L’importance du symbolisme dans les arts martiaux internes chinois – 1

Les symboles du ciel et de la terre, du yin et du yang, des cinq éléments, du dragon et du tigre.

  1. Les symboles du ciel et la terre, du yin et du yang, des cinq éléments, et du dragon et du tigre.
  2. Les associations avec des animaux, les noms des mouvements, les sinogrammes
  3. Le symbolisme du yì jīng

Vue d’ensemble: Le symbolisme est un aspect important et souvent méconnu des arts martiaux internes chinois. Ce premier volet d’une série de trois articles, traite de l’importance et de la pertinence des symboles du ciel et la terre, du 陰 yīn et du 陽yáng, des cinq éléments, et du dragon et du tigre.

Le symbolisme dans les arts martiaux internes chinois

Le symbolisme est un aspect important et souvent méconnu des arts martiaux internes chinois. Les symboles liés aux arts martiaux internes sont souvent rejetées en Occident comme bagage culturel superstitieux qui a peu de valeur dans l’appréhension et l’application pratique de ces arts. Cette attitude a été de plus dirigé vers les arts internes chinois (內家 nèijiā ), principalement en raison de la nature déroutante des images utilisés par les pratiquants d’arts martiaux chinois
qui sont spécifiques à leur culture, il est difficile pour les étudiants occidentaux de s’investir dans cet aspect des arts internes chinois. C’est pourquoi, de nombreux enseignants et étudiants occidentaux tentent d’actualiser et de transformer l’imagerie traditionnelle, de refondre les symboles pour proposer des explications scientifiques, bio-mécaniques dans leur enseignement et pour les applications.

De même, les occidentaux tendent à retravailler le processus d’apprentissage
et les programmes des arts martiaux internes chinois qui sont circulaires et plus organiques  en un processus logique étape par étape  qui amènent en douceur, à travers une série de niveaux, le débutant au niveau du praticien expert. Cette approche se caractérise par une tentative d’analyse des mouvements, des méthodes de formation et des principes afin qu’ils puissent être divisées en leurs éléments constitutifs. Cette approche plus «moderne» et plus «scientifique» crée autant de problèmes qu’elle tente d’en résoudre – en fin de compte elle amoindrie ces arts et conduit les élèves à regarder ailleurs pour combler les lacunes perçues. Parce que chaque aspect d’un art interne interpénètre avec un autre aspect, briser les choses en leurs composantes peut effectivement rendre l’apprentissage plus difficile, voire impossible.

Les arts internes chinois ont un caractère fractal. Chaque aspect, chaque partie d’un art comme le 八卦掌 bāguàzhǎng (de la plupart des aspects « de base » au plus « avancé ») est un hologramme qui contient, s’interconnecte et interagit avec toutes les autres parties du système pour former un tout organique complet. Il est donc impossible d’isoler les composants individuels sans perdre l’essence des arts internes.

L’argument commun mis en avant par le camp moderniste est quelque chose comme: « les vrais combattants n’étaient pas des intellectuels, ils ne savaient pas ce genre de choses. Ils se sont juste formés à la dure. » En fait, ils ne savaient pas « ce genre de choses. » Le symbolisme est tellement ancré dans tous les aspects de la vie chinoise, la culture et les coutumes qu’ils ne pouvaient pas éviter de le savoir. La langue écrite chinoise elle-même est une collection d’idéogrammes sur la base de pictogrammes et de symboles. Les « vrais combattants » non seulement connaissaient les histoires, les métaphores et les symboles, mais pour eux, la simple évocation d’une histoire, d’une métaphore ou d’un symbole déclenchait une cascade d’autres histoires, métaphores et  symboles associés. Même les déclarations les plus occasionnelles, par la plupart des combattants les plus terre-à-terre que j’ai rencontrés en Chine sont imprégnées par la langue du Yi Jing, par la médecine traditionnelle chinoise, la métaphysique taoïste, et les classiques comme Les Trois Royaumes et Au bord de l’eau.

Un sous-produit obligé de l’approche «scientifique» est le rejet de la richesse du symbolisme inhérente aux arts internes. C’est cette caractéristique qui exprime et communique leur holisme au praticien. Les symboles sont ces mêmes outils nécessaires pour exprimer l’entité organique très complexe, avec ses nombreuses couches multiples et culturellement intégrées de la réalité et de la compréhension des arts martiaux internes chinois.

Les symboles sont comme un code, un code qui sert à exprimer les aspects de la réalité qui sont obscurcies par les limites du langage et d’autres modes d’expression. De cette façon, les symboles communiquent et cristallisent un aspect de l’expérience directe, ou la vérité, qui est au delà des mots – et au-delà du symbole lui-même. Les symboles utilisés dans ce contexte fournissent également une plate-forme d’auto-découverte, d’expérimentation et de transcendance. Le symbolisme du nèijiā est un sujet vaste et complexe, au terme de cet article, nous allons nous concentrer sur cinq manifestations du symbolisme communément rencontrées dans les arts martiaux internes. Beaucoup de ces symboles et concepts ont chevauché la méditation taoïste, le 内功 nèigōng et la médecine chinoise.

Les cinq manifestations du symbolisme abordés dans cet article sont les suivantes:

  1. Le symbolisme des animaux et l’imagerie
  2. Les symboles cosmologiques: le yīn~yáng et les cinq forces
  3. Le symbolisme du yì jīng
  4. Les noms de mouvement dans les formes chinoises
  5. Les idéogrammes~pictogrammes chinois

Le ciel et la terre, le yin et le yang

Dans la pensée chinoise, le ciel et la terre sont considérés comme les deux forces opérationnelles fondamentales. Le ciel est yáng et la terre est yīn. On dit que le ciel (天 tiān) est venu avant et la terre (土 tǔ) après. Dans la cosmogonie chinoise, le ciel et la terre se développent à partir du Wu Ji (无极 wújí), un potentiel indivisible sans limite. Wu Ji (littéralement «sans polarité ») est parfois considéré comme la vacuité ou le vide – il s’agit essentiellement d’une matière indifférenciée, indivisible, non polarisée. Le mouvement survient du néant, du vide. Le mouvement est comme le vent, comme un souffle. Il s’agit d’une inhalation et une exhalation, ou d’une ouverture et d’une fermeture. Ce mouvement est le Souffle~Energie ou Qi~Souffle. Ce mouvement, cette polarité créé par le Qi~Souffle est le Tai Ji, le «grand pôle» ou «polarité extrême. » Avec le Tai Ji, le plus léger et le plus transparent du Qi~Souffle monte, et le plus lourd, le plus opaque du Qi~Souffle descend. La lumière et l’aspect yáng produit le ciel, le yīn et l’aspect lourd produit la terre. Le yáng émet et le yīn reçoit. Les traits forts et pleins du flux vers le bas du trigramme du ciel est reçu par la douceur des « lignes réceptives » de la terre. La terre répond à son tour, actualisant le potentiel du ciel en lui donnant forme et en renvoyant le Qi~Souffle  vers le haut. Ceci est exprimé comme suit:

Ciel-Terre

De l’interaction du ciel-yáng et de la terre-yīn, le monde que nous connaissons, comme les êtres humains, avec ses variations saisonnières cycliques, ses rythmes et ses motifs, se développe. Une alternative au diagramme du Tai Ji , attribuée à 陳摶
Chén Tuán  (871–989) de la dynastie des Song, traduit visuellement le mouvement circulaire du Qi~Souffle qui s’élève en spirale depuis le centre initiant le mouvement qui crée les polarités le léger et le lourd, le mouvement et l’immobilité, le clair et le trouble, le yáng et le yīn.

Diagramme attribuée à Chen Tuan (陳摶)

Pour le tai-chi-chuan, le xíngyìquán et le bāguàzhǎng, ces concepts se manifestent dans l’importance accordée à la compréhension, à un niveau instinctif, du pouvoir inhérent à l’équilibre, des forces d’opposition, ainsi que l’interaction entre le mouvement et l’immobilité, le vide et la plénitude, la fermeté et la douceur, ce qui est caché et ce qui est évident.

Les cinq éléments ou les cinq puissances

Les cinq éléments (五行 wǔ xíng) sont aussi parfois appelé les cinq puissances (五德 wǔ dé). Les cinq puissances sont intimement liées à la vie des êtres humains sur terre. L’interaction du ciel et de la terre, est une polarité immuable fixe. Elle est intemporelle et immuable. Chez les êtres humains et le monde naturel, les souffles du ciel et de la terre sont expérimentés à travers les cinq puissances, car c’est à travers elles que la vie prend une forme matérielle et un état. Nos sens, les goûts, les sons, notre capacité à discriminer, même nos organes internes, sont tous considérés comme des expressions des cinq puissances. Elles expriment aussi une conception du temps, du mouvement cyclique et du changement. Les cinq puissances opèrent en nous de la même façon qu’elles fonctionnent dans le monde autour de nous, comme en témoigne les saisons, le climat et les mouvements des planètes.

Le mouvement cyclique inhérente à ces cinq puissances peut être vu dans le schéma ci-dessous:

Diagramme Eau~Feu

Les cinq éléments peuvent aussi être compris comme cinq forces fondamentales, qui ont des mouvements qui leur sont propres et des capacités. Par exemple, l’eau se déplace vers le bas et humidifie alors que le feu se dilate vers le haut, colle et réchauffe. Cela est particulièrement évident dans les Cinq Poings ou pour des formes telles qu’elles sont exprimées en xíngyìquán. Chacun de ces mouvements de base crée une manifestation interne très différente de jin 劲 (force, énergie, esprit) dans le corps. Cela est schématisé de manière très basique ci-dessous:

Les cinq puissances sont parfois évoquées de manière oblique en utilisant les noms d’animaux mythologiques ou emblématiques. La tortue noire est essentiellement représentée enlacée avec un serpent (yáng) pour devenir 玄武 xuán wǔ: Le Guerrier Sombre du Nord. Le diagramme ci-dessous montre les formes des quatre animaux emblématiques. Au centre se trouve l’idéogramme de la terre.  

Les cinq animaux emblématiques
Les cinq animaux emblématiques

Le dragon et le tigre

Avant la création du diagramme du Tai Ji (au 8e siècle), le yīn et le yáng sont symbolisés par le tigre (虎 hǔ) et le dragon (龍 lóng). Le dragon était également associé avec le ciel, et le tigre avec la terre.

Dans l’ordre du roi Wen, les manifestations du ciel (yáng) et de la terre (yīn) sont le feu et l’Eau, deux des cinq éléments. Le feu est associé au Sud et l’eau avec le Nord. Les manifestations les plus répandues du dragon et du tigre sont Le dragon Vert, qui est lié au bois et à l’Est et le tigre Blanc, lié au métal et à l’Ouest.

Dans l’ordre de l’empereur Fo-Hi, le dragon Vert est associé à Li (le feu) et le  tigre Blanc est associé à Kan (l’Eau). Ensemble, ils symbolisent le mouvement et le changement:

  • Le bois devient feu – Le dragon bondit vers le haut
  • Le métal devient eau – Le tigre se jette sur sa proie

Le dragon est yang. Il symbolise le mouvement de la vie qui croît vers le haut et vers l’extérieur, comme une plante qui pousse d’une graine. Le dragon Vert représente le tonnerre du printemps et les pluies qui nourrissent les êtres vivants. Au printemps, le dragon est dit de sortir de sa cachette sous la terre et s’élever vers le ciel créant tonnerre et la pluie. D’où le dragon représente également l’incitation à la vie et le mouvement. Le tigre est yīn. Le tigre Blanc représente l’automne, lorsque ce qui a poussé commence à se retirer dans la terre, quand la première gelée vient de tuer les êtres vivants. Le tigre peut représenter la mort, mais aussi le calme et la tranquillité de la fin d’automne quand il se déplace en hiver. Le tigre est donc aussi associé avec le lac  dont les profondeurs ne peuvent pas être vues. Dans ce contexte, le dragon et le tigre représentent l’ensemble du cycle naturel de la vie et de la mort qui se meut à travers nous et tous les êtres vivants.

Le Dragon et le Tigre
Le Dragon et le Tigre

Le dragon est associé au trigramme ☳ 震 Zhèn : le Tonnerre, représentant l’excitation et le mouvement.

Le tigre est associé avec le trigramme ☱ 兌 duì : le lac, représentant la gaieté, la sensibilité et l’émotion.

Ces qualités sont évoquées dans le proverbe chinois: Quand le tigre rugit le vent vient de la vallée. Quand le dragon surgit de gros nuages apparaissent. [1]

Le dragon possède à la fois des associations yīn et yáng. Il peut être yáng en ce qu’il s’élance à travers les nuages, et yīn en ce qu’il se cache sous la terre – comme dans le mouvement du qi gong: « Le dragon Noir entre dans la grotte ». Lorsqu’il se déplace dans le ciel, le dragon apparaît et disparaît dans les nuages. Le dragon n’a pas d’ailes mais vole à travers une oscillation yīn-yáng, littéralement «il nage à travers les nuages »: Le dragon se cache maintenant dans la profondeur aquatique, maintenant il va en altitude au plus haut des cieux, et sa démarche même est une ondulation continue. Il présente une image de l’énergie en permanence rechargée par l’oscillation d’un pôle à l’autre. Le dragon est une créature en constante évolution sans aucune forme fixe, il ne peut jamais être immobilisé ou attaché,  il n’est jamais saisi. Il symbolise un dynamisme qui est invisible sous une forme concrète et qui est donc insondable. Enfin, dans sa fusion avec les nuages et les brouillards, l’impulsion du dragon fait vibrer le monde environnant: c’est l’image même d’une énergie qui se diffuse à travers l’espace, qui intensifie son environnement et qui voit son environnement s’enrichir de cette aura [2].

Bien que le tigre soit associé au métal, il possède également une association avec le vent qui est lié à l’élément bois. Le tigre est relié à la fois à « l’énergie bois frénétique du printemps et à l’énergie raffiné du métal  à l’automne.» [3] Le rugissement du tigre produit le vent, qui est associé au bois. C’est aussi une référence à « l’haleine de la nature, ainsi qu’au caractère naturel et frénétique du tigre . » Comme le vent, le tigre « va et vient comme il lui plaît, en se montrant soudainement et de façon inattendue, parfois avec une force dévastatrice. » [4 ] Le tigre est parfois considérée comme un animal yáng, mais il tire sa puissance de la terre (yīn) en s’accroupissant en vue du printemps – donc, comme le dragon, le tigre a deux aspects yīn et yáng.

En ce qui concerne le 形意拳 xíngyìquán, le dragon est la première forme animale que l’on apprend, et la forme du tigre la seconde. La forme du dragon monte et descend comme son corps qui s’enroule et se déroule. Les os et les tendons de l’ensemble du corps s’étendent vers l’extérieur et se contractent vers l’intérieur . Ce mouvement ascendant et descendant du dragon ouvre le vaisseau conception et le vaisseau d’assaut. Le vaisseau conception , le vaisseau Gouverneur et
le vaisseau d’assaut sont considérés comme un seul méridien : le « canal central ». Le canal central doit circuler librement pour que les autres méridiens puissent aussi circuler librement. Si le canal central s’ouvre, il est dit que  «cent méridiens peuvent s’ouvrir » et que puissance et force émaneront sans obstruction. Le tigre utilise son retour pour produire de l’énergie en accroupissant ou en jaillissant, par conséquent, si elle est pratiquée correctement, la forme de tigre est dit ouvrir le vaisseau gouverneur qui longe le centre de la colonne vertébrale. Si le vaisseau gouverneur est ouvert, le  yáng Qi clair peut monter à la tête et au cerveau, et
le vaisseau conception et le vaisseau d’assaut seront également ouverts. Quand le tigre « se repose dans sa grotte, » accroupi et rassemblant sa puissance, le qi se réunit au point Long et fort, . Quand le tigre saute ‘sur sa proie, le point
Porte du destin à l’arrière s’ouvre et le qi déplace vers le haut le long du vaisseau gouverneur.

Dans le bāguàzhǎng, les mouvements du corps qui marche et qui décrit des cercle sont souvent assimilés au dragon (龍 lóng). De nombreux styles de bāguàzhǎng contiennent une séquence appelée 游身龍形八卦掌 yóu shēn lóng xíng bāguà zhǎng. 王薌齋 Wáng Xiāngzhāi (1885-1963), un des plus grands boxeurs internes du 20e siècle, a décrit la performance de 程廷華 Chéng Tínghuá (1848 -1900 ) en bāguàzhǎng Comme l’errance, faite d’enroulement et de torsion, d’un dragon divin dans le ciel. [5]  Tout en se déplaçant comme un dragon de nage, le praticien de 
bāguà est  avisé de « S’asseoir comme un tigre » et  de s’accroupir , «asseyant les kua, » (le pli sur le devant de la hanche). De cette façon on est enraciné dans la terre, prêt à bondir et à sauter avec la puissance et la férocité du tigre. En Occident, nous avons tendance à chercher des correspondances « une à une » entre les choses. Les symboles du dragon et du tigre sont de bons exemples des nombreuses correspondances qui se chevauchent et des relations (dont certaines semblent au premier abord contradictoires), qui sont courantes dans le symbolisme martial chinois.

 Notes:
  1. History of Chinese Philosophy (The Routledge History of Chinese Philosophy), Edited by Bob Mou. London and New York: Routledge 2009, p. 285.
  2. The Propensity of Things – Toward a History of Efficacy in China (Paper), Francois Julien. New York: Zone Books, 1999. p151.
  3. The Lung and the Tiger Image: An Example of Decoding the Symbolic Record of Chinese Medicine. by Heiner Fruehauf, PhD. Classicalchinesemedicine.org. 2008, p. 5
  4. Ibid, p. 3.
  5. Da Cheng Chuan,  by Wang Xuanjie. Hong Kong: Hai Feng Publishing Co. Ltd., 1988. p.40.

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