Dragons, phénix et autres chimères
Depuis des temps immémoriaux, la Chine s’est intéressée au Grand récit de l’Univers. Dès les premières dynasties, des guetteurs du ciel relèvent le mouvement des corps célestes. La cosmologie devient science d’État et les souverains -les fils du Ciel- les garants de la mise en écho du Ciel et de l’empire.
L’histoire de ces épousailles entre le Ciel et la Terre peut se déchiffrer à travers le prisme du jade. Seul le jade est en mesure d’établir un pont de cinquante siècles et d’offrir simultanément un miroir réfléchissant le Ciel, la Terre et les hommes.
Symboles emblématiques, bestiaire mythique et instruments rituels illustrent ce propos, invitant le public à découvrir quelque 200 œuvres insignes. Des pans inédits de la civilisation chinoise sont abordés, éclairés, par l’archéologie, l’anthropologie ou l’astronomie. Cette approche pluridisciplinaire est facilitée par une médiation simple sans pour autant se départir des questions existentielles qui impliquent aujourd’hui l’humanité toute entière.
Du fait de sa dureté, le jade est engagé dans la pérennité. Lors de fouilles archéologiques, les précieuses gemmes constituent les vestiges culturels les mieux conservés. Les premiers outils pour couper découverts sur le site de Xiaogushan à Haicheng (province du Liaoning) auraient 12 000 ans. Quant aux jue, anneaux fendus en jade utilisés comme boucles d’oreilles, ils ont été exhumés en nombre dans les cultures de Xinglongwa (env. 6200–5200 av. J.-C.) et Zhaobaogou (env. 5200–4500 av. J.-C.). Dès lors, beaucoup considèrent aujourd’hui que le travail du jade aurait une histoire de quelque 8 000 ans.
Depuis le Néolithique, la Chine entretient un lien fondamental avec le cosmos. Le monde repose alors sur le binôme Ciel-Terre, et l’Homme, impuissant, assiste à leurs échanges incessants. Avec l’émergence des premières dynasties royales (XVIIᵉ–IIIᵉ siècles av. J.-C.), chamanes, sorciers, devins, philosophes, sages s’affairent à mettre le monde en ordre. Procédant par analogie, ils donnent une forme concrète à leurs spéculations en recourant à un bestiaire fantastique. Sous les dynasties impériales (221 av. J.-C.–1911 apr. J.-C.), s’impose la triade Ciel-Terre-Homme. Bien qu’observateur attentif au cœur de cet univers, l’Homme est désormais appelé à l’immortalité. L’exposition est une invitation à parcourir sur plus de quarante siècles cet itinéraire émaillé d’œuvres rares, façonnées dans une pierre d’éternité, le jade.
Révélant et épousant les évolutions de cette vision métaphorique du monde, les objets en jade montrent une profonde évolution plastique : le ciseleur devient sculpteur à part entière, engageant ses créations dans les trois dimensions. Si, au départ, les représentations frôlent l’abstraction, au fur et à mesure se fait jour un langage qui ondule en surface, avant de pénétrer la matière jusqu’à la façonner en la transformant de l’intérieur, pour faire surgir un réalisme puissant fondé sur une observation attentive.