette coordination.
Le taijiquan est lent car il nous demande de développer notre corps uniformément. Trop facilement, nous pouvons donner un coup de poing ou sauter dans une position sans investir dans un entraînement complet de chaque fibre. La lenteur nous permet de travailler chaque partie de notre corps.
Le taijiquan est lent car il intègre la relaxation. La relaxation est importante car elle permet de bouger par réflexe, de favoriser la circulation sanguine et de dissiper les tensions. La lenteur nous permet de réaliser les aspects internes du Taiji.
Le taijiquan est lent car il unit le corps et l’esprit. Nous devons être conscients de chaque nuance de notre mouvement. La lenteur nous permet de joindre chaque partie de notre être en un seul ensemble harmonieux.
Le taijiquan est lent car il vise la sérénité. Nous évitons d’être pressés et frénétiques. Nous ne nous soucions de rien. Nous pouvons être tranquilles. La lenteur nous permet de trouver la paix.
Deng Ming-Dao
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