Un essai de typologie des qi gong

Les types de transmission

Exemples de transmission dans les réseaux familiaux, religieux, de la médecine traditionnelle, des arts martiaux, des institutions médicales d’état, …

Transmission dans des réseaux familiaux

黃元福 Huáng Yuánfú, natif du Jilin, commence l’apprentissage des arts martiaux et de la culture corporelle taoïste en 1968, à l’âge de 11 ans, auprès de son père et du frère aîné de celui-ci. Il devient également l’élève de deux autres maîtres, 王佩文 Wáng Pèiwén et  楊子君 Yáng Zijūn. Dans les années 1980, il sera une personnalité très active dans les associations semi-officielles liées au monde des sports membre des comités directeurs de l’Association chinoise pour l’étude du qi gong sportif et de la Fédération internationale de la science du qi gong, conseiller auprès de la revue Qi gong et Sports, etc.

Transmission dans des réseaux religieux

En 1950, 劉忠信 Liú Zhōngxìn un cadre du Liaoning, apprend ta méditation bouddhique auprès du maître 釋如空 Shì Rúkōng. Malgré sa pratique de cette méthode, il ne mentionne aucune affiliation avec le monde du qi gong avant les années 1980, période durant laquelle il devient une personnalité dans les cercles du qi gong du Liaoning, et fonde sa propre méthode du 釋如功 Shìrúgōng.

尹耀奎 Yǐn Yàokuí, né en 1950 dans le district de Lianshui ( Oiangsu). Descendant du maître taoïste 尹喜 Yǐn Xǐ, il apprend de son père une méthode de culture corporelle pour enfants, le 童子功 Tóngzǐ gōng, à l’âge de six ans. Par la suite, son père lui enseignera les méthodes du « Travail authentique de la pureté et du calme suprêmes » (太上清靜真功 Tài shàng qīngjìng zhēngōng), la « Gymnastique du pur équilibre » (清平導引功  qīngpíng dǎo yǐn gōng) , le « Travail de la lumière tournante de l’ancêtre unique » (一宗輪明功  yī zōng lún míng gōng) et presque trente autres techniques. Dans les années 1980, il se joindra au monde du qi gong, fondera la lignée du « Qi gong authentique de la pureté et du calme suprêmes », et deviendra membre d’associations nationales de gigong.

蘇花仁 Sū Huārén devient a l’âge 16 ans, en 1967, disciple de 李嵐峰 Lǐ Lánfēng, maître du temple des Trois doctrines (三教寺 Sānjiàosì) à 安陽 Ānyáng, dans le Henan. Celui-ci lui enseigne l’« Alchimie intérieure de l’école de la Montagne d’or de la lignée Longmen » (龍門金山派內丹功 Lóngmén jīnshān pài nèi dān gōng) et une méthode de méditation dérivée du bouddhisme Chan. Par la suite, il étudiera auprès de plusieurs maîtres traditionnels taoïstes et bouddhistes. Après 1980, il s’impliquera dans le monde du qi gong et deviendra membre de plusieurs de ses associations nationales et internationales.

Transmission dans des réseaux de médecine traditionnelle

肖崇美 Xiào Chóngměi, né en 1966 dans le Yunan, apprend a l’âge de huit ans, en 1974, une méthode pour enfants (童子功 Tóngzǐ gōng) et la « Boxe des cinq poisons des fleurs de lotus » (蓮花五毒掌 Liánhuā wǔ dú zhǎng) auprès d’un médecin traditionnel. Trois ans plus tard, il est le disciple de l’ermite 徐有名  Xú yǒumíng, qui lui transmet une « méthode de protection corporelle de Shaolin » (少林護體功 Shàolín hùtǐ gōng), dont il devient l’héritier à la 16e génération. Dans les années 1980 il enseignera le « gi gong dur » à plus de 3000 gardiens et policiers, et soignera des malades à l’aide du gi gong, de l’acupuncture et de massages.

Transmission dans des réseaux d’arts martiaux

En 1958, le petit Li Baolong âgé de six ans, s’initie aux arts martiaux auprès de son père, héritier à la 8e génération d’une lignée traditionnelle. En 1969, pendant la Révolution culturelle, il le remplacera dans la police armée de Tianjin et y enseignera la méthode familiale du 八極拳 Bājíquán, la « Boxe des huit pôles ». Après 1980, il créera la méthode du « Qi gong des huit pôles » et voyagera à l’étranger et donnera des conférences publiques.

孫鴻寶 Sūn Hóngbǎo, du Heilongjiang, apprend les arts martiaux auprès du maître populaire 李福軒 Lǐ Fúxuān, à partir de 1972, à l’âge de 12 ans. Ce dernier lui enseigne le «Travail intérieur taoïste pour cultiver l’authenticité » (道家修真內功 Dàojiā xiūzhēn nèigōng), le «Travail des immortels aux épées » (劍仙功 Jiàn Xiāngōng) , la «boxe du travail intérieur (nei gongjuan ), etc. Après 1980, il fondera la méthode du « Qigong mystérieux des anneaux de jade réunis » (Jubi xuangong IM) et sera actif au sein des associations de gigong du Heilongiang [cf. p. 528].

Continuation dans des réseaux souterrains d’un apprentissage commencé dans les institutions officielles de gi gong avant son interdiction

王繼昌 Wáng Jìchāng, de Shenyang, avait appris le 內養功 nèi yǎng gōng de 劉貴珍 Liú Guìzhēn en 1960. Dans les années qui suivent, il affirme s’être fait le disciple de 田宗傑 Tián Zōngjié, héritier à la 23e génération de la tradition taoïste du Longmen, et de 孔宗仁 Kǒng Zōngrén, héritier à la 2e génération du « Qi gong de Laozi du temple des Trois Purs » (三清觀老子氣功 Sānqīngguān Lǎozi qìgōng). Après 1980, il deviendra maître de qi gong, auteur d’ouvrages afférents, et membre d’associations serai-officielles dans le Liaoning.

Apprentissage dans des institutions médicales de l’État

何玉緣 Hé Yùyuán, de la préfecture de Panwan dans le Guangdong, avait obtenu son diplôme de médecine à Tianjin en 1962. En 1976, lors d’un cours de perfectionnement à l’Institut de médecine chinoise de Tianjin, un vieux professeur lui enseigne la méthode du Jeu des cinq animaux. Cet exemple montre que la culture corporelle n’a pas entièrement disparu des institutions médicales durant cette période — précisons cependant que la Révolution culturelle tire déjà à sa fin en 1976.

Apprentissage dans des formations pour médecins aux pieds nus

素鎮標 Sù Zhènbiāo, de Chaozhou dans le Guangdong, apprend une technique de qi gong hygiénique (健身氣功 Jiànshēn qìgōng) lors de sa formation en «médecine rouge » pour médecins aux pieds nus, à l’âge de 16 ans, en 1971. Après 1980, il s’impliquera dans le monde du qi gong et proposera ses talents de guérisseur au public des malades.

Apprentissage en exil à la campagne durant la Révolution culturelle

王漢文 Wáng Hànwén de Shijiazhuang, est envoyé à la campagne en 1968 à l’âge de 16 ans. C’est là qu’il rencontre 劉素喜 Liú Sùxǐ, héritier à la 5e génération de la lignée d’arts martiaux du «Travail interne de la poigne de He » (何掌內功 Hé zhǎng nèigōng). Liú Sùxǐ lui enseigne les arts martiaux durs et le consacre héritier à la 6e génération. Dans les années 1980, Wáng Hànwén  deviendra une personnalité importante du monde de gigong de Shijiazhuang : créateur de la méthode du « Qi gong des hauts nuages (Língyún qìgōng 凌雲氣功), il est auteur d’un livre sur cette méthode, fondateur et directeur d’une école d’arts martiaux et de qi gong.

Après 1965, donc, si les institutions de qi gong cessent d’exister, les techniques de culture corporelle continuent de se transmettre dans les milieux populaires, suivant le schéma traditionnel : transmission individuelle et souvent secrète, dans des lignées familiales, médicales, religieuses ou d’arts martiaux. Dans certains cas, c’est au gré des circonstances particulières de la Révolution culturelle que s’apprend la culture corporelle : médecin aux pieds nus, rencontre d’un maître à la campagne où l’on a été envoyé, etc. En grand nombre, les héritiers de ces techniques se proclameront « maîtres de qi gong» dans les années 1980.

Nous n’avons cité que quelques exemples à titre indicatif. D’après le répertoire biographique des maîtres de qi gong édité par Wu Hao, nous pou-vons estimer que plus de 1/5e d’entre eux ont commencé leur apprentissage de la culture corporelle entre 1965 et 1977 4. Il n’y a donc pas de « trou » dans la transmission de ces techniques durant la Révolution culturelle.

Les types de méthodes

Les méthodes de qi gong comprennent généralement les éléments suivants:

Un nom spécifique

Un nom spécifique, qui sert à identifier la lignée du maître et à la distinguer des autres méthodes. Les noms de méthodes correspondent le plus souvent a un vocabulaire tiré de la mystique chinoise ou de la tradition religieuse.

八卦功 bāguà gōng
Le qi gong des huit trigrammes
天祖功 tiān zǔ gōng
Le qi gong de l’ancêtre céleste
太始氣功 tài shǐ qì gōng
Le qi gong de l’origine suprême

Une échelle de niveaux ascendants

一步功 yī bù gōng
Qi gong de premier niveau
二步功 èr bù gōng
Qi gong de deuxième niveau

et ainsi de suite jusqu’au « huitième niveau » ou plus.

Chaque niveau contient un ensemble de techniques, censées devenir de plus en plus difficiles suivant la progression des niveaux. Chaque niveau donne à l’adepte de nouveaux pouvoirs, de plus en plus difficiles à maitriser.

Un éventail de techniques

La plupart des méthodes de qi gong comportent une gamme de pratiques courantes dans le monde du qi gong: la gymnastique, les pratiques respiratoires, la méditation en position fixe (assise, debout, allongée) ; des mantras et incantations, etc.

Un environnement symbolique

Les différentes postures ont des noms le plus souvent tirés du répertoire symbolique de la tradition chinoise. Dans la pratique de la méthode, l’adepte entre dans un monde imaginaire et symbolique différent de son univers quotidien. Par exemple, les postures du Wudang nei dan gong:

  • Le dragon de l’inondation plonge dans la mer
  • Le dragon et le tigre se rejoignent
  • L’hirondelle pourpre s’envole haut dans le ciel

Un enseignement théorique

Un enseignement théorique (功理 gōng lǐ), qui consiste généralement en un simple exposé des notions de base de la méthode, tirées d’une ou plusieurs traditions religieuses ou philosophiques chinoises : taoïsme, bouddhisme, médecine chinoise, cosmologie traditionnelle chinoise, etc. Dans certaines méthodes, le gōnglǐ devient une cosmologie très élaborée lb.

Selon les concepts du gōnglǐ, certains auteurs ont classé les méthodes de qi gong

道家氣功 Dàojiā qìgōng
Le qi gong taoiste
佛家氣功 Fújiā qìgōng
Le qi gong bouddhique
醫學氣功 Yīxué qìgōng
Le qi gong médical
武術氣功 Wǔshù qìgōng
Le qi gong martial
儒甲氣功 Rújiǎ qìgōng
Le qi gong confucéen

Toutes les lignées de qi gong émergent de la cultes populaire et empruntent volontiers, et souvent de manière syncrétique, les symboles de toutes ces grandes traditions.

Au niveau des techniques mêmes, il est difficile d’isoler des techniques particulières qui relèveraient exclusivement d’une tradition plutôt que d’une autre. Seule exception, le qi gong de tradition martiale possède des techniques spécifiques à l’art du combat et de la boxe chinoise.

La référence de différentes méthodes à une même tradition n’implique en rien que ces lignées soient liées entre elles par une organisation commune. Cette classification ne repose que sur le revêtement symbolique des méthodes; dans la réalité sociale, il n’existe aucun regroupement effectif de méthode: aucune communauté de lignées bouddhistes qui se distinguerait d’une communauté de lignées taoïstes. etc.

Quelle que soit son enveloppe terminologique particulière, la méthode et un vecteur pour la transmission de symboles. Ces symboles peuvent être véhiculés par les exercices aussi bien corporels que mentaux prescrits par les méthodes. Pratiquer la gymnastique, c’est incarner des symboles traditionnels. La visualisation qui accompagne les mouvements corporels permet d’intégrer la conscience du corps à la conscience de ces symboles.

Les lignées de masse

La méthode de qi gong  constitue donc un lien transformateur, reproductible à l’infini en l’absence d’un contact personnel entre le maître et les pratiquants. Elle permet de toucher des millions d’adeptes simultanément.

La lignée de masse est constituée des éléments suivants:

  • un maître, fondateur ou héritier, transmetteur de la lignée ;
  • la méthode, qui donne son nom à la lignée, composée de deux parties l’une technique, l’autre théorique (gongfa gongli ;Me) ;
  • une palette d’outils de transmission : livres, cassettes et vidéocassettes, qui exaltent le maître et ses pouvoirs et expliquent la méthode ;
  • un réseau de transmission, reliant le maître à la base des pratiquants à travers la Chine et le monde, constitué d’animateurs de groupes de pratique dans les parcs et espaces publics ;
  • un réseau d’associations, d’écoles, de cliniques, etc., souvent inscrites auprès des instances gouvernementales ou dépendant des associations semi-officielles de qigong.

Il existerait plus de trois mille méthodes de qi gong, c’est-à-dire autant de lignées.

Les premières lignées à se répandre à grande échelle à partir de 1980 sont les suivantes:

大雁氣功
Dàyàn qìgōng
Le qi gong de la grande oie de 楊梅君 Yáng Méi jūn
鶴翔莊
Hèxiángzhuāng
La posture de l’envol de la grue de 趙金香 Zhào Jīnxiāng
自發五禽戲動功
Zìfā wǔqínxì dònggōng
Le qi gong des mouvements spontanés du jeu des cinq animaux de 梁士豐 Liáng Shìfēng
少林內勁一指禪
Shàolín nèijìn yīzhǐchán
Le travail intérieur de Shaolin de la contemplation du doigt par 魏平安 Wèi Píng’ān

Les types de pratiquants

弟子 dìzǐ
Les disciples, les élèves
輔導員 fǔdǎo yuán
Les mentors, les entraîneurs, les moniteurs, les tuteurs

Les pratiquants peuvent être diviser en trois groupes:

  • ceux qui pratiquent pour rester en forme,
  • ceux qui pratiquent pour guérir,
  • les curieux.
  • les chercheurs spirituels.

La majorité des adeptes pratiquent pour améliorer leur état de santé et prolonger leur vie. Ce sont le plus souvent des retraités ; la pratique du qi gong les aide aussi à sortir de leur solitude.

Les malades qui pratiquent le qi gong guérissent, et d’autres échouent. Ceux qui guérissent deviennent de fervents croyants, pratiquants et défenseurs du qi gong. Les pionniers du qi gong moderne, tels 劉貴珍 Liú Guìzhēn, 郭林 Guō Lín,appartiennent à cette catégorie.

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