L’autre éventail

L’éventail (搧 shān) dans le taiji quan et le wushu fait partie de ces objets de la vie courante chinoise qui ont été détournés de leur usage premier pour servir d’arme.

L’utilité première de l’éventail était bien sur de ventiler. Mais il est aussi très vite devenu un un accessoire de mode très apprécié . Élément de parure donc, adopté par les nobles et qui faisait d’ailleurs partie intégrante des costume codifiés de cérémonies et de la vie courante. A l’origine confectionné avec des plumes, la toile de l’éventail se change bientôt en soie et l’armature pouvait être en bambou, bois de santal, ou de matières plus précieuses comme le jade, la corne et l’ivoire.

Chaque région de Chine ayant évidemment ses spécialités et ses préférences. ; le bois de santal était plutôt utilisé dans la région de Suzhou, avec pour particularité d’être parfumé et donc d’ajouter des senteurs agréables à la ventilation. C’est aussi dans cette région que l’on va peindre des motifs et des calligraphies raffinées sur la toile de l’éventail, et ainsi apporter une grande importante à la sophistication de cet accessoire, qui devient ainsi un véritable objet d’art. L’éventail est ainsi un élément très présent dans la culture chinoise, on le retrouve dans l’opéra chinois, la danse traditionnelle et le théâtre.

C’est un accessoire important dans le taiji quan, on le manipule comme un prolongement de son corps, lentement avec précision et fluidité. On vise l’harmonie des mouvements entre le bas du corps et le haut du corps avec les rotations de poignet. Cela permet une meilleure circulation de l’énergie ainsi que l’amélioration de la tonicité, la souplesse, et un meilleur ancrage du corps.

Ô rêveuse, pour que je plonge
Au pur délice sans chemin,
Sache, par un subtil mensonge,
Garder mon aile dans ta main.

Une fraîcheur de crépuscule
Te vient à chaque battement
Dont le coup prisonnier recule
L’horizon délicatement.

Vertige ! Voici que frissonne
L’espace comme un grand baiser
Qui, fou de naître pour personne,
Ne peut jaillir ni s’apaiser.

Sens-tu le paradis farouche
Ainsi qu’un rire enseveli
Se couler du coin de ta bouche
Au fond de l’unanime pli ?

Le sceptre des rivages roses
Stagnants sur les soirs d’or, ce l’est,
Ce blanc vol fermé que tu poses
Contre le feu d’un bracelet.

Autre éventail de Mademoiselle Mallarmé, Stéphane Mallarmé in la Revue critique, 1884

Stéphane Mallarmé a écrit ce poème en 1884. Il paraît pour la première fois dans la « Revue critique » la même année puis, dans la « Revue indépendante » en 1887. « L’autre éventail de Mademoiselle Mallarmé » est écrit sur cinq quatrains de rimes croisées en octosyllabes. Durant les quinze dernières années de sa vie, Stéphane Mallarmé, écrira des poèmes sur des éventails qu’il offrira aux femmes de son entourage proche et à des amies.

Un poème d’une perfection, d’une musique et d’un charme si rares, que ce serait le chef-d’œuvre de Mallarmé s’il y en avait un.

Paul Valéry

Tu / m’appelles la Rose dit la Rose mais si tu savais mon vrai nom je m’effeuillerais aussitôt

Paul Claudel in Cent Phrases pour éventails

La « rose » n’est pas seulement la rose : en elle s’incarne toute beauté fragile qui ne dure qu’une saison. Et le « nom » est plus qu’un nom : il est proféré par le poète, et tracé, ici, par sa main propre avec un pinceau trempé dans l’encre noire. Ce faisant, le poète se transforme en créateur : il ressuscite, sur le papier blanc, des choses du monde.

L’éventail devient un accessoire de luxe prisé en France à partir du XVIIe siècle. Plastique, l’objet semble vivant, il inspire ainsi des peintres, son âge d’or du XVIIIe siècle voyant se pencher sur son aile des Watteau et des Boucher ; les poètes lui ont également confié leur talent, déposant sur sa surface moirée des vers légers, des épigrammes ou des énigmes.

Au XIXe siècle, néanmoins, l’engouement populaire que l’objet suscite, et qu’accentuent les vogues espagnole puis japonisante, conduit à une multiplication des modèles bon marché. Dans un contexte où explosent l’iconographie et la publicité, l’éventail omniprésent devient le support d’images imprimées, de dédicaces écrites à la hâte lors des dîners, ou de programmes de spectacle.

Oubliée alors pour un temps des beaux-arts et de la poésie, la valeur artistique de l’éventail n’est ravivée qu’à la fin du siècle, sous l’impulsion des impressionnistes, intéressés par son format si particulier. 

Deux grands poètes, enfin, lui redonnent ses lettres de noblesse : Stéphane Mallarmé, suivi de Paul Claudel au début du XXe siècle. Le premier s’empare avec enthousiasme de cet « objet indispensable à côté du mouchoir de dentelles  dans sa revue La Dernière Mode, puis en fait le support de petits poèmes soignés, dédiés à des femmes amies ou aimées. Qu’ils prennent la forme de sonnets ou de simples quatrains, les vingt et un textes que Mallarmé, de 1884 à 1896, écrit sur des éventails, sont ainsi tous teintés d’une mondaine et sensuelle féminité . En 1927, Claudel, ambassadeur de France à Tokyo, compose ses Cent phrases pour éventails, où il se présente en familier des écritures idéographiques et en fervent amateur de calligraphie, recherchant « l’ombre des haïkaï  dans une quête de renouveau personnel et artistique.


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