À la cour du Prince Genji

Les deux derniers siècles de l’époque de Heian (794-1185) voient s’épanouir une littérature féminine unique dans l’histoire du Japon. Les femmes aristocrates de l’époque de Heian sont tenues à l’écart de la vie politique et sociale. Mais, relativement libres de leur temps, leurs vies sont comblées par les arts, l’étude, la religion, les intrigues de cour, les relations galantes.

Ne participant pas directement à la vie politique, elles sont, en revanche, en première ligne pour l’observer. La littérature féminine se développe alors à la cour où émergent plusieurs figures littéraires : Sei Shonagon, Ono no Komachi et, bien sûr, Murasaki Shikibu, qui jouissent d’une reconnaissance jamais démentie. Les ouvrages fondateurs qu’elles publient témoignent d’une culture en gestation et d’une époque. Aidées par la mise en place d’une nouvelle écriture, elles vont produire des œuvres mêlant poésie (waka, petits poèmes très en vogue à l’époque de Heian) et prose, sous forme de journaux ou d’histoires racontées (monogatari). L’humanité de ce nouveau genre continue de nous interpeller. L’appréciation de cette littérature poétique et romanesque ne se manifeste pas uniquement dans le récit lui-même, mais également dans la façon de le présenter. La calligraphie, en effet, joue un rôle majeur dans la présentation de l’histoire. Ce grand classique de la littérature japonaise, à la façon des Misérables de Victor Hugo en France ou du Don Quichotte de Miguel de Cervantes en Espagn, a inspiré des générations d’artistes depuis, des artisans les plus prestigieux de l’époque de Heian (794–1185) aux auteurs de mangas d’aujourd’hui.

Pour en éclairer la portée, le musée Guimet a réuni dans une fascinante exposition des objets aussi divers que des boîtes en laque finement décorées de scènes de l’histoire, des paravents peints à la main, de superbes estampes, un spectaculaire palanquin de la fin du XVIIIe siècle, des pages de mangas …

Éventails flottants sur la rivière

Paire de paravents à six volets, attribué à l’atelier de Sotatsu ; papier, encre, pigments, peinture à la poudre d’argent et application de feuilles d’or ; époque d’Edo, début du 17° siècle .

Cette paire de paravents offre, par un jeu de références littéraires, une peinture de paysage autant qu’une composition poétique sans calligraphie. La roue à aubes, les nasses de pêcheurs et les flots argentés de la rivière permettent l’identification de la rivière d’Uji, lieu associé à l’intrigue qui se déroule dans le Dit du Genji. Les éventails élégamment à la dérive évoquent la pratique de l’improvisation poétique, instituée au 11e siècle dans l’entourage impérial. La composition et les thèmes abordés suggèrent ainsi le climat littéraire de l’époque de Heian.

La Tempête

Paravent à six volets ; encre, couleurs, or et feuilles d’or sur papier ; époque d’Edo, fin du 16° siècle – début du 17° siècle.

Le Dit du Genji a très tôt été illustré dans les arts et notamment dans la peinture, où les scènes sont toujours traitées selon un procédé appelé « toit enlevé » qui permet de voir la scène, à l’intérieur du bâtiment, en plongée. Ce type de peinture, du genre yamato-e, se caractérise par un très grand raffinement et par l’emploi de couleurs vives.

Le décor de ce paravent évoque une scène issue du livre 28 – La Tempête (Nowaki) du Dit du Genji. Il s’agit d’une scène où une violente tempête s’est abattue sur le palais impérial. Le fils du Genji, Yugiri, se rend dans le jardin de l’impératrice pour constater les dégâts.

Premier rouleau tissé du Dit du Genji

Itaro Yamaguchi (1901-2007)

À l’occasion de l’exposition Kesa, Manteau de nuages présentée au Japon en 1994, Madame Krishnâ Riboud, grande spécialiste des textiles asiatiques, rend visite à Maître Itaro Yamaguchi à Kyoto. Ce dernier lui montre les deux premiers rouleaux, tissés en 1986 et en 1990. Conscient de l’importance de l’introduction du métier Jacquard dans les ateliers de Nishijin, il exprime alors son désir d’offrir au musée Guimet ces deux œuvres, afin de rendre hommage à la France, patrie de Joseph-Marie Jacquard.

Le 6 avril 1995, Maître Yamaguchi, âgé de 94 ans, se rend à Paris pour remettre les deux rouleaux au musée. Pendant son voyage, il tient absolument à se rendre au musée national du Moyen Âge pour y admirer la tapisserie de la Dame à la licorne et étudier la technique utilisée pour rendre la transparence.

En 2002, le troisième rouleau rejoint à son tour les réserves du musée Guimet. Le quatrième, achevé en 2008 par le maître tisserand Kunio Tamura, disciple et complice du maître pendant de très longues années, vient compléter cette remarquable

Soie, filés métalloplastiques doré et argenté, lamelles de papier doré et argenté. Façonné, partiellement double-étoffe, à plusieurs effets, dominante trames lancées, brochées et complémentaires, liées en taffetas, sergé et satin trame. Tissé sur métier à mécanique Jacquard. Achevé en 1986.

Le premier rouleau à avoir été exécuté contient des scènes extraites du chapitre La Rivière aux bambous (livre 44) de la troisième partie du Dit du Genji, qui narre, après la mort du Genji, l’histoire de la génération suivante.

Lors de la conception de ce rouleau, l’accent a été mis sur la vivacité des couleurs. Les couleurs intermédiaires devaient être réellement intermédiaires, les cheveux noirs devaient être aussi noirs que l’ébène, les visages du plus blanc des blancs, et ainsi de suite. Quelque quatre mille fils de chaîne ont été utilisés dans ce rouleau tissé.


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